Le choc
Les attentats du 11 septembre constituent un véritable choc. Ce choc est frontal et se décline sur trois registres : l’émotion, l’organisation, la réflexion et l’action.
L’émotion face à la tragédie humaine qui frappe nos amis américains au cœur des symboles de la puissance économique et militaire que sont le World Trade Center et le Pentagone.
Dans le droit fil des déclarations de nos responsables politiques et de nos concitoyens, le Comité d’études de défense nationale et l’ensemble de ses auteurs et lecteurs s’associent à la douleur et au deuil de nos amis et les assurent de leur solidarité.
Ailleurs, l’émotion a pris des formes contrastées dans les populations de certains pays du Proche et Moyen-Orient où la joie exprimée par quelques-uns était à la mesure d’un endoctrinement certain mais aussi à celle de frustrations plus profondes qui fragilisent les régimes arabes proches des États-Unis.
L’organisation, planifiée dans toutes leurs dimensions méthodologique, spatiale et temporelle, d’opérations simples mais dévastatrices longuement et minutieusement préparées en termes de renseignement, de formation des exécutants, d’infrastructure et de soutien logistique par des hommes disposant de moyens financiers illimités et de personnel instruit et acceptant le sacrifice, a surpris tout le monde.
Par contraste, la présentation de la carence des services de renseignement qui n’auraient pas détecté cette menace montre que si la haute technologie est nécessaire, elle ne peut se substituer à l’information humaine ; mais à ce stade la prudence s’impose. L’histoire est riche d’exemples où l’information donnée par les services spécialisés n’a pas été prise en compte par les responsables politiques.
La seule certitude est que les auteurs de ces actions ont profité de la vulnérabilité sécuritaire des lignes aériennes intérieures américaines et que, par un comportement atypique, y compris dans le domaine des communications, ils ont réussi à garder secrètes des opérations dont la préparation a demandé plusieurs mois.
La réflexion et l’action. Au-delà de l’événement et de l’émotion, il apparaît que « rien ne sera plus comme avant » : la sanctuarisation des États-Unis est caduque et tous les pays du Nord sont d’autant plus vulnérables que leur comportement, leurs modes de vie et leurs aspirations, majoritairement matérielles, dépendent ou reposent sur la technologie. Celle-ci détournée et utilisée par des groupes intelligents, déterminés et imprévisibles est devenue une arme dévastatrice. Mais ce mode opératoire n’est pas nouveau, le terrorisme, d’État ou non, est de tous les temps ; seuls son point d’application et son ampleur instantanée ont créé l’événement.
À très court terme, il convient de se prémunir au mieux contre son développement ou son renouvellement sous quelque forme que ce soit.
La mise en commun des informations dont disposent les services de renseignement des pays qui se sont déclarés solidaires des États-Unis ; la remise en cause des égoïsmes nationaux de certains États, et non des moindres, qui acceptent la présence politique et logistique sur leur sol de groupes, en échange de la sanctuarisation de leur territoire ; la mise à jour des circuits financiers et une action plus volontariste contre les paradis fiscaux et certains établissements devraient limiter la puissance financière et logistique de ces réseaux. Des actions précises devraient désorganiser les groupes chargés d’actions planifiées.
À l’évidence, à court terme, le traitement des réseaux islamistes terroristes ne repose pas sur des actions militaires d’envergure, à l’exception d’une contribution ciblée des forces spéciales.
La France dispose, là, d’une solide expérience du terrorisme qui s’exerce depuis des années sous différentes formes sur son territoire.
Sa contribution dans un cadre bilatéral ou multilatéral européen serait utile et significative.
Les États-Unis, cruellement frappés dans leur chair et ébranlés par la « désanctuarisation » de leur territoire, décideront et réagiront souverainement. Une tentative de contrôle et d’isolement de l’Afghanistan à court terme n’est pas à exclure, au risque de l’implosion de l’État voisin du Pakistan, par ailleurs puissance nucléaire.
La réflexion concernant le moyen et le long terme est tout aussi indispensable et doit s’orienter en priorité sur le traitement des causes et non des effets. Pour être constructive et déboucher sur des modes opératoires pertinents, elle doit s’affranchir du « politiquement correct » et de la « pensée unique » qui, avec une certaine arrogance, militent en faveur de l’universalisme du modèle politique et économique occidental.
Nous ne ferons pas l’économie d’une analyse géopolitique et géostratégique renouvelée, où la coexistence pacifique de civilisations différentes, la connaissance et le respect de la culture de l’autre devront trouver leur place à côté des rapports étatiques traditionnels, de lois du marché contrôlées et humanisées et d’une géographie réétudiée.
Encore faut-il que les responsables politiques aient à la fois le courage, la lucidité et l’humilité d’une telle remise en cause et sachent s’entourer d’équipes imaginatives et innovantes où les personnalités atypiques ne soient pas de simples alibis ou faire valoir. ♦