Discours du président de la République, le lundi 27 aout 2001, au Palais de l’Élysée, à l’occasion de la réception des ambassadeurs.
La politique étrangère de la France
Nous voici réunis une nouvelle fois à l’occasion de l’ouverture, sous l’impulsion du ministre des Affaires étrangères, de la conférence des ambassadeurs. Au fil des ans cette conférence s’est imposée. C’est un moment attendu, un moment fort d’échanges mais aussi de communication pour le Quai d’Orsay. C’est pour moi l’occasion de vous présenter, avant votre retour en poste, mes réflexions sur l’évolution du monde, ainsi que les actions engagées pour la défense des intérêts de la France et pour la promotion de nos valeurs.
Je vous parlerai aujourd’hui de l’Europe, de la nouvelle donne stratégique, de nos efforts en faveur de la paix et enfin de l’organisation de la société internationale.
L’avenir de l’Europe
Depuis l’origine, la France a su apporter à la construction européenne le souffle dont elle a besoin. Les dernières années ont été celles de nouveaux défis relevés : l’euro, que nous avons voulu et qui deviendra — et ce n’était pas facile — dans quelques mois le moyen de paiement de 300 millions d’Européens ; l’Europe de la Défense, relancée à Saint-Malo et qui fait de l’Union un véritable acteur sur la scène internationale ; enfin l’élargissement, rendu possible grâce au traité de Nice, qui va consacrer la réunification du continent, y enraciner la paix et la démocratie.
Ces étapes franchies, de nouveaux horizons ont été esquissés. Sous présidence française, nous avons décidé de lancer un grand débat sur l’avenir de l’Europe. Engagé au niveau national, ce débat se prolongera l’année prochaine au niveau européen, dans le cadre d’un forum ouvert qui pourrait être par exemple une convention. En 2004, il sera consacré par une Conférence intergouvernementale.
Pour l’essentiel, les thèmes correspondent à ceux que j’avais identifiés dans mon discours au Bundestag : délimiter les compétences entre l’Union et les États membres pour mieux préciser qui fait quoi en Europe ; simplifier les traités pour en assurer une meilleure lisibilité ; préparer les ajustements institutionnels nécessaires pour renforcer l’efficacité de notre système décisionnel ; donner un rôle accru aux Parlements nationaux pour introduire plus de démocratie dans le fonctionnement de l’Union ; et enfin, préciser le statut juridique de la charte des droits fondamentaux afin de mieux ancrer nos valeurs communes.
Ces thèmes, sans être limitatifs, soulignent déjà toute la portée de la conférence de 2004. Elle se traduira sans doute par des aménagements en profondeur de l’édifice progressivement construit. Guidés par notre ambition européenne, par notre quête pour rapprocher l’Europe des citoyens, par le principe de subsidiarité, il nous faudra notamment énoncer, sans timidité, les domaines où nous devrons aller vers plus d’Europe, dans le cadre, souhaité par la France, d’une fédération d’États-Nations.
L’action extérieure
Parmi ces domaines, il y a l’action extérieure de l’Europe. J’ai choisi de vous en parler car notre rencontre s’y prête tout naturellement.
D’abord, ne sous-estimons pas les progrès réalisés ces dernières années. Le haut représentant, aujourd’hui M. Solana, porte désormais la voix de l’Europe dans les Balkans comme à Charm-el-Cheikh. Il est reconnu comme un interlocuteur de premier plan sur la scène internationale. Le Comité de politique et de sécurité, créé par le traité de Nice, s’est mis au travail et devient chaque jour davantage la cheville ouvrière de la Pesc. Il intervient en permanence dans la gestion des crises.
Au cours des prochains mois, les capacités européennes de défense déjà décidées seront mises en place et, si nécessaire, actualisées. Les arrangements négociés avec l’Otan sont satisfaisants. Ils garantissent que l’Europe de la Défense se construit en harmonie avec l’Alliance. Sans doubles emplois inutiles, ils assurent l’autonomie de décision de l’Union qui doit pouvoir, le cas échéant, agir avec ses seuls moyens. Ainsi, à la fin de l’année, le dispositif imaginé à Saint-Malo sera opérationnel. C’est un grand chemin parcouru depuis trois ans !
Cette nouvelle capacité d’action sera naturellement affectée en priorité au traitement des crises qui concernent directement la sécurité de l’Union. Faut-il aller au-delà ? Pour ma part, j’y suis favorable car je considère qu’il est dans la vocation et dans l’intérêt de l’Europe d’apporter une contribution importante à la mise en œuvre des opérations de maintien de la paix de l’Onu.
Depuis des années, le secrétaire général des Nations unies essaie de trouver des solutions au problème du déploiement rapide et efficace des opérations de maintien de la paix décidées par le Conseil de sécurité. Chacun sait que les premiers mois d’une opération sont évidemment les plus difficiles. Ce sont ceux de la mise en place. C’est là que la contribution de l’Europe pourrait être utile, voire décisive. Grâce à ses nouvelles capacités de projection, l’Union pourrait en effet, sur la base bien sûr d’un accord conclu avec les Nations unies, être sollicitée pour le lancement de certaines opérations avant que le relais ne soit pris par d’autres.
Place et rôle de l’UE dans le monde
La France fera des propositions à ses partenaires afin qu’une réflexion soit engagée sur ce thème, qui est un thème important pour la place et le rôle de l’Union dans le monde.
Cependant, malgré ces progrès, l’Union européenne offre encore l’image d’un géant économique dont le poids politique n’est pas à la mesure de sa place dans le monde. Les divergences de fond ou de méthode sont trop fréquentes entre les États membres. Les ambitions diplomatiques pour l’Union sont inégales. La politique extérieure et de sécurité commune se traduit trop souvent par des déclarations reflétant le plus petit commun dénominateur. Que faire pour que l’Europe pèse davantage sur la scène internationale ? Que faire pour lui donner l’élan et la force d’attraction qui lui manquent dans ce domaine ? Pour les prochaines années, je suggère plusieurs pistes dont la combinaison pourrait apporter une réponse.
D’abord renforcer le sentiment d’identité européenne. Pour exprimer à l’extérieur des positions fortes, les pays membres de l’Union doivent mieux affirmer leurs références communes, les valeurs, les principes auxquels ils sont attachés. L’adoption d’une Constitution y contribuerait. Un tel texte rassemblerait les Européens en leur permettant par un acte d’approbation solennelle de s’identifier à un projet. Je constate avec intérêt que cette idée, que j’ai eu l’occasion d’avancer, fait son chemin. Faisons en sorte qu’elle voie le jour en 2004.
Il faut ensuite continuer à étendre le champ des actions extérieures de l’Union. Bien sûr, nous devrons opérer avec discernement mais certaines questions qui ont une dimension internationale forte appellent plus d’intégration. C’est le cas des politiques concernant l’immigration, les réfugiés, la lutte contre la criminalité, la drogue, la prostitution. Sur tous ces sujets, qui touchent la vie quotidienne de nos concitoyens et sur lesquels ils demandent plus d’Europe, nous devons avancer. Ayons à l’esprit la force et l’efficacité que la politique commerciale commune a apportées à l’Europe et à notre pays.
Il faut aussi que les institutions soient adaptées. Dans le domaine international, cette adaptation doit viser, je pense, trois objectifs. D’abord favoriser, sur les principaux sujets internationaux, la recherche d’analyses communes et, surtout, la définition de l’intérêt européen qui est bien davantage qu’un compromis entre les intérêts des États membres. En second lieu, veiller à ce que la voix de l’Europe soit portée avec force et constance, dans la durée. Enfin, assurer complémentarité et cohérence entre les différents intervenants et instruments de l’Union.
La durée, la cohérence, la capacité à définir et porter l’intérêt européen sont indispensables. Or, aujourd’hui, les acteurs qui sont chargés de la politique extérieure de l’Union, c’est-à-dire la présidence, le haut représentant, la Commission, ne disposent pas pleinement de ces trois atouts. Y remédier sera l’une des priorités de la France dans la réforme institutionnelle qui s’engage.
Je pense enfin que, pour avancer, l’Europe aura besoin, après l’élargissement, d’une avant-garde, du groupe pionnier dont j’avais esquissé les contours dans mon discours au Bundestag. La politique étrangère et de sécurité se prête naturellement à des coopérations approfondies au sein d’un groupe d’États, ouvert à tous ceux qui veulent aller plus loin et plus vite. En adoptant des positions convergentes sur des questions essentielles de politique étrangère, en réalisant en commun des projets de défense, quelques pays, l’expérience l’a prouvé, peuvent avoir une force d’entraînement qui bénéficie à tous ceux qui veulent se joindre à cet effort.
Soyons ambitieux. C’est en bâtissant sur nos acquis qu’un long chemin a déjà été fait à un rythme rapide. Poursuivons dans cette voie. J’aurai l’occasion, dans les prochaines semaines, de reparler de l’Europe aux Français.
La sécurité collective
Au moment où les Européens approfondissent leur réflexion sur l’avenir de l’Europe, un autre débat essentiel s’engage. Il concerne les conditions de la sécurité collective. Ses contours commencent à se dessiner à la suite des décisions du président Bush marquant l’intention des États-Unis de se doter d’une défense antimissiles.
J’ai exprimé les interrogations de la France sur ce programme dont les modalités, notamment l’architecture et le calendrier, ne sont pas encore connues. Ces interrogations demeurent. À ce stade, nous souhaitons poursuivre le dialogue engagé sur le plan bilatéral avec nos alliés américains et à l’Otan. Nous ferons connaître notre position, le moment venu, après nous être concertés avec l’ensemble des acteurs concernés et d’abord nos partenaires européens.
Ainsi que je l’ai souligné dans mon discours à l’IHEDN, le 8 juin, les risques associés à la prolifération, même s’ils n’ont rien de nouveau, prennent une autre dimension lorsqu’ils allient le caractère dévastateur des armes de destruction massive aux moyens de les propulser à longue distance grâce aux technologies balistiques. Il n’y a pas de réponse unique à cette menace nouvelle. Les moyens politiques ne doivent pas être négligés. La dissuasion garantit la protection de nos intérêts vitaux. Quant aux capacités de défense antimissiles, qui sont au cœur du débat et dont il faut mesurer l’efficacité et les conséquences, elles sont loin de constituer une nouvelle panacée. Leur développement devrait en toute hypothèse tenir compte, je pense, de deux impératifs :
– d’abord ces capacités antimissiles ne sauraient affaiblir la politique internationale de prévention. Certes, les efforts de non-prolifération nucléaire, chimique et biologique, patiemment développés depuis des décennies, n’ont pas été sans faille. Toutefois, ils ont permis d’empêcher ou de freiner des projets néfastes qui, sans cela, auraient sans aucun doute vu le jour. Il ne faut pas que ces efforts s’enlisent. Les relancer est devenu essentiel.
De tous les États, les pays membres de l’Union européenne sont sans doute les mieux placés pour rappeler les enjeux et redonner un élan à cette politique de prévention. C’est dans cet esprit que les Quinze ont décidé, à Göteborg, à l’initiative de la France, d’adopter une position commune sur la lutte contre la prolifération des missiles balistiques. Position fondée sur l’universalisation du code de conduite international proposé par les États membres du MTCR (1). Je constate avec intérêt que cette démarche est bien accueillie. Je souhaite qu’elle se traduise dès que possible par la convocation d’une Conférence internationale.
– le deuxième impératif concerne l’équilibre stratégique. Il est de l’intérêt général de le préserver au niveau le plus bas possible en évitant une nouvelle course aux armements.
C’est tout l’enjeu de la discussion qui doit se développer, non seulement entre Américains et Russes, mais également avec les autres puissances nucléaires. Au-delà des efforts de non-prolifération et du maintien du rôle de la dissuasion dont j’ai déjà parlé, plusieurs aspects doivent être pris en considération dans cette discussion. J’ai notamment à l’esprit les éléments constitutifs du traité ABM (2), la nécessité d’un plus grand effort de désarmement nucléaire des États-Unis et de la Russie et la non-militarisation de l’espace.
Ces sujets sont de natures différentes. Certains concernent au premier chef les États-Unis et la Russie ; d’autres sont plus larges. Dans ce débat d’où émergera un nouveau cadre stratégique de stabilité, la France continuera à faire entendre sa voix. Elle considère que l’idée d’engager des consultations sur ces sujets entre les cinq puissances nucléaires mérite considération.
Œuvrer pour la paix
Plus d’Europe, plus de sécurité mais aussi plus de paix dans le monde.
Les Balkans
De toutes les situations de crises, celle des Balkans retient d’abord notre attention. Notre pays, avec ses partenaires de l’Union, les États-Unis et la Russie, y est engagé, sans doute pour un temps. Milosevic est en prison. Il va rendre compte de ses crimes à la justice internationale. Sa politique a été défaite mais les événements récurrents en Macédoine et au Kosovo nous rappellent que les germes de déstabilisation n’ont pas été éradiqués pour autant. Les partisans de la violence doivent savoir que notre détermination collective à empêcher l’aboutissement de leurs projets est totale.
En même temps, les actions diplomatiques comme les actions sur le terrain doivent se poursuivre. Actions en Macédoine, où, sous l’impulsion de M. François Léotard, représentant de l’Union européenne, le dialogue a permis d’aboutir à un accord politique fixant les principes d’une coexistence pacifiée entre les différentes communautés macédoniennes au sein d’un État uni et démocratique. Cet accord politique a ouvert la voie à l’intervention de l’Otan pour collecter les armes. Il s’agit d’un préalable nécessaire au rétablissement d’une situation apaisée. Je tiens ici, bien sûr, au moment même où l’opération vient d’être lancée, à saluer les soldats français qui participent à cette nouvelle mission de paix.
Cette situation est encore fragile et les factions extrémistes menacent toujours la volonté de paix du plus grand nombre ; mais une dynamique a été créée. L’Union européenne a pesé de tout son poids pour que le dialogue prenne le pas sur la confrontation, pour qu’une solution politique prévale sur une option militaire sans issue. Depuis plus de dix ans de crises balkaniques, c’est la première fois qu’une véritable action diplomatique préventive aura été menée. L’Union européenne est au cœur de cette action et je m’en réjouis.
Actions, aussi, au Kosovo pour que les élections prochaines se déroulent dans des conditions qui garantissent la stabilité et l’autonomie substantielle prévue par la Résolution 1244 du Conseil de sécurité. Actions, enfin, pour favoriser en république fédérale de Yougoslavie, comme partout dans la région, les évolutions vertueuses et la démocratie.
C’est en effet par le dialogue et les réformes que doivent se régler les difficiles problèmes de cette région. Les pays des Balkans occidentaux, s’ils suivent cette voie, pourront un jour rejoindre l’Union européenne. D’ores et déjà elle leur tend la main en leur offrant des accords de stabilité et d’association. Tout autre chemin les mènerait à l’impasse. C’est le message du sommet de Zagreb, réuni — vous vous en souvenez — à l’initiative de la France à l’automne dernier, message qui a reçu un large écho. C’est désormais sur cette base, solide et claire, que se fonde la politique européenne dans la région.
Tel est le sens de ma prochaine visite à Belgrade. J’irai rendre hommage aux efforts courageux de ceux qui, depuis près d’un an, luttent pour imposer la démocratie. Je leur apporterai l’encouragement de la France à aller plus loin pour rendre ce mouvement irréversible. À un peuple et un pays dramatiquement appauvris par dix ans du régime de Milosevic, je redirai notre solidarité et notre volonté de les accompagner dans l’accomplissement de leur vocation européenne.
Le Proche-Orient
Au Proche-Orient, hélas, le bruit des armes a remplacé l’espoir né, il y a un an, à Camp David. Comme chaque fois que l’on se rapproche de la paix, les forces qui y sont hostiles se déchaînent. Rarement la situation a été aussi grave, au point de menacer la stabilité même de toute la région.
Que faire ? Les principes sur lesquels doit reposer la paix ont été énoncés clairement par les Nations unies : les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité. Leur force est intacte. La conférence de Madrid, il y aura bientôt dix ans, en a réaffirmé le cap : l’échange de la terre contre la paix. S’en détourner serait se détourner d’un règlement juste et durable. Les recommandations de la commission Mitchell, aux travaux de laquelle l’Union européenne a pris une part active, ont tracé un cadre et un chemin clair et équitable ; mais la paix dépend d’abord de la volonté de ceux qui s’affrontent.
Israël n’obtiendra pas la sécurité à long terme, à laquelle son peuple aspire si légitimement, sans la pleine reconnaissance d’un État palestinien digne et viable, ni un accord de paix avec l’ensemble des pays arabes. De la même manière, les Palestiniens n’obtiendront pas la pleine reconnaissance de leurs droits légitimes et de leur État sans nouer des liens politiques, sociaux et économiques forts avec Israël.
En ces temps où la violence prévaut, la mobilisation de la communauté internationale reste forte pour prévenir un embrasement généralisé et ramener les protagonistes à la table des négociations. La France et l’Europe, actives aux côtés des États-Unis, sont déterminées à aider Israël et l’Autorité palestinienne à trouver le chemin d’un règlement, et à les accompagner ensuite dans sa mise en œuvre par des garanties, par un soutien dans la construction des infrastructures et par une mobilisation de tous les moyens de la communauté internationale. La France soutient et continuera de soutenir ceux qui, en Israël comme en Palestine, privilégient la voie du dialogue, si difficile soit-il. La force et la violence qui nourrissent la haine ne ramèneront ni la sécurité, ni la paix.
Cependant, pour être durable, la paix doit être globale. La même détermination, le même engagement existent dans la recherche de la paix sur les volets israélo-syrien et israélo-libanais.
C’est dans cet esprit que la France a reçu en juin dernier le président Bachar El Assad en visite d’État. Notre objectif est d’œuvrer à rétablir le dialogue, et à renouer le fil des négociations entamées il y a maintenant huit ans entre le président Hafez El Assad et le Premier ministre Yitzhak Rabin. Là aussi, c’est affaire de volonté.
Enfin le Liban, où je me rendrai prochainement à l’occasion du Sommet de la Francophonie, a besoin, lui aussi, de cette paix juste, durable et globale pour pouvoir s’épanouir en toute indépendance et en bonne entente avec ses voisins.
La France souhaite que l’autorité de l’État libanais puisse s’exercer sur l’ensemble de son territoire. Elle se tient aux côtés du gouvernement libanais engagé dans des réformes économiques absolument indispensables. Pour produire leurs effets, ces mesures courageuses doivent jouir, je le rappelle, d’un environnement légal et judiciaire qui garantisse les libertés individuelles et collectives, assure l’État de droit et la démocratie, favorise les investissements étrangers et encourage la communauté internationale à soutenir ces réformes.
La France est déterminée à aider ce pays ami et francophone, contribuant ainsi à une plus grande stabilité dans la région.
Afrique centrale
En Afrique centrale, l’espoir de voir enfin appliquer les accords de Lusaka s’est renforcé ces derniers mois. Le président Joseph Kabila a fait des gestes d’ouverture. L’implication du Conseil de sécurité des Nations unies est devenue plus forte, plus lisible ; le retrait des troupes étrangères du territoire de la république démocratique du Congo a été engagé et le désarmement des divers groupes armés est devenu envisageable.
L’expérience nous rappelle cependant que la route vers la paix, dans cette région traversée par des conflits internes et externes, est une route pleine d’embûches. C’est pourquoi il faut plus que jamais faire preuve de détermination et de constance pour convaincre toutes les parties de respecter pleinement leurs engagements.
Tel est le souhait de l’Union africaine, exprimé au sommet de Lusaka, en juillet. Tel est l’état d’esprit de la France qui agit en concertation avec ses partenaires du Conseil de sécurité et le secrétaire général des Nations unies. Telle doit être enfin la volonté de l’Union européenne, dont l’engagement nous paraît indispensable dans ce processus.
Comme l’a encore réaffirmé très récemment le ministre des Affaires étrangères, la France soutient pleinement les orientations retenues par la présidence belge : il faut que l’Europe tout entière se mobilise pour apporter à cette région les appuis nécessaires à son redressement. Et le moment venu, lorsque les progrès réalisés le permettront, il faudra redonner vie à l’idée de la Conférence des grands lacs avec plusieurs objectifs : régler de manière durable les questions de sécurité ; asseoir les droits de l’homme et enfin, relancer sur des bases solides, avec l’aide de la communauté internationale, le développement d’une région dont l’avenir commande en grande partie celui du continent.
Une nouvelle gouvernance mondiale
Depuis une décennie, la fin du monde bipolaire, la mondialisation et la société de l’information, sont autant d’évolutions dont la France, sans aucun doute a tiré avantage. Elle a apporté toute sa contribution à la victoire des valeurs sur lesquelles repose sa société. Avec les États-Unis, elle entretient des relations proches, fondées sur une histoire partagée, sur la participation à une même alliance. Pour autant, elle a su préserver sa place originale, comme son influence sur la scène mondiale encore renforcée par la construction européenne. Forte des talents de son peuple, dynamique, compétitive, ouverte sur l’Europe et sur le monde, la France bénéficie pleinement de la globalisation.
Notre pays continue et continuera cependant de plaider pour un monde multipolaire, car dans toute société il faut des équilibres et des règles pour favoriser l’épanouissement de tous.
Cet objectif est celui de la France. Nous souhaitons qu’il soit celui de l’Europe tout entière, une Europe qui doit devenir l’un des principaux pôles d’équilibre du monde de demain et lui apporter sa vision propre. L’Europe qui affirme sa volonté de promouvoir les valeurs universelles de l’humanisme : respect des droits de l’homme, diversité culturelle, esprit de solidarité, éthique des sciences et de l’action. L’Europe qui en défendant le protocole de Kyoto exprime son aspiration à l’exercice d’une souveraineté partagée sur la planète et ses ressources. L’Europe qui souhaite que la vie internationale s’organise autour d’un véritable dialogue.
Parce qu’elle plaide pour plus d’équilibre, la France est attachée à renforcer ses liens et ceux de l’Europe avec les principales puissances qui s’affirment en ce début du XXIe siècle. C’est avec cette ambition que je me suis rendu ces dernières années, parfois en qualité de président de l’Union, aux États-Unis, en Russie, en Chine, en Inde, au Japon, au Brésil.
Le dialogue que la France poursuit activement depuis quelques années avec chacun de ces pôles conforte celui que développe désormais l’Union européenne. Ce dialogue mené par l’Union se densifie et se diversifie progressivement. C’est ainsi que, sous présidence française, ont été lancés un partenariat stratégique entre l’Union et la Russie et un nouveau plan d’action euro-japonais. Pour tenir compte de ces évolutions, nous devons améliorer l’organisation institutionnelle de ces rencontres. Préparons mieux les sommets bilatéraux de l’Union, quitte à ce qu’ils soient moins nombreux mais plus riches en substance.
Parce qu’elle plaide pour plus d’équilibre, la France est par ailleurs attachée à ce que le Conseil de sécurité des Nations unies joue pleinement son rôle. Soyons attentifs à ce que sa légitimité ne soit pas affectée par une insuffisante représentativité. Les discussions sur la question de l’élargissement — complexe s’il en est — ont suffisamment duré. Aussi, sommes-nous déterminés à soutenir les initiatives que pourraient prendre les pays qui ont sans conteste vocation à rejoindre les membres permanents, ceci afin de lever le blocage actuel.
Enfin, parce qu’elle plaide pour plus d’équilibre, la France œuvre pour que les règles qui régissent la société internationale soient élaborées avec une participation active de tous, et en particulier des plus pauvres qui subissent, sans pouvoir y faire face, les effets de la mondialisation. Il est indispensable de bien les associer dès le stade de la conception, en amont des réunions des organisations internationales où se concluent les négociations.
Voilà pourquoi j’ai proposé la tenue en 2003, lorsque notre pays présidera le G8, d’un sommet restreint mais représentatif de la diversité du monde. Outre les membres du G8 et les pays émergents, les pays les moins avancés (PMA) doivent y être bien représentés. Travaillant notamment à la réalisation des objectifs prioritaires fixés par les grandes conférences de l’Onu, ce sommet favoriserait une approche coordonnée des problèmes globaux. Cela nous aiderait, dans le cadre des institutions internationales, à gérer plus efficacement ensemble ce que l’on appelle désormais, à juste titre, nos « biens communs mondiaux ».
Cette idée a fait son chemin à Gênes. Le dialogue que nous avons d’ores et déjà lancé à cette occasion avec plusieurs chefs d’État du Sud est un dialogue prometteur. En apportant son soutien à la Nouvelle initiative pour l’Afrique, le G8 s’est engagé à y répondre dans un esprit de partenariat. Notre pays veillera à ce que la procédure de concertation avec l’Afrique, mise en place à Gênes, se traduise par des résultats concrets dès le prochain sommet au Canada.
Depuis Seattle, les grandes conférences sont l’occasion de manifestations qui rassemblent des dizaines et des dizaines de milliers de femmes et d’hommes venus du monde entier exprimer leur inquiétude et leur volonté d’être mieux entendus. Ces manifestants en sont venus souvent à contester le principe même des réunions internationales ; mais je voudrais leur dire que, sans ces rencontres, le monde serait sans foi ni loi, soumis au seul jeu de la domination du plus fort.
Je voudrais leur dire que ces sommets de représentants élus des pays et des peuples, sont inspirés par le souci d’apporter de vraies réponses aux problèmes qui se posent aujourd’hui. Je voudrais leur rappeler que c’est aux impulsions décisives données par le G8, qui exprime non pas un pouvoir mais une responsabilité, que l’on doit le protocole de Kyoto sur le changement climatique, la fermeture de la centrale de Tchernobyl, le Fonds mondial pour la santé, l’annulation de la dette des pays les plus pauvres ou la lutte contre le blanchiment de l’argent de la drogue et de la prostitution. Pour ne citer que quelques points essentiels.
Certes il ne faut pas laisser faire la minorité qui prétend opposer les gouvernements légitimes à la société civile. Cependant, face à l’inquiétude provoquée par une mondialisation insuffisamment maîtrisée, nos démocraties doivent entendre le message qui leur est adressé. Si elles doivent lutter contre les casseurs, elles doivent s’ouvrir au dialogue avec ceux que le dialogue intéresse. Elles doivent mieux prendre en compte leurs aspirations. Elles doivent répondre à l’émergence d’une conscience citoyenne mondiale en affirmant dans la vie internationale les valeurs qu’elles pratiquent dans la vie nationale.
C’est pourquoi nous devons mettre en place une nouvelle forme de gouvernance mondiale qui établisse à l’échelle internationale le dialogue social fondamental dans la vie démocratique. La route est déjà tracée. Depuis quelques années les entreprises, les syndicats, les ONG, sont davantage associés, consultés, ce qui leur impose d’ailleurs un devoir de transparence et de responsabilité ; mais il faut aller plus loin, mieux organiser les consultations, mieux prendre en compte la connaissance des problèmes et du terrain des ONG, leur engagement généreux qui en font sans aucun doute des partenaires à part entière.
C’est dans cet esprit que je les ai rencontrées cette année avant de me rendre à la Commission des droits de l’homme ou à la IIIe conférence des pays les moins avancés. C’est dans cet esprit également que j’avais annoncé l’année dernière la disponibilité de la France à accueillir un rassemblement mondial de la société civile pour préparer, dix ans après Rio, la prochaine conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement durable. Cette suggestion a recueilli un écho favorable. Je m’en réjouis.
* * *
Comme les entreprises, qui ont fait un effort d’adaptation remarquable pour faire face à la concurrence internationale, l’État doit se réformer. C’est une tâche difficile mais prioritaire. Le ministère des Affaires étrangères, dans une conjoncture budgétaire dont vous connaissez, hélas, toutes les exigences, la poursuit activement à tous les niveaux. La modernisation de l’outil diplomatique accompagne l’ouverture du ministère sur la société civile, à Paris et dans les postes. Cette ouverture, dont le ministre et moi-même vous avaient parlé lors de notre précédente rencontre, enrichit votre métier.
Je connais bien la plupart d’entre vous. Je lis avec intérêt votre correspondance. En six ans, au cours de nombreuses visites d’État ou de travail, j’ai pu apprécier votre efficacité et votre dévouement. Votre compétence aussi. Vous intégrez pleinement dans votre métier les évolutions de notre temps. Cela n’est pas toujours perçu à l’extérieur mais ceux qui ont recours aux services des ambassades et du ministère savent qu’ils peuvent compter sur vous. Votre corps peut s’enorgueillir de la contribution essentielle qu’il apporte à la défense des intérêts de la France.
Vous allez dans les prochains jours travailler en séminaire autour de M. Védrine. Je ne doute pas que, sous son impulsion, cette conférence, comme les précédentes, apportera sur de nombreux sujets des informations nouvelles, des éclairages originaux, des propositions utiles. Je rencontrerai au cours de cette semaine certains d’entre vous, notamment ceux qui sont en mission dans des pays où prévalent des situations de crise, et je leur ferai part de mes instructions.
Je vous remercie toutes et tous pour le travail que vous accomplissez, et qui fait honneur à la France, et je vous souhaite à tous un plein succès. ♦
(1) MTCR : Missile Technology Control Regime.
(2) ABM : Anti Balistic Missile.