Les véritables enjeux du projet de défense antimissiles, désormais lancé par George W. Bush sur des bases plus larges que celles du programme Clinton, portent moins sur la protection des États-Unis contre les « États voyous » comme le proclament les déclarations officielles, que sur la disparition à terme de la stratégie de « destruction mutuelle assurée », stratégie qui avait dominé la guerre froide.
En dépit des réactions condescendantes que l'on note en France et qui s'efforcent de jeter le doute sur le sérieux de l'entreprise, la Missile Defense (MD) est faisable, dans le sens où les perspectives technologiques d'aujourd'hui laissent prévoir qu'étape après étape, l'efficacité stratégique voulue sera atteinte. Le rythme de développement dépendra évidemment de l'évolution des menaces et des priorités de défense, surtout après les attentats du 11 septembre. Mais la MD fait déjà partie intégrante du jeu stratégique, dans lequel les États-Unis renforceront encore leur suprématie militaire grâce à elle. Les craintes souvent évoquées d'une nouvelle « course aux armements » qui serait due à la MD n'ont guère de fondement, du fait que les ressources manquent chez les compétiteurs possibles pour une surenchère de l'attaque sur la défense, qui risquerait d'ailleurs d'être peu rentable.
En fait les passions suscitées en Europe par la MD paraissent d'autant plus étranges qu'elles tendent à détourner l'attention d'un enjeu qui, la dépassant largement, est plus important pour les Européens, à savoir la maîtrise de l'espace. Les rapports de forces et les perspectives de développements civils et militaires dans l'espace sont très fortement en faveur des États-Unis. Si l'Europe veut pouvoir défendre ses intérêts dans ce domaine et influer sur la stratégie américaine autrement que par des déclarations médiatiques, elle doit être présente dans l'espace, et d'abord sur le plan des capacités d'information.