Les Enjeux stratégiques de l'Espace
Il est inutile de présenter à nos lecteurs Thierry Garcin, puisque nous avons eu souvent l’occasion d’appeler leur attention sur ses ouvrages. Aujourd’hui, le producteur très estimé de l’émission quotidienne sur France Culture intitulée « Les enjeux internationaux » nous présente ceux de l’Espace, où la compétition technique, la concurrence commerciale, la rivalité militaire, ont remplacé le rêve, sinon l’aventure. Et, dans son introduction, il appelle notre attention sur les particularités des projets concernant l’espace, à savoir les liens qui existent entre programmes civils et programmes militaires ; la globalité des enjeux qui en résultent ; la réversibilité souvent constatée des projets grandioses ; le rôle dominant, pour ne pas dire dominateur, qu’y occupent les États-Unis ; le rôle incitatif qu’y a joué la France en Europe ; et enfin la simple marque de prestige qu’y recherchent parfois « les plus petits ».
Cette grille de lecture va être argumentée par l’auteur dans ses premiers chapitres qui traitent successivement, et avec de nombreuses précisions, de l’histoire de « l’espace et la dissuasion nucléaire », de celle du programme « Initiative de défense stratégique » (du président Reagan), suivie par l’« Initiative de défense limitée » (des présidents Bush et Clinton), et les réactions qui en résultèrent sur « le Vieux Continent » et chez « les Partenaires extra-européens », en particulier en Russie et au Japon. Et l’auteur en tire alors la conclusion que, compte tenu des rivalités économiques et commerciales grandissantes, « l’Europe devrait rester stratégiquement vassale ou sous tutelle des États-Unis ». Une Initiative de défense tactique (IDT) lui a d’ailleurs déjà été proposée, s’appuyant sur une « Alliance atlantique réformée et élargie… » ; moyennant quoi « l’espace permettra donc, de plus en plus, l’imposition d’une souveraineté limitée ».
Les trois chapitres qui vont suivre nous replongent dans l’actualité. Ils traitent, en effet, de l’utilisation de l’espace dans les récents affrontements, puis, avec d’intéressantes précisions, des dispositifs américains actuellement en service, avec un aperçu sur les armes antimissiles, et aussi, ce qui est moins connu, sur les armes « antisatellites ». Enfin sont évoquées, de ces différents points de vue, les situations des « États perturbateurs », en Asie bien sûr, mais aussi, ce qui nous concerne plus directement dans le « bassin Méditerranéen », surtout lorsqu’il s’agit du « cas israélien » puisqu’il est peu connu et que l’on n’en parle jamais. Suit alors une conclusion partielle, dans laquelle nous retiendrons l’énoncé suivant : « outil de première importance dans la prévention et la gestion des crises, le spatial constitue d’abord une aide à la décision politique ».
Si tout ce qui précède constitue un ensemble de données qui permettront aux chercheurs de mieux comprendre le rôle qu’a joué l’espace dans notre histoire contemporaine, les chapitres qui suivent vont leur permettre de réfléchir à l’avenir de « la géopolitique de l’espace ». Pour ce qui concerne l’Europe, notre auteur constate que si la France y a exercé un rôle majeur, c’est qu’elle était forte du savoir faire dont elle avait donné la preuve avec l’édification, de sa « force de frappe », par ses seuls moyens ; moyennant quoi, elle a participé pour environ 40 % au financement de l’« espace européen » (pour Ariane près de 60 %). Mais dans ce domaine, comme dans d’autres, l’Europe pèche surtout par ses interrogations ; et Thierry Garcin donne en exemple l’histoire du programme Helios, resté limité à la France, l’Italie et l’Espagne, alors que l’Allemagne s’est dégagée du programme Osiris et que la station satellitaire de Torrejon s’interroge sur son avenir. Pour l’écoute électronique les projets n’ont pas manqué non plus, mais les réalisations se font aussi attendre, faute dans ce domaine comme dans d’autres, d’une réelle ambition politique, ou seulement d’autonomie dans le cadre transatlantique. Et pourtant les enjeux sont majeurs à l’aube du XXIe siècle, comme l’auteur y insiste dans le dernier chapitre de son ouvrage, où il traite du rôle de l’espace dans l’exercice du pouvoir politique et des rapports de force. À ce propos, il nous offre une très intéressante description des moyens de la National Security Agency américaine, et en particulier de son système Echelon pour l’écoute des communications échangées à travers le monde, et en particulier en Europe.
Après l’évocation des nouveaux projets de défense antimissiles américains, tombe alors la conclusion : « multiplicateur de forces… et dénominateur commun à des systèmes d’armes essentiels… l’espace est désormais au cœur de la grande stratégie des États ». Suivent encore une douzaine d’annexes techniques qui mettent à la disposition des chercheurs des informations difficilement accessibles, comme « les capacités japonaises » en la matière, « les principales fonctions des satellites », « les promesses du programme Ariane 5 », « l’utilisation prometteuse des drones », « le monopole américain du GPS » et « le programme du GPS européen Galileo ». Si nous ajoutons que Thierry Garcin met aussi à notre disposition, pour finir, une « bibliographie commentée », nous pouvons constater qu’il a parfaitement exécuté la mission qu’il s’était fixée de nous alerter sur « les enjeux stratégiques de l’espace ». ♦