La vérification de l'élimination de l'arme chimique
Ici point de valences doubles ou triples, de formules en forme d’hexagone ni d’odeur de moutarde, pas plus que de considérations politico-stratégiques comme celles que l’amiral Duval développa avec talent à plusieurs reprises dans ces colonnes, mais une étude purement juridique des mécanismes d’application liés à la Convention de 1993. Le travail est sérieux, processionnel, parfois un peu répétitif, à l’image des 150 pages et des 24 articles du texte de la Convention (beaucoup plus précis et contraignant que celui de son prédécesseur, le protocole de Genève de 1925) et à celle de l’« entité vérificatrice » qu’elle a créée, l’OIAC, « véritable machine… disposant d’un arsenal procédural et normatif ». Nous sommes en faculté de droit : la structure ternaire du livre (trois parties de chacune trois chapitres) est du plus beau classicisme, la table des matières dessine des mailles étroites et les transitions ne sont jamais oubliées. Mais, de même que le régime de vérification tient la plus grande place dans le document de Paris, de même – et logiquement – un chapitre majeur intitulé « L’établissement des faits » occupe le tiers de l’ouvrage : il s’agit alors des inspections qui vont compléter des déclarations où peuvent se glisser mauvaise foi ou incompétence.
Nous avons là une illustration frappante de la façon dont, dans la poursuite d’un but apparemment fort simple, se déclinent des procédures complexes, car les obstacles et les particularités se multiplient sous les pas des experts : produits binaires ou antiémeute, classement en tableaux en fonction de la dangerosité et de l’adaptation aux emplois militaires, armes immergées ou abandonnées après conflit (comme l’affaire de Vimy vient de le rappeler), coût élevé de la destruction, rythme des opérations à harmoniser avec celui qu’adoptent les autres détenteurs… En même temps, il importe de respecter l’indépendance et la dignité des États visités, de ne pas heurter les législations nationales et d’éviter de franchir la limite souvent floue et économiquement sensible entre fabrications d’armement et industrie chimique privée. C’est pourquoi on visera au cours des inspections une « démarche coopérative » et on appliquera des modalités d’intervention définies avec plus de précision : accès, durée, manipulation, photographie, prélèvement d’échantillons, entretiens avec le personnel… Ce n’est qu’en cas de soupçon de violation grave qu’on sortira de la retenue pour adopter par la « mise en demeure » une attitude proche de la perquisition. Mais dans toutes les situations, prudence et souplesse resteront de rigueur, les « intrusions inutiles » seront proscrites et la nature des sanctions éventuelles reste largement dans le vague. Les inspecteurs, tenus à une « discrétion absolue et draconienne » ne sont pas des juges ; la constatation des faits leur revient et non leur interprétation.
Le juriste sourcilleux relève bien des ambiguïtés (peut-être voulues ou au moins tolérées par les négociateurs ?) des « friches juridiques » et des « expressions énigmatiques », mais ne les condamne pas car il constate le manque d’expérience en la matière. On se trouve face à une « nouvelle génération d’inspections par défi sans droit de refus », où les investigations ne se bornent pas à « déceler les violations significatives, mais également à détecter les manquements aux obligations de transparence ». Une solution consiste alors à comparer avec les autres dispositifs correspondant aux facteurs N (nucléaire) et B (biologique), moins ambitieux selon l’auteur, le facteur C (chimique) étant en outre plus délicat à traiter, car moins « étatique » que le N et plus répandu : « L’OIAC doit exercer une surveillance sur plusieurs milliers d’installations d’une industrie chimique traditionnellement très développée ». Pour Jocelyn Clerckx, l’application fera « office de test ». On pourrait ajouter qu’elle marquera soit un renforcement du pouvoir des experts, soit (plus vraisemblablement) une étape supplémentaire vers le gouvernement des juges.
Un souhait final (valable pour d’autres sujets de ce genre) de lecteur désireux de s’informer sans se poser en spécialiste : que de tels ouvrages complets, bourrés de références, progressant pas à pas, à coup sûr indispensables dans le monde universitaire, soient complétés par une version abrégée destinée, comme l’évoque la préface, non plus à « combler d’informations et de conseils les autorités chargées d’appliquer le mécanisme », mais à bien situer le problème au niveau du « citoyen épris de paix ». ♦