L'Afghanistan est un espace enclavé qui a, pourtant, été un verrou stratégique convoité par ses voisins. La variété des ethnies, que l'on regroupe entre Pachtouns (environ 40 % de la population) et non-Pachtouns a rendu toujours délicat l'exercice du pouvoir à Kaboul. Les luttes fratricides entre moudjahidin après le départ des troupes soviétiques facilitèrent l'arrivée des taliban, soutenus par le Pakistan. Ceux-ci aggravèrent la division et la fragmentation du pays sur des bases religieuses et tribales et enfoncèrent le pays dans une économie de contrebande. Avec l'installation de bases du groupe Al-Quaïda, le régime des taliban a pu bénéficier du soutien armé de Ben Laden : isolé, ce régime s'est radicalisé puis s'est trouvé en confrontation directe avec les États-Unis et une large partie de la communauté internationale. L'Onu et l'Union européenne réfléchissent déjà à l'avenir de ce pays, après le départ des taliban. Il faudra recomposer la délicate texture ethnique, trouver des formules acceptables pour les Afghans et reconstruire ce pays abîmé par vingt années de guerre et de troubles.
Géopolitique de l'Afghanistan
« Avec tes ennemis, patiente, et avec tes amis, pardonne » (proverbe afghan)
Espace cloisonné, isolé de la mer, l’Afghanistan a été, pourtant, traditionnellement un verrou stratégique convoité par ses puissants voisins (Persans, Indiens et Russes). À la fois forteresse montagneuse ceinturée de steppes et de déserts et lieu de passage sillonné de vallées, ce pays rude relie les steppes d’Asie centrale à la vallée de l’Indus. Il a été longtemps la proie de rivalités régionales, d’autant plus fortes qu’il n’était guère unifié lui-même ; pour citer l’ethnologue suisse Pierre Centlivres, « l’Afghanistan est un État faible avec une forte culture ». La géographie influe sur le processus politique : un monde clos de vallées habitées par des clans souvent hostiles ne prédispose guère à l’unité. D’où la difficulté à être un véritable État et l’extrême porosité des frontières afghanes, tant avec le Pakistan (à cause des populations pachtounes des deux côtés de la frontière) qu’avec les pays musulmans d’Asie centrale (en particulier le Tadjikistan où la majeure partie de la population est persanophone comme le sont les Tadjiks afghans).
Au XIXe siècle ce pays fut, on le sait, au centre de ce « grand jeu » que se livraient la Russie, dans sa poussée vers l’Ouest de l’Asie en direction des mers chaudes, et la Grande-Bretagne, soucieuse de protéger le vaste Empire britannique des Indes de l’influence russe. Les Russes firent des incursions par-delà le fleuve Oxus (l’Amou Daria qui sépare l’actuel Ouzbékistan de l’Afghanistan) dans le Turkestan afghan, et ne furent arrêtés que par la chaîne montagneuse de l’Hindou Kouch ; de leur côté, les Britanniques connurent de fréquentes incursions de montagnards pachtouns qui voulaient les repousser loin de ce « Pachtounistan », à cheval entre le Sud de l’actuel Afghanistan et le Nord-Ouest de l’Empire des Indes, en partie occupé par les troupes anglaises. Les Afghans infligèrent de sérieuses pertes tant aux Russes qu’aux Anglais. Aussi, pour mettre fin à ces rivalités sur le terrain, la Russie et la Grande-Bretagne décidèrent de neutraliser ce carrefour stratégique qu’était l’Afghanistan : à cette fin, ils établirent des frontières et, partant, mirent en place une structure étatique incarnée par une des grandes tribus pachtounes, les Dorrani, qui était présente à Kaboul depuis la moitié du XVIIIe siècle et dont est issu le dernier roi d’Afghanistan, Zaher Shah. Il n’est pas sans importance que les Pachtouns incarnent le pouvoir politique à Kaboul depuis deux siècles et demi : les taliban sont des Pachtouns, comme l’étaient aussi les dirigeants communistes afghans qui prirent le pouvoir en 1978. Notons, toutefois, que les taliban n’ont en rien une politique nationaliste pachtoune. C’est d’abord un régime clérical, d’origine paysanne, appuyé sur des réseaux locaux, qui a instrumentalisé l’islam pour prendre le pouvoir.
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