Afrique - Burundi : Alternance ethnique à la tête de l'État
Le Burundi, petit pays d’Afrique centrale de 27 000 kilomètres carrés et peuplé de plus de 6 millions d’habitants, a connu depuis son indépendance en 1962 une gestion politique essentiellement basée sur l’ethnie. L’échiquier politique burundais, excessivement bipolarisé, a toujours été dominé par les Tutsis (15 % de la population) sur les Hutus (85 %). Le major Pierre Buyoya, qui prend le pouvoir en septembre 1987, tente alors de faire évoluer cette situation politique en nommant un Premier ministre hutu. Il fait également adopter par référendum une nouvelle charte de l’unité nationale, puis, en 1992, une nouvelle Constitution ; il instaure le multipartisme et interdit les partis ethniques, régionaux et religieux ; il forme également un gouvernement à majorité hutue. En 1993, des élections démocratiques portent Melchior Ndadaye et une majorité hutue au pouvoir ; mais, l’assassinat de ce dernier en octobre de la même année, les massacres ethniques qui s’ensuivent et le contexte chaotique de la sous-région des grands lacs, ont plongé le Burundi dans une longue phase d’instabilité, qui finit en 1996 par le retour en force de l’ancien président Pierre Buyoya.
Après sa mise au ban par la communauté internationale extra-continentale et un embargo contre le Burundi par les pays de la sous-région, Pierre Buyoya est contraint d’accepter le principe de négociations sous l’égide d’un médiateur, en l’occurrence Julius Nyerere. Lorsque Nelson Mandela reprend la médiation, rien n’a véritablement évolué. Il parvient, néanmoins, à mobiliser davantage la communauté internationale, à restructurer la négociation et à établir un projet d’accord. Après plusieurs mois de manœuvre pour obtenir la signature des différentes parties au conflit qui fait de nombreuses victimes et déplace les populations, Mandela va arracher, le 28 août 2000 à Arusha en Tanzanie, un accord de paix qui sera difficile à appliquer. De fait, plusieurs mouvements armés tutsis et hutus dénoncent cet accord et continuent de faire régner la terreur dans les villes et villages du Burundi.
L’acharnement de Nelson Mandela
Sans se laisser déborder par la tournure des événements, Nelson Mandela multiplie encore plus les rencontres entre les frères ennemis burundais. Le 11 octobre 2001 à Johannesburg, en Afrique du Sud, marque une étape importante dans ce processus commencé à Arusha. À la différence des précédents entretiens, le rendez-vous de Johannesburg a connu la participation aux travaux de deux boycotteurs invétérés, les représentants des Forces de défense de la démocratie (FDD) et ceux du Front national de libération (FNL), deux mouvements rebelles longtemps restés en marge des négociations de paix. À l’ordre du jour, négocier les textes de lois qui devront désormais régir la transition, les tractations pour une cessation effective des hostilités dans le pays ainsi que les démarches visant à mettre sur pied une unité spéciale de protection des futures institutions transitoires et des personnalités politiques qui vont rentrer d’exil.
Le 1er novembre 2001 — date d’entrée en vigueur des accords de paix interburundais d’Arusha — les hommes politiques hutus et tutsis se sont symboliquement rencontrés pour la mise en place officielle du gouvernement de transition à Bujumbura. La persévérance du médiateur a payé car, avec l’accord de dix-neuf partis politiques du Burundi, le major Pierre Buyoya conserve le fauteuil présidentiel. À ses côtés comme vice-président, le secrétaire général du Front pour la démocratie au Burundi (Frodebu), Dominique Ndayizeye, un Hutu.
Nelson Mandela s’est appliqué à trouver une solution qui assure une juste répartition des pouvoirs entre les deux principales ethnies du pays. Deux périodes de dix-huit mois ont été retenues pour assurer une transition ethnique tournante entre Tutsis et Hutus : après les dix-huit mois du major Buyoya, Tutsi, ce sera à un Hutu de diriger la transition secondé par un Tutsi. La composition du gouvernement est aussi équilibrée que possible : les Hutus détiennent quatorze portefeuilles, dont l’Intérieur et la Sécurité publique, ce qui leur donne le contrôle de la police ; les Tutsis ont douze postes, dont celui de la Défense et des Finances.
Pierre Buyoya s’est engagé à procéder à des élections locales et régionales avant la fin de son mandat. Le scrutin présidentiel, démocratique et multipartiste est prévu en 2004.
Les défis des équipes dirigeantes
Le consensus politique ne signifie pas pour autant la paix civile. Les armes à feu crépitent toujours dans les villes et villages burundais.
La nouvelle équipe dirigeante doit donc, de façon urgente, obtenir un cessez-le-feu de la part de deux récents groupes rebelles hutus hostiles à l’accord de paix, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD) et le Parti pour la libération du peuple hutu-Forces nationales de libération (Palipehutu-FNL). Il faudra également exiger des extrémistes tutsis qu’ils cessent de tenir des propos belliqueux, dont l’effet pourrait être désastreux, à l’encontre des troupes sud-africaines déployées dans le pays pour la protection des hommes politiques rentrés d’exil ; ce qui dénote du climat de tension existant entre les deux ethnies. Par ailleurs, la résolution de cette guerre civile, qui a fait plus de 250 000 morts depuis 1993, passe aussi par une réforme profonde de l’armée actuellement dominée par les Tutsis. Les accords d’Arusha prévoient d’y incorporer des soldats hutus et d’établir l’égalité numérique entre les deux ethnies, mais il n’y a toujours pas de calendrier fixé pour leur recrutement. Sans l’intégration des rebelles dans les troupes régulières, la stabilité du pays est impossible. Le rôle de la communauté internationale apparaît dès lors important pour soutenir le colossal travail de médiation de Nelson Mandela. Les 440 millions de dollars bloqués par l’Union européenne seraient les bienvenus à un moment où le peuple burundais attend les dividendes de la paix de cet accord. ♦