Dans la guerre ouverte le 11 septembre 2001, si l'on mesure une victoire à l'objectif initialement fixé, celui-ci n'a de toute évidence pas été atteint. Reconnaissons que nous sommes entrés dans une pure représentation de la crise pour ne pas en voir les fondements, que les États-Unis recherchent la guerre pour la guerre et non la victoire, et que leur pouvoir réside fort logiquement non dans le fait de vaincre le plus rapidement possible, mais dans celui de faire étalage de leur puissance le plus longtemps possible. Derrière la maladresse très calculée des discours du président Bush apparaît la mise en gerbe de plusieurs projets convergents : la croyance messianique de l'Amérique en son destin, la foi dans un progrès continu et bienfaisant, une philosophie déterministe de l'Histoire et la soumission à des lois supposées naturelles. Tout cela vient de loin, de la fondation de la République américaine, et se trouve résumé dans la conception de la guerre que les États-Unis tentent d'imposer au monde.
La guerre introuvable
On a beaucoup ironisé sur une affiche désormais fameuse qui s’étalait sur les murs de France durant l’hiver 1939-1940, représentant, en grandes taches rouges sur une planisphère, les empires français et britanniques sous un slogan dû, dit-on, à la plume de Jean Giraudoux : « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts ». Il serait en effet si simple que les puissants le restent éternellement ; mais l’histoire a ses lois que la raison peine à connaître.
Aujourd’hui, que nous propose-t-on dans la lutte contre le terrorisme ? Le même « apriorisme giraldien », que le sort des nations se décide dans les courbes de production et non sur les champs de bataille. Or, de cela, le barbare se moque, puisque sa seule arme réside précisément dans la mise en cause de théories déterministes qui ne lui laissent, au premier abord, aucune chance de renverser l’ordre établi, et qu’il vise pour ce faire à l’instauration d’un chaos dont nous avons une fois encore oublié, dans nos démocraties policées, qu’il reste la loi fondamentale de l’univers.
Règne de l’apriorisme
Le colonel de Gaulle, dès ses premiers écrits, stigmatisa la volonté des éternels laudateurs du « nouvel âge de la guerre » d’enfermer la pensée de l’action dans des concepts réducteurs (1). Au commencement il y avait eu l’erreur initiale commise au XVIIIe siècle par le premier penseur de la guerre moderne, le comte de Guibert, qui annonçait, dans la veine de Turgot et de Condorcet, que les progrès du genre humain allaient mettre « les combinaisons à la place du hasard » (2). Suivit Jomini, contemporain de Bonaparte et grand inspirateur des stratèges américains d’aujourd’hui, qui cherchait à devenir le Newton de l’art de la guerre, entendons par là trouver une loi universelle capable d’expliquer scientifiquement la guerre a posteriori mais surtout de la conduire a priori. Cependant, c’est un Prussien, Adam-Henri-Dietrich von Bülow qui, sur le modèle de la science économique naissante, posa les bases théoriques d’une stratégie entièrement déductive et mathématique dans son Esprit du système de guerre moderne (3). La guerre devait obéir à la loi naturelle, et l’adversaire devenir un facteur mathématique au comportement modélisable, dont la mise en équation aboutirait à un résultat absolument prévisible. Exit le mal nommé « Art » ; comme s’il pouvait y avoir un jour un prix Nobel de la guerre…
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