Sécurité et défense en Europe - La démilitarisation des munitions russes en Moldavie
La fin de la guerre froide aurait dû voir les forces russes se replier en totalité sur le territoire de la Fédération. Cela n’a pas été le cas en Transcaucasie et en Moldavie notamment. Leur maintien sur place est le résultat d’accords bilatéraux ou simplement d’une décision unilatérale, la Russie estimant sa présence indispensable.
En ce qui concerne la Moldavie, on se souvient du rôle d’interposition joué par le général Lebed dans le conflit qui a opposé en 1992 les deux rives du Dniestr et qui a consacré la partition de fait de la Moldavie après l’auto-proclamation le 2 septembre 1991 d’une « République moldave de Transnistrie ». Depuis, la Russie assure une présence dissuasive et un soutien aux forces tripartites de maintien de la paix (russes, moldaves et transnistriennes). Le Groupement opérationnel des forces russes en Moldavie-Transnistrie (GOFRT) est aussi chargé de la démilitarisation d’un stock d’environ 43 000 tonnes de munitions provenant de la 14e armée et des unités soviétiques retirées du front Sud-Ouest au début des années 90.
Les engagements de la Russie à Istanbul
À la demande de la Russie, plusieurs pays ont indiqué à l’OSCE leur volonté d’aider à l’élimination de ce stock de munitions et d’équipements en surplus, en commençant par la constitution d’un fonds volontaire. La France avait pris l’initiative de diriger une mission d’évaluation chargée de chiffrer les besoins et de préparer l’opération.
Si, dès 1994, la Russie avait annoncé son retrait, celui-ci n’était prévu qu’en 2005 ; mais au sommet de l’OSCE à Istanbul, en novembre 1999, les échéances ont été réduites à deux ans pour les armements lourds (1) et à trois ans pour le reste, soit fin 2002. Les munitions doivent donc impérativement avoir été démilitarisées ou retirées pour cette date.
La mission d’évaluation a été mise sur pied dès juillet 1999, les experts se sont réunis à Moscou, mais les autorités de Tiraspol ont refusé toute visite des lieux, sous prétexte que les munitions et les armements étaient leur propriété. La partie russe a alors poursuivi ses négociations avec les Transnistriens. Une rencontre du chef de la mission d’évaluation à Tiraspol a été acceptée en mars 2000, mais les autorités locales lui ont interdit tout déplacement, réclamant toujours des compensations.
En janvier 2001, le chef de la mission de l’OSCE à Chisinau est nommé agent exécutif du fonds et engage des négociations directes avec les Russes sur son utilisation. Un échange de lettres avec le vice-ministre de la Défense russe Isakov permet de régler le retrait des trois convois partis en novembre 1999. La situation se débloque et les Transnistriens acceptent de signer en juin 2001 un « protocole tripartite sur une activité conjointe de mise en œuvre de travaux de destruction et de démilitarisation des armes, équipements militaires et munitions ».
Un groupe de travail tripartite est formé avec pour objectif de fournir, pour le 1er octobre 2001, une étude préliminaire.
L’évaluation est alors possible, en dépit des difficultés à avoir une vision globale et complète du travail à accomplir, l’étude révèle l’état des munitions et permet de choisir les technologies à leur appliquer.
Les dangers et les risques
Les munitions sont concentrées dans deux dépôts dont le plus important (40 000 tonnes) se trouve au nord de la région transnistrienne à Colbasna, et l’autre sur l’aérodrome de Tiraspol, capitale de la région dissidente. Au total, 26 000 tonnes (2) sont à démilitariser et le reste doit être évacué par la Russie. Les calibres vont de la munition de carabine 5,5 à la bombe d’aviation de 500 kg. Il n’y a ni munitions chimiques ni nucléaires, mais un important stock de mines.
Ces dépôts constituent un danger immédiat si l’on considère les nombreux accidents survenus en Russie, près d’une dizaine au total au cours de la dernière décennie. Le plus récent, survenu en Sibérie en juillet dernier, a fait plusieurs victimes et des munitions ont été projetées jusqu’à 10 km du sinistre.
Le dépôt de Colbasna, plus que celui de Tiraspol, présente des risques à moyen terme, compte tenu de l’âge des munitions, dont les plus anciennes datent de la Seconde Guerre mondiale, et de leurs conditions de stockage. Plus de 50 % sont entreposées à ciel ouvert, et leur conservation devient de plus en plus difficile : piles à même le sol, emballages défectueux, etc. Dans une région particulièrement peuplée et à quelques centaines de mètres de la frontière ukrainienne, un accident aurait des conséquences désastreuses.
Le pouvoir local lui-même constitue un risque ; proclamant son désir de rattachement à la Russie, il n’en continue pas moins à entretenir toutes sortes de trafics. Il produit et exporte, sans aucun contrôle, armes et munitions ; il approvisionne, c’est un fait avéré, certains mouvements dissidents en Europe.
Jusqu’à présent, la sécurité des munitions russes est assurée dans le dépôt par les forces russes elles-mêmes, l’extérieur du dépôt étant gardé par les forces transnistriennes.
Pour se faire une idée de l’intégralité des stocks, il faut s’en remettre aux déclarations russes et à une liste des munitions à détruire (donc non exhaustive). Quant à l’intégrité de ces stocks, il faut admettre la ferme volonté du commandant des forces russes que ces munitions, pas plus que les armes ne doivent tomber en l’état aux mains des Transnistriens.
La maîtrise du processus
Cette première phase a montré les limites de l’influence russe dans la région, à une époque où le pouvoir changeait de main à Moscou et en présence d’un fort groupe de pression en faveur du maintien des forces russes en Transnistrie. Dans le même temps, le pouvoir en place en Transnistrie en a profité pour faire valoir ses exigences sur les armes et munitions russes et surtout a obtenu d’être reconnu comme un bénéficiaire potentiel du fonds et un interlocuteur essentiel disposant d’un droit de veto. Malgré ces difficultés, le groupe de travail tripartite a réussi à fournir un projet en temps voulu. L’OSCE a pu contrôler la destruction ou le retrait des ELT dans le temps imparti à Istanbul et continue d’exiger le contrôle sur les munitions.
De son côté, la Russie impose que les munitions soient traitées sur place et qu’un maximum de composants, (poudres, explosifs et métaux) soient récupérés.
Pour mener à bien l’élimination des munitions en tenant compte des contraintes de coûts, de délais, de récupération, d’environnement et de sécurité, il a fallu effectuer un choix subtil de technologies disponibles « sur étagère ». Compte tenu des échéances, il a été décidé de commencer le travail à partir de six projets pilotes répondant à ces critères.
Les principales technologies utilisées sont l’explosion (ou plutôt l’implosion) dans une chambre de destruction (3), le brûlage dans un four à combustion (4) (petites munitions), le découpage par jet d’eau et l’extraction de l’explosif à la paraffine (5) ou le transport de munitions complexes (missiles et munitions antiaériennes) vers une unité de démontage en Russie (6).
Les échéances seront tenues si les derniers obstacles sont levés. Certes, trois convois de munitions sont partis en décembre 2001, mais un quatrième a été bloqué par les Transnistriens : ceux-ci se sont retirés du groupe tripartite en début d’année, non sans avoir interdit tout mouvement. Leurs exigences portent maintenant sur la réduction de leur dette énergétique (400 millions de dollars).
Une autre condition, et non des moindres, est la mise en place des fonds nécessaires à l’opération. Les promesses faites par les donateurs ne se montent à l’heure actuelle qu’à un peu plus de la moitié des 31 millions de dollars nécessaires à l’opération. Les fonds disponibles (7,5 millions d’euros soit 20 %) couvrent tout juste la phase initiale et les dépenses déjà engagées (7). Cette opération, la première de ce genre engagée par l’OSCE, constitue un test pour la capacité de l’organisation à régler le problème complexe du retrait des forces d’un pays tiers, dans le respect du droit et des intérêts de toutes les parties en présence.
Dans le cas du retrait des forces russes, l’OSCE, par l’intermédiaire de sa mission en Moldavie, met en œuvre un programme de réduction à la fois ambitieux et réaliste, en marge des négociations très difficiles entre les deux parties de la Moldavie. La participation de la Transnistrie à ce programme, au-delà d’intérêts immédiats évidents, peut-être interprétée comme un signe de bonne volonté et pourrait être le prélude à un dialogue plus ouvert et, qui sait, à un retour à la normalité dans ce pays le plus pauvre et plus méconnu d’Europe. ♦
(1) Les équipements limités par le traité des forces conventionnelles en Europe (ELT).
(2) Soit 5 000 tonnes d’explosifs.
(3) Société américaine DeMil International.
(4) Société allemande Luthe.
(5) Institut de mécanique scientifique et de recherche de l’armée rouge KNIIM (Moscou).
(6) Société russe Metpererabotka.
(7) Ont contribué au fonds : Allemagne, Danemark, Estonie, États-Unis, Finlande, Norvège, Pays-Bas, République tchèque, Royaume-Uni, Suède, Suisse, Turquie et France.