Une des raisons de la grogne
Pour beaucoup de nos concitoyens, nous disposons d’une armée efficace, dotée de moyens techniques performants. Aussi, nombreux sont ceux qui pensent que le budget accordé à nos militaires est bien suffisant. Il est donc souhaitable d’attirer l’attention de chacun sur les difficultés rencontrées par nos armées, comme j’ai déjà eu personnellement l’occasion de le faire dès 2000 comme corédacteur, avec un collègue de la majorité, du rapport parlementaire « La professionnalisation des armées : espoirs et inquiétudes des personnels » ou plus récemment comme président de la mission d’information parlementaire sur l’entretien des bâtiments de la marine nationale.
Si le gouvernement socialiste, par la voix de son ministre, a récemment tenu compte des revendications des militaires en prenant en urgence, sous la pression, des mesures relatives à leur rémunération, les difficultés de fond que connaissent nos militaires n’ont pas pour autant disparu, beaucoup s’en faillent.
En une décennie l’armée de terre a perdu plus de 50 % de ses effectifs, dissout plus de régiments qu’il ne lui en reste aujourd’hui, tandis qu’elle a vu son engagement extérieur multiplié par dix, qu’il s’agisse de missions offensives (Koweït), humanitaires (Somalie), d’interposition (les Balkans) ou d’assistance et de secours à nos concitoyens (tempêtes et marées noires).
Le rôle de l’armée a donc évolué, mais si la probabilité d’emploi de l’outil militaire dans sa fonction classique de défense devient effectivement très faible, l’Europe et la France doivent faire face à la prolifération des réseaux criminels et terroristes en Europe centrale et balkanique, en Asie centrale, au Moyen-Orient, avec des ramifications qui s’étendent à présent jusqu’en Europe occidentale et en France, sans compter le développement de la crise au Proche-Orient et la déstabilisation durable de l’Afrique.
L’état du monde laisse donc toujours présager des situations de crise qui rendraient inéluctables des engagements militaires, même de courte durée.
Dans ces conditions, les Européens et la France doivent pouvoir s’impliquer pour protéger leurs zones d’intérêt, notamment dans des régions dont certaines recèlent pour encore longtemps l’essentiel des approvisionnements énergétiques indispensables à l’Europe. Pour cela il nous faut des forces terrestres équipées et disponibles.
Or, ce n’est absolument pas le cas. Contrairement au sentiment général, l’armée de terre est encore équipée de nombreux matériels produits dans les années 70 et 80, la marine ne peut disposer que de 65 % des navires (faute, entre autres, de pièces de rechanges disponibles et de délais de réparation trop longs), l’armée de l’air n’est pas en reste et bon nombre d’appareils restent au sol pour fournir des pièces détachées à ceux que l’on veut faire décoller !
Il est donc impératif de marquer un effort financier significatif, en particulier pour les équipements, de façon à garantir la cohérence globale de nos armées. Cela permettrait de recruter, de fidéliser et d’entraîner un personnel de qualité, de doter les armées des équipements requis pour leur nouveau rôle et de leur assurer ainsi un bon niveau d’efficacité en toutes circonstances. Le but d’une augmentation du budget de la Défense n’est pas de réaliser une course à l’armement technologique, qui serait sans fin, mais tout simplement de disposer d’équipements en nombre suffisant et réellement opérationnels. Les retards et le vieillissement des matériels ont d’ores et déjà mis l’armée de terre à la limite de la cohérence.
L’intervention américaine en Afghanistan, suite aux événements du 11 septembre, a pu faire croire que les progrès réalisés dans la maîtrise de l’espace aérien étaient suffisants pour résoudre un conflit, mais la réalité est toute autre et nous constatons aujourd’hui que c’est au sol et dans la durée que se concrétise le succès ou l’échec d’une intervention militaire.
À l’heure actuelle, si la France devait vivre pareille situation, nous ne pourrions l’assumer sans une aide extérieure. Toutes ces questions trop longtemps éludées doivent être aujourd’hui posées, il y va de notre avenir et de l’indépendance de notre pays.
18 avril 2002