Vers une construction de l'Europe de la Défense et de l'armement
Sauf à entretenir une nostalgie aveuglante, chacun sait bien aujourd’hui qu’aucun État membre de l’Union européenne ne peut assumer, seul, le développement comme l’entretien d’un outil de défense complet. Notre dernier projet de loi de programmation militaire en est la criante illustration. Construire l’Europe de la Défense s’impose comme un impératif politique si nous souhaitons continuer à peser dans le concert mondial.
La défense européenne, pourtant demandée par les deux tiers des citoyens européens, n’existe pas, en dépit des discours lénifiants de tous bords.
Sans ce nécessaire attribut de « puissance », l’Europe est demeurée à l’écart des décisions prises après les attentats du 11 septembre 2001.
Ces événements dramatiques auraient dû renforcer le lien transatlantique à la faveur de l’émotion ressentie et de la solidarité manifestée. Il semble qu’ils l’aient au contraire distendu. L’Alliance atlantique est en crise, au constat que les Américains n’ont pas cru devoir faire appel à son organisation dans la guerre d’Afghanistan. L’unilatéralisme ainsi manifesté signifie-t-il la mort à terme de l’Otan ? Nous n’en croyons rien.
La vocation de l’Alliance demeure à nos yeux d’intervenir à l’intérieur du territoire européen et sur ses abords, en particulier méditerranéens et proche-orientaux, pour y garantir et y développer une aire de paix et de stabilité. Il est légitime que les Américains nous demandent avec plus d’insistance que jamais de partager le fardeau d’une défense européenne dont ils ont jusqu’ici assumé presque exclusivement le poids.
Construire l’Europe de la Défense est la seule manière de réformer l’Otan. Cette réforme profonde doit selon nous être entreprise à l’intérieur de ses structures ; les Européens doivent ainsi se préparer à partager avec les Américains le leadership de cette alliance avant de l’assumer pleinement.
Il importe que soit poursuivi le développement des capacités qui font aujourd’hui gravement défaut dans les domaines essentiels de l’acquisition et du traitement de l’information, de la projection des forces, de leur entretien et de leur protection.
Outre, l’utilisation des moyens traditionnels, les Européens doivent se doter d’urgence d’un système spatial de renseignements qui dépasse de loin les seuls besoins militaires.
Si les gouvernements de l’Union européenne ne s’engageaient pas délibérément dans cette voie, notre industrie spécialisée serait à court terme menacée d’asphyxie en raison de l’étroitesse des marchés purement civils. Nous faisons donc de l’exploitation de l’espace une priorité.
Le développement de l’avion de transport militaire européen a été enfin décidé. La production n’en sera néanmoins « rentable » que si certains des gouvernements de l’Union cessent de tergiverser en ce domaine. On peut en accepter l’augure…
Il faudra bien un jour également que nous nous décidions à aller plus loin en acceptant d’assumer en Méditerranée la relève de la 6e flotte américaine, orgueil légitime des contribuables américains.
L’entretien et la protection de nos forces d’intervention posent également problème car nous manquons aujourd’hui des stocks de rechanges et de munitions nécessaires pour assurer dans la durée leur capacité opérationnelle. Notre intervention au Kosovo devrait avoir suffi à nous en administrer les preuves, mais à l’évidence les leçons n’en ont pas été suffisamment tirées.
Le plus inquiétant reste, qu’à l’exception notable du Royaume-Uni, les États européens continuent de réduire leur effort de défense jusqu’à ne plus disposer des crédits nécessaires aux investissements dans la recherche, l’étude et le développement des matériels de toute nature et de toutes armes qui devront assurer dans un proche avenir la relève de systèmes d’armes vieillissants.
Les Européens continuent en outre de disperser le peu de ressources restantes dans la défense exclusive de leurs intérêts nationaux. Sans exagérer les conséquences de l’avance technologique américaine, nous ne pouvons à l’évidence laisser se creuser l’écart en ce domaine et il nous faut consentir un effort important de recherche sous financement de l’Union. Il n’est que temps d’emprunter la voie tracée par les professionnels du secteur et de donner naissance à une véritable industrie européenne de l’armement.
Notre famille politique plaide pour la création urgente d’une agence européenne de l’armement ayant le monopole des équipements et des acquisitions des forces armées de l’Union.
Vouloir une Défense européenne impose surtout un immense effort commun ; elle ne pourra voir le jour qu’au travers d’un budget européen de la défense auquel chaque État membre devra s’engager à consacrer une part suffisante de son produit intérieur brut, de l’ordre de 0,5 % des PIB nationaux. Ce budget européen aurait la charge de financer des équipements et des forces opérationnelles hors de portée des États nationaux (système d’arme et d’information, satellite de renseignement, avion de transport, porte-avions…).
Nous souhaitons ainsi pour la France, que l’effort de défense soit fixé à 2,9 % du PIB, soit 2,4 % pour le budget national et 0,5 % de contribution à la défense européenne.
C’est ce à quoi nous nous efforçons d’œuvrer au Parlement européen, et ce n’est qu’à ce prix que l’on pourra satisfaire la volonté manifestée par plus des deux tiers des citoyens européens de doter l’Europe d’une capacité autonome et réelle de défense. ♦