La guérilla (I)
J’étais en route avec dix-sept personnes, rapporte Ibn-el-Athir d’un voyage à l’époque des invasions mongoles de Gengis-Khan, lorsque nous vîmes arriver un cavalier tartare qui nous ordonna de nous lier les uns aux autres les mains derrière le dos. Mes compagnons se mirent en devoir de lui obéir. Je leur dis : « Cet homme est seul, il faut le tuer et nous enfuir. — Nous avons trop peur, répondirent-ils. — Mais, repris-je, cet homme va nous tuer. Tuons-le avant. Peut-être qu’Allah nous sauvera. » « Par ma foi, aucun d’eux n’osa le faire. Alors je le tuai d’un coup de couteau, nous primes la fuite et nous fûmes ainsi sauvés. »
S’il y a près d’un siècle et demi que le civil est devenu plus conscient que les contemporains d’Ibn-el-Athir de sa capacité de résistance à l’égard du militaire, il s’en faut que cet état d’esprit soit général. À l’effectif moyen d’une division retirée du front russe pour se refaire, chaque soldat de l’armée d’occupation en Europe occidentale avait 100 habitants à surveiller, 200 même si l’on faisait le calcul sur les seules forces qui n’étaient pas de garde sur la côte et pouvaient se consacrer à cette tâche de police. 100 hommes et femmes dans la force de l’âge, auxquels on avait laissé leurs fourches, leurs faux, leurs haches, 100 enfants et vieillards étaient prêts à suivre ce militaire où il leur aurait commandé d’aller. On avait averti les plus valides qu’au premier débarquement ennemi il leur faudrait rejoindre, dans les vingt-quatre heures, tel camp de concentration assigné, où les attendait la mort par famine. Ils étaient prêts à le faire, pendant que leur gardien aurait tenu à l’entrée le registre d’écrou : comment serait-il parvenu à rassembler et à conduire son troupeau de 200 esclaves si ceux-ci ne l’avaient pas un peu aidé ? Heureusement pour eux, la coupure presque totale des communications troubla ce plan ; l’occupant, n’ayant plus les moyens de se transporter lui-même, dut abandonner ses administrés à leur sort.
C’est, dira-t-on, que l’un était armé et l’autre désarmé. Il est plus exact de dire que l’occupant aurait pu être armé. Le Mongol de Gengis-Khan ne se promenait pas davantage avec son sabre, ses deux arcs et ses trois jeux de flèches que l’Allemand avec sa mitraillette quand il allait au cinéma. « Mais, nous dit Ibn-el-Athir, si grand était l’effroi qu’Allah avait jeté dans les cœurs que, lorsqu’il prenait fantaisie à un Tartare en promenade de faire un exemple, il ordonnait à la personne choisie de se coucher à terre ; il partait chercher son sabre et revenait couper la tête du malheureux qui n’avait pas bougé. »
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