Depuis notre précédente chronique (janvier 2002) le mouvement de rapprochement esquissé par la Russie avec l'Occident s'est concrétisé. Ne partage-t-elle pas avec lui, non seulement une partie de son héritage historique, culturel et religieux, mais aussi des intérêts géopolitiques globaux (lutte contre le terrorisme...), comme la volonté de construire une économie compétitive, libérale en s'appuyant sur une société plus démocratique, au sein de laquelle un État rénové assurerait la pérennité et la continuité de la Nation russe. Vieille question des rapports entre la Russie et l'Europe, genèse de la pensée politique, tricentenaire de la fondation de Saint-Pétersbourg (2003), bilan de la Russie dix ans après, tels sont quelques uns des principaux thèmes, d'ailleurs récurrents, étroitement liés et qui forment la trame des interrogations et du regard portés sur la Russie.
Parmi les livres - Le retour de la Russie
Professeur d’histoire russe et soviétique, Marie-Pierre Rey qui dirige le Centre de recherche en histoire des Slaves nous livre une très heureuse synthèse qui devrait faire date (1). Qu’est-ce qu’être Russe ? Lancinante depuis le XVIIIe siècle, cette question, tombée en déshérence à l’apogée d’un régime communiste qui offrait des réponses rassurantes pour l’ego national, resurgit aujourd’hui dans un pays très affaibli. Confrontée à la perte de la plupart de ses anciens repères — son État et sa culture socialistes, son espace géopolitique, facteur de puissance — la Russie ne cesse plus, depuis la disparition de l’URSS, de s’interroger bruyamment sur son identité. Dans les couloirs de la Douma comme sous la plume des intellectuels, à Moscou comme dans les provinces, la question taraude, engendrant des réponses contradictoires, empreintes de représentations et de mythes divers. Pour certains, être Russe, c’est appartenir à une grande nation qui se doit de garder la tête haute et de croire en un bel avenir, malgré la crise actuelle. Pour d’autres, c’est souffrir de l’arrogance occidentale, ressentir profondément l’humiliation d’avoir fait longtemps jeu égal avec les États-Unis et de n’être plus « qu’un parent pauvre », invité à contrecœur aux grands sommets du G7. Pour d’autres encore, c’est accepter les difficultés des temps présents pour être un jour en mesure d’assurer à la Russie un avenir démocratique. Au-delà de leurs divergences, ces perceptions — et c’est là leur intérêt — renvoient toutes au passé pluriséculaire de la Russie et s’attardent sur ce lien complexe que le pays entretient depuis plusieurs siècles avec l’Occident et, plus encore, avec l’Europe occidentale.
La question des relations à établir avec cette dernière est depuis le XVIe siècle au cœur de l’interrogation identitaire des Russes, dirigeants comme membres des élites ; ainsi, dès 1767-1768, délivrant ses instructions à la Commission législative chargée de travailler à une plus grande harmonisation des lois en vigueur en Russie, Catherine II clame avec force dans l’article 6 du Nakaz : « La Russie est une puissance européenne ». Cette affirmation tranchée attestait de la volonté impériale d’imposer aux Russes, comme aux gouvernements occidentaux, l’image d’une Russie par nature européenne, légitimement présente sur le théâtre européen ; mais, presque incantatoire, elle témoignait aussi de manière plus tacite de la difficulté éprouvée par les Russes à se définir et à cerner les contours de leur propre identité.
Depuis le règne de Pierre le Grand qui, dans une démarche volontariste sans précédent, a imposé à son peuple une occidentalisation dans laquelle il voyait un gage de progrès et de force, les relations russo-européennes ont été d’une importance cruciale pour la Russie. De fait, jusqu’en 1914, la personnalité exceptionnelle de Pierre le Grand fut un thème constant d’interrogation pour les historiens tsaristes. Joseph Staline, parvenu au faîte des puissances s’est également intéressé au règne de Pierre Ier, déplorant la politique européenne du tsar, coupable d’avoir ouvert et germanisé le pays. Il n’y a pas qu’en France que le poids de l’histoire obsède les hommes d’État ! Ces questions de l’identité russe et des relations à établir avec les puissances ouest-européennes se sont compliquées au fil des conquêtes qui ont forgé l’empire de toutes les Russies, un État-continent, dont la superficie — avait établi Alexandre de Humboldt — était analogue à la surface éclairée de la Lune, à cheval sur l’Europe et l’Asie, étendu jusqu’aux confins de la Sibérie orientale. C’est donc à un parcours dans l’histoire russe que nous invite l’auteur, parcours fléché et éclairé par ce fil conducteur des rapports à établir avec l’Europe et l’Occident où le poids de l’héritage n’a cessé de peser.
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