Gendarmerie - La question du rattachement ministériel de la Gendarmerie
Même si, lors de la campagne pour les élections présidentielles, les deux principaux candidats, Jacques Chirac et Lionel Jospin — que les commentateurs et sondeurs avaient imprudemment investi avant l’heure duellistes du second tour — avaient pris clairement position en faveur de cette réforme, la modification du rattachement ministériel de la gendarmerie, à l’annonce de la composition du gouvernement Raffarin, a malgré tout fait l’effet d’un véritable électrochoc. Il est vrai que la question qui est posée dépasse le domaine purement institutionnel et politique : il ne s’agit pas seulement de savoir, en somme, qui commande la gendarmerie, qui en est le maître à bord, le ministre de la Défense ou son collègue de l’Intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
De manière plus ou moins réfléchie et cohérente, la question du rattachement ministériel est inévitablement corrélée avec celle du statut même de la gendarmerie, et au-delà, avec celle de la préservation du dualisme policier. Ils sont nombreux, en effet, notamment dans les rangs de l’institution, à considérer, à redouter que cette réforme soit le signal, le préalable, le point de départ d’une démilitarisation, déguisée ou non, de la gendarmerie qui signifierait, à terme, sa disparition par fusion dans un corps unique de police à statut civil, sonnant le glas, de fait, du dualisme policier et de ses avantages en termes de préservation de l’indépendance du pouvoir politique et des magistrats (1). Avec comme spectre la disparition plus ou moins programmée de la gendarmerie belge entamée depuis le début des années 90, ce scénario-catastrophe, alimenté à l’envi par les déclarations de syndicalistes policiers et certaines formules incantatoires du Conseil de l’Europe, emprunte les trois étapes suivantes : rattachement au ministère de l’Intérieur, démilitarisation, intégration dans la police nationale.
En d’autres termes, le rattachement au ministère de l’Intérieur serait de nature à générer, à plus ou moins brève échéance, et de manière plus ou moins volontaire, des rapprochements statutaires inévitables avec la police nationale (notamment en matière de temps de travail et de régime de disponibilité), tout en favorisant, dans les départements, l’emprise croissante de l’autorité préfectorale, pour ne pas dire la mise sous les ordres des préfets des formations de gendarmerie. Depuis le début des années 90, le mouvement de départementalisation de la sécurité a singulièrement remis en cause le postulat selon lequel la gendarmerie, force militaire faisant partie intégrante des armées, ne constitue pas un service déconcentré d’une administration civile de l’État et échappe, de ce fait, à l’autorité du préfet (2). Le caractère presque virtuel de cette disposition a pu apparaître lors de l’adoption de la loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité (LOPS) du 21 janvier 1995, qui renforce notablement les pouvoirs du préfet : « Sous réserve des dispositions du code de procédure pénale relatives à l’exercice de la mission de police judiciaire, le représentant de l’État dans le département anime et coordonne la prévention de la délinquance et de l’insécurité. Sous les mêmes réserves et sans préjudice des textes relatifs à la gendarmerie nationale, il fixe les missions et veille à la coordination des actions, en matière de sécurité publique, des différents services et forces dont dispose l’État. Les responsables locaux de ces services et forces lui rendent compte de l’exécution des missions qui leur sont ainsi fixées. Il est le garant de la cohérence de ces actions. Il s’assure du concours de la douane à la sécurité générale dans la mesure compatible avec les modalités d’exercice de l’ensemble des missions de cette administration. Le préfet de police coordonne l’action des préfets des départements de la région d’Île-de-France pour prévenir les événements troublant l’ordre public ou y faire face lorsqu’ils intéressent Paris et d’autres départements de la région » (art. 6). Si le travail parlementaire avait permis d’adopter une rédaction définitive susceptible de préserver l’identité militaire de la gendarmerie (ce que confirme la mention « sans préjudice des textes relatifs à la gendarmerie »), cet article reconnaît malgré tout, en matière de police administrative, l’autorité fonctionnelle du préfet sur la gendarmerie, sans pour autant induire alors — comme c’est le cas s’agissant de la police — une quelconque autorité hiérarchique du représentant de l’État sur le commandant de groupement de gendarmerie départementale.
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