Extraits de l'allocution de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, le 14 octobre 2002, lors de l'ouverture de la session annuelle de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN).
La politique de défense de la France
(…)
L’environnement stratégique, qu’on a pu croire stabilisé à la fin de la guerre froide, est profondément bousculé. Des menaces, hier latentes, sont aujourd’hui bien réelles, notamment le terrorisme international et la prolifération des armes de destruction massive. Elles sont dirigées contre nos concitoyens, contre nos valeurs, contre nos intérêts, contre nos institutions démocratiques.
S’attaquer aux tours jumelles de New York, c’est s’attaquer au centre symbolique du monde, du monde économique, du monde de la puissance, mais c’est aussi s’attaquer à une ville qui résume à elle seule la diversité culturelle, ethnique et religieuse.
Frapper lâchement un pétrolier, le Limburg, qui croise au large des côtes du Yémen, c’est mettre en péril l’approvisionnement en pétrole de nos pays, mais c’est aussi vouloir nuire à l’énergie du monde.
Tout récemment, assassiner des touristes innocents à Bali, dans un attentat abject que je condamne de la façon la plus formelle, la plus forte, la plus ferme, c’est mettre en danger l’économie entière d’un pays et d’un secteur. C’est nier le principe même de l’échange entre les pays et les cultures. C’est, au fond, vouloir poignarder l’humanité.
Face à ces périls, face au terrorisme, face à ce « dérangement du monde », la lutte contre l’insécurité se devait d’être l’une des priorités de mon gouvernement.
Nous assumons ce choix avec force et audace. Et la première condition d’efficacité de ce choix, c’est l’adéquation de notre défense aux réalités nouvelles :
• Parce que les terroristes ne s’arrêtent pas aux frontières, la distinction classique entre sécurité intérieure et sécurité extérieure n’est plus vraiment, aujourd’hui, pertinente et elles doivent être pensées et organisées ensemble. La sécurité est un tout. C’est une politique globale ;
• Parce que les menaces qui pèsent sur la France sont celles qui pèsent aussi sur nos alliés, la notion d’interdépendance est primordiale et elle impose d’unir nos forces ;
• Enfin, parce que nos concitoyens ont droit à la sécurité, inscrite au cœur du pacte républicain, parce que la France doit être capable de faire entendre cette voix du message républicain dans le monde entier, ce choix était pour nous une exigence.
C’était aussi un des messages de « l’esprit de mai ». On a entendu les Français, exaspérés par certaines formes d’impuissance du politique, mais fondamentalement attachés aux valeurs de la République, à ce que la République française a pu porter dans le monde comme message universel, message du droit, message de l’humanité.
Défendre aujourd’hui la sécurité, c’est défendre notre devise, c’est défendre la liberté, l’égalité et la fraternité. Ce choix politique est pour nous un choix majeur, même si, sur le plan budgétaire, il a imposé des décisions significatives et déterminantes.
Un monde incertain
La communauté internationale est aujourd’hui confrontée à des acteurs qui contestent l’ordre public mondial et qui remettent en cause la légitimité même des États, des gouvernements et des règles internationales négociées.
Terrorisme et prolifération
Certains de ces acteurs de la déstabilisation sont des États eux-mêmes – quelquefois qualifiés de parias ou de défaillants – qui refusent les règles internationales ou qui s’avèrent incapables de les faire respecter.
D’autres organisations, bien que non étatiques, ont développé une capacité d’action transnationale susceptible d’atteindre le cœur de notre économie, le cœur de notre société.
Un enseignement essentiel doit être tiré de cette évolution : nos frontières de sécurité ne coïncident plus avec nos frontières géographiques. Elles vont bien au-delà et bien en deçà, partout où s’exerce la menace terroriste.
Nous ne devons pas ramener les menaces qui pèsent sur le monde au seul terrorisme. L’environnement stratégique mondial dans son ensemble n’est pas stabilisé et c’est peu de dire que la fin de la guerre froide n’a pas signifié la « fin de l’histoire ».
La prolifération des armes de destruction massive n’a pas cessé, bien au contraire, malgré les efforts entrepris en matière de désarmement. Des liens entre les États qui se livrent à ces pratiques et le terrorisme ne sont évidemment pas à exclure.
Des crises régionales persistantes et dangereuses
Onze ans après la guerre du Golfe, l’Irak demeure un grave sujet de préoccupation. Il est avéré aujourd’hui que ce pays a dissimulé à la communauté internationale des programmes portant sur des armes de destruction massive. Tous les indices semblent converger pour estimer que s’il n’a pas pu constituer encore, semble-t-il, un armement nucléaire, il dispose à nouveau de capacités chimiques et biologiques et poursuit la mise au point des vecteurs balistiques destinés à mettre ces armes en œuvre. Le maintien de cette situation est d’autant plus inacceptable qu’elle induit pour le peuple irakien des souffrances que le programme « pétrole contre nourriture » ne compense pas ou que de manière très partielle. Il entraîne également un affaiblissement de l’autorité des Nations unies. Il est insupportable de voir l’autorité des Nations unies ainsi contestée, ainsi bafouée.
C’est le sens de la position française qui consiste à demander le retour rapide des inspecteurs du désarmement et de prendre au mot Saddam Hussein qui, le 16 septembre dernier, a fléchi face à la détermination de la communauté internationale. Cette attitude est, pour la France, particulièrement responsable. On voit aujourd’hui la position de la diplomatie française gagner du terrain. Il est très important d’affirmer à la fois l’unité de la communauté internationale via le Conseil de sécurité, et de faire en sorte que celui-ci soit le lieu de toute décision d’avenir, le lieu de la cohésion internationale. Il ne peut y avoir de forte pression sans solide cohésion. C’est la position définie par le président de la République et développée par notre diplomatie.
Au-delà du problème posé par l’Irak, c’est tout le Moyen-Orient qui est aujourd’hui en proie aujourd’hui aux incertitudes et aux tentations de la violence.
Les voisins de l’Irak ont un souci légitime de sécurité, après les guerres que ce pays a menées contre l’Iran, contre le Koweït, et même, en n’hésitant pas à utiliser les armes chimiques, contre sa population. L’Irak a, par le passé, cherché à déstabiliser toute la région. Et depuis deux ans, les inquiétudes sont partout présentes.
Par ailleurs, depuis deux ans aussi, les liens patiemment tissés entre Israéliens et Palestiniens ont été progressivement rompus. La logique de l’affrontement a remplacé la logique de la paix. La société israélienne a été déstabilisée par des attaques terroristes aveugles et meurtrières : chaque Israélien endure, dans son quotidien, la terreur. Les Palestiniens souffrent des actions militaires, de la misère, de l’occupation des territoires et évidemment de l’extension des colonies. Ils s’enfoncent dans le désespoir et dans la violence. Et les extrémistes prospèrent sur le champ des ruines du processus de paix. Il faut donc construire une nouvelle relation israélo-palestinienne, bâtir le futur État palestinien, et régler la crise régionale dans son ensemble, y compris dans sa dimension syrienne et libanaise. Cela passe par une solution politique et non par l’éternel affrontement.
Autre source de tension régionale, le conflit du Cachemire entre l’Inde et le Pakistan, deux pays qui possèdent des armes nucléaires, est une source de préoccupation toute particulière. Ils ne parviennent pas à dépasser un état d’hostilité vieux de plus de cinquante ans, sans cesse attisé par les haines et les incompréhensions. Au début de l’été, des échanges de tirs d’artillerie soutenus et d’importants préparatifs militaires ont eu lieu. Un apaisement précaire, heureusement, a été obtenu grâce à la mobilisation de l’ensemble de la communauté internationale à laquelle la France a très activement participé ; mais aujourd’hui, le risque de guerre, s’il est provisoirement éloigné, reste toujours menaçant et la situation est dangereuse. Ces tensions régionales illustrent très clairement l’évolution du nouveau paysage géopolitique actuel. Un conflit entre l’Inde et le Pakistan pourrait avoir des répercussions sur l’ensemble des équilibres stratégiques.
Dans ce paysage quelque peu sombre, un théâtre presque permanent de tensions et de crises, doit être évoqué, celui de l’Afrique. Elle occupe, pour nous Français, une place particulière. Depuis la fin de la guerre froide, l’Afrique n’est plus un espace d’affrontements indirects entre puissances étrangères, mais les crises s’y succèdent. La Côte d’Ivoire aujourd’hui en est une nouvelle illustration. Alors que ce pays est un exemple de prospérité et d’ouverture, il risque lui aussi de s’enfoncer dans la pauvreté et dans le désordre si des solutions politiques aux défis multiples et difficiles qu’il doit affronter ne sont pas traitées dans l’esprit de concorde et de démocratie qui s’impose.
L’Afrique a pris conscience de la nécessité de faire effort sur elle-même, qu’il s’agisse de son développement ou de la prévention et du règlement de ses conflits. Elle sait pour autant que ses initiatives ne pourront pas être mises en œuvre sans un partenariat étroit et renouvelé avec les pays développés.
Tel est le sens profond de la transformation de l’ouah en Union africaine et de la création du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad). À travers le programme de renforcement des capacités de maintien de la paix (Recamp), la France et d’autres partenaires s’efforcent de donner aux pays africains les moyens d’apporter eux-mêmes des solutions aux crises qui secouent ce continent.
L’Afrique illustre ainsi la recherche de nouveaux équilibres, dans un monde où tous doivent agir pour rechercher une nouvelle stabilité.
La Russie, facteur de stabilité
Dans ce monde d’interdépendance, la Russie apparaît aujourd’hui comme un facteur nouveau de stabilité. Les fondements d’une coopération avec ce grand pays ont été posés à différents niveaux. La signature d’un accord de limitation des armements nucléaires avec les États-Unis en mai 2002, le développement du partenariat Russie-Otan et son intégration au sein de ce qui est devenu maintenant le G8, sont également des illustrations de ce nouveau rapport.
Le partenariat mondial du G8 pour la non-prolifération, qui permet de lutter contre les risques de diffusion de matières et de techniques sensibles depuis l’espace de l’ex-Union soviétique, est une manifestation tangible de convergence sur des intérêts partagés.
Avec l’Union européenne, une relation institutionnelle au plus haut niveau s’est établie, qui permet de mieux se comprendre, qui permet aussi de développer des solidarités concrètes, économiques mais aussi politiques.
Les réformes engagées en Russie constituent un processus complexe et parfois douloureux, quand il s’agit, par exemple, de la modernisation de l’économie ou de la réforme des armées.
Les esprits doivent encore évoluer mais le mouvement est en marche. L’enjeu aujourd’hui pour ce pays est de construire une nouvelle organisation qui garantisse l’autonomie et l’initiative pour l’ensemble de ses citoyens.
L’Amérique et le monde sont blessés
Dans ce monde compliqué et incertain, les États-Unis sont encore sous le choc des attaques terroristes qui les conduit aujourd’hui à fonder leur doctrine stratégique plus sur la recherche de la sécurité que sur celle de la paix. L’Amérique semble tentée par la solitude de la puissance et le souci de légitimer l’usage unilatéral et préventif de la force.
Si la France partage la volonté naturelle des États-Unis de répondre à l’attaque dont ils ont été victimes, elle souhaite qu’ils restent fidèles à une vision de la sécurité collective qui repose sur le droit, la coopération des États et l’autorité du Conseil de sécurité.
La voix de la France
Nous ne pouvons accepter une intervention qui ne serait pas un dernier recours, un recours ultime, qui n’emprunterait pas la voie du droit. La France veut faire en sorte qu’en toutes circonstances la force puisse s’appuyer sur le droit. Dans le grand dérangement du monde, la France souhaite faire entendre sa voix et défendre ses valeurs.
C’est notre ambition. C’est celle du président de la République, c’est celle des Françaises et des Français qui l’ont exprimée au printemps dernier. Les valeurs universelles de notre pays nous enseignent que la stabilité n’est pas le fruit des seuls rapports de force : elle est d’abord le fruit du respect du droit. La condition première de la stabilité est l’application des principes de la charte des Nations unies et le respect, évidemment, du Conseil de sécurité.
Nous devons aussi travailler collectivement à l’élaboration et à la consolidation des instruments juridiques indispensables au contrôle de la prolifération des armements dans le monde.
Notre voix portera plus fort et plus loin au sein de l’Europe. C’est ensemble, collectivement, que nous devons répondre à l’attente de ceux qui souhaitent une réponse originale aux questions du moment.
Nous devrons aussi œuvrer pour que les pays riches soient plus soucieux du bien-être, des aspirations à un mieux-être social du reste du monde dans lequel vivent les quatre cinquièmes de l’humanité. C’est pourquoi, à côté de la sécurité, la question du développement est clairement affichée comme une des grandes priorités du président de la République et de mon gouvernement. C’est un message aujourd’hui essentiel aux équilibres du monde. Si la voix du président de la République a été forte à Johannesburg, si la voix de la diplomatie française au Conseil de sécurité est forte aujourd’hui, c’est parce qu’elle porte cette idée généreuse d’un monde qui respecte les uns et les autres et qui fait de la sécurité un élément essentiel. Un élément qui doit être équilibré avec l’exigence de développement et doit prendre en compte toutes les souffrances des peuples.
Les choix stratégiques
Pour faire entendre la voix de la France, il faut des choix stratégiques. Il faut aussi pouvoir fonder notre politique sur quelques principes qui guident l’action du gouvernement :
• D’abord, notre défense est et reste autonome, elle n’est pas solitaire.
• La référence de nos choix militaires comme de nos choix politiques reste l’Europe.
• Le respect de nos engagements internationaux est notre cohérence.
Autonomie stratégique
L’autonomie stratégique est un élément essentiel de notre indépendance et de notre liberté d’action. C’est un choix ancien qui nous a été donné par le général de Gaulle. Il permet la conjugaison d’une ambition forte en matière de défense et d’une volonté politique affirmée. L’autonomie, c’est la capacité d’agir, à tout moment, avec nos alliés et nos partenaires ou bien seuls, en cas de menace spécifique. Elle nous impose de maîtriser des compétences et des technologies essentielles qui font de nous des partenaires incontournables dont les options politiques et militaires doivent être prises en considération.
Dans le domaine opérationnel, ce choix nous conduit à définir ce que nous voulons savoir, choisir et mettre en œuvre par nous-mêmes, que ce soit dans un cadre strictement national ou dans un cadre concerté.
Savoir, c’est se doter d’une capacité nationale d’appréciation de situations fondée sur des moyens autonomes de renseignement. Sur plusieurs théâtres, récemment, nous avons vu l’importance pour nos forces armées de pouvoir disposer de tels moyens.
Choisir, c’est disposer d’une capacité de planification et de commandement.
Mettre en œuvre, c’est posséder les moyens de l’indépendance de notre action, garantie par la dissuasion nucléaire.
La France joue, grâce à son autonomie stratégique, un rôle moteur dans la construction de l’Europe de la défense. Elle peut contribuer pleinement à la prévention et à la gestion des crises sur la scène internationale. La France reste libre de rejoindre toute coalition. C’est sa liberté.
La solidarité européenne
La « solidarité européenne » doit permettre à l’Europe de prendre ses responsabilités en matière de sécurité, en affichant une vision commune et en s’en donnant les moyens. Elle est en pleine cohérence avec la solidarité transatlantique.
Du fait de leur puissance économique et militaire, les États-Unis jouent un rôle prépondérant. À leurs côtés, l’Europe doit pouvoir assumer sa responsabilité.
Le président de la République, lors de la Conférence des ambassadeurs (1), a rappelé « l’engagement de rechercher systématiquement l’intérêt européen dans les situations de crise. Cela nous rassemblerait davantage et cela créerait, comme ce fut le cas dans les Balkans, une unité de vues propice à la définition de politiques plus fortes. »
Des progrès substantiels et rapides furent accomplis entre le Sommet franco-britannique de Saint-Malo et le Conseil européen de Nice : définition des mécanismes politico-militaires de décision, définition d’un objectif de capacités pour donner à la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) les moyens de son expression concrète. L’Europe, ainsi, se libère de certaines timidités qui ne sont plus de mise.
Il n’existe aucune raison opérationnelle qui empêcherait l’Union de reprendre la mission assumée par l’Otan en Macédoine. Ce serait d’ailleurs répondre à un simple souci de cohérence puisqu’elle assume déjà le premier rôle pour la stabilisation économique et politique de ce pays. Ce serait également l’occasion de prouver, sur le terrain, que l’Union européenne et l’Otan peuvent agir en parfaite intelligence, sans préalable théorique. Les Européens doivent aussi manifester, par leurs choix budgétaires, leur détermination à assumer leur propre sécurité et se donner des moyens d’exercer une influence sur les affaires du monde.
J’entends, ici ou là, des remarques européennes sur les situations budgétaires. Je rappelle aux uns et aux autres que les choix que fait la France pour sa défense sont des choix pour la France, des choix pour les Français ; mais ce sont aussi des choix pour l’Europe. Et si tous les pays d’Europe avaient sur ces sujets la même vision que la France, nous atteindrions peut-être, tous ensemble, par la mutualisation des moyens budgétaires, des résultats encore plus satisfaisants. Il faut explorer ensemble toutes les possibilités raisonnables de coopération et de « mutualisation » de nos moyens. Cela passe aussi par la convergence des efforts consentis.
Ceci pourra s’exprimer, en amont, par l’unification de l’expression des besoins militaires des différents pays européens, et en aval, par celle des structures de programme et par un rôle accru de l’Occar. Nous pourrons ainsi inciter fortement à des rapprochements industriels entre acteurs européens. C’est une source de synergie et d’efficacité, indispensable pour qu’ils puissent tenir leur rang dans le monde. La dynamique enclenchée par la loi de programmation militaire vise aussi à mobiliser nos industriels et nos chercheurs sur ces logiques d’avenir.
Les travaux de la Convention européenne sont l’occasion de donner toute sa place à la défense dans la construction politique de l’Europe – la France y veillera pour sa part –, et ainsi de lui assigner une nouvelle ambition.
Respect de nos engagements internationaux
Conformément aux grandes orientations définies en 1994, dans le Livre blanc sur la Défense, nous devons bâtir la nouvelle architecture de sécurité pour notre Europe, conforter le rôle de l’ONU, renforcer la coopération bilatérale et les accords de défense existants, et ainsi promouvoir la maîtrise des armements, le désarmement et la lutte contre la prolifération partout dans le monde.
Le respect de ces engagements internationaux nous conduit à engager, hors de nos frontières, de nombreux hommes : ils sont aujourd’hui plus de 20 000. Ce chiffre est considérable et je leur rends hommage. Ils font la fierté de notre pays qui partout dans le monde fait exister les valeurs de la France.
Les réponses de la France
Forte de ses choix stratégiques fondamentaux, la France peut répondre aux défis du monde instable, par la dissuasion et la prévention d’une part, la protection et la projection d’autre part.
Dissuasion et prévention
La dissuasion est au cœur de la sécurité de notre pays. Le président de la République rappelait, ici même, en juin 2001, que « notre concept de dissuasion, fondé sur le principe d’unicité, n’exclut pas la capacité de marquer, le moment venu, à un adversaire éventuel, à la fois, que nos intérêts vitaux sont en jeu et que nous sommes déterminés à les sauvegarder » (2). Par ses moyens pleinement adaptés aux défis contemporains, cette dissuasion constitue notre garantie ultime dans un monde incertain.
La prévention, c’est d’abord le développement des instruments qui empêchent la prolifération. L’attachement de la France à la mise en œuvre et au renforcement de ces instruments procède évidemment d’un souci d’efficacité, mais ils sont encore incomplets, soit dans leur portée, soit dans leurs mécanismes de vérification. Il faut donc persuader les pays récalcitrants que cette voie est la bonne. Certains aspects doivent encore être améliorés. Ainsi, grâce à l’initiative de la France, un « code de conduite » sur la prolifération des missiles sera, je l’espère, adopté prochainement.
Les Nations unies peuvent et doivent contribuer à cet effort d’imagination et de conviction. Ainsi, c’est dans cet esprit que le président de la République a proposé que le Conseil de sécurité se réunisse au niveau des chefs d’État et de gouvernement en 2003. Il faut évoquer et traiter la question de la prolifération à un niveau qui corresponde aux enjeux.
Protection et projection
L’effort de protection est une autre réponse à l’instabilité qui nécessite un engagement important de l’État, mais aussi une adhésion de la population et la participation active des forces vives de la nation. Le plan Vigipirate peut paraître parfois contraignant, il doit être sans cesse modernisé pour être toujours plus efficace, il n’en est pas moins essentiel à la sécurité de nos compatriotes.
Aujourd’hui, la lutte contre le terrorisme doit revêtir une dimension globale.
Parce que les menaces visent indistinctement les centres vitaux des États, les forces militaires ou les populations civiles, les réponses qu’elles appellent doivent couvrir un champ tout aussi vaste : il va du politique au judiciaire en passant par le policier, l’économique et le financier. Civils et militaires, nous sommes tous concernés.
C’est fort de cette conviction que le président de la République a décidé de présider lui-même le Conseil de sécurité intérieure, cette instance qui place la question de la sécurité au niveau le plus élevé de nos institutions. Elle est chargée de définir les orientations de la politique menée dans le domaine de la sécurité intérieure, y compris en matière de lutte contre le terrorisme.
Les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis ont mis en lumière le caractère fondamental du renseignement. L’efficacité de nos services est reconnue et je les encourage à poursuivre leur travail de vigilance et d’analyse, avec un souci affirmé de la coopération.
Le tragique attentat de Karachi nous a rappelé que nous pouvions être pris pour cible à tout moment et à tout endroit. Je tiens ici à rendre hommage aux victimes et à leurs familles qui souffrent aujourd’hui de cet acte particulièrement barbare.
La sécurité intérieure et la sécurité extérieure doivent former un tout. Pour y parvenir, le gouvernement a décidé d’associer plus étroitement les dispositifs de défense militaire et de sécurité.
La gendarmerie, forte de son statut militaire, illustre bien cette continuité nécessaire de notre action. Elle représente un trait d’union entre les efforts civils et militaires.
Tous les acteurs doivent être mobilisés. Les civils et les forces de réserve constituent des partenaires indispensables de tout système de défense moderne.
Notre défense a besoin d’une organisation territoriale adaptée. Si dans le département, le préfet est responsable de la préparation et de la mise en œuvre des mesures de défense civile, c’est à l’échelon de la zone de défense qu’est assurée la coordination des moyens de l’État face aux crises.
L’expérience récente a conduit à renforcer les pouvoirs des préfets de zone, qui peuvent procéder, sur un territoire élargi, à une coordination plus efficace et à une meilleure répartition des moyens civils et militaires engagés.
Compte tenu des dimensions nouvelles de ces risques, le rôle du ministère de la Défense est évidemment majeur. Qu’il s’agisse de son personnel, de ses matériels et de ses savoir-faire, il dispose de la compétence et de l’expérience nécessaires. Je me réjouis d’ailleurs de sa nouvelle mobilisation qui me donne le sentiment que l’ensemble du personnel a bien compris le message adressé par le Président et le gouvernement.
Au-delà du ministère de la Défense, tous les ministères – Affaires étrangères, Intérieur, Économie, Finances et Industrie, Justice, Santé, Agriculture, Transports –, tous doivent, chacun dans leurs domaines, se mobiliser. La coordination des services de l’État était déjà indispensable. Elle devient, à proprement parler, vitale. Je serai particulièrement attentif à sa bonne exécution.
L’efficacité des services de l’État a été renforcée sous mon gouvernement par l’adoption de trois lois de programmation : pour la sécurité intérieure, pour la défense et pour la justice. L’effort budgétaire est très important. Mais ce qui est encore plus important, c’est qu’il s’agit d’un effort pluriannuel, pour permettre aux différents acteurs de ces politiques d’avoir, sur l’avenir, une véritable lisibilité. Pour enclencher les différents programmes d’action, il fallait donner une perspective. C’est ce qui a été fait avec ces lois d’orientation et de programmation.
Je sais que les uns et les autres seront attentifs à leur bonne exécution. Je peux vous dire que c’est l’intention du Président et du gouvernement.
L’Union européenne et les institutions multilatérales sont aussi soumises à cet objectif de cohérence. La lutte contre le terrorisme pose dès lors à l’Europe la question de ses institutions.
Nous pensons que la distinction entre sécurité intérieure et sécurité extérieure s’efface, en Europe comme en France ; et l’Europe ne peut plus répondre aux menaces par la séparation entre les organisations nationales et cette distinction historique entre les différents « piliers ».
Ce rapprochement devra être au cœur des discussions de la Convention européenne. Il est très important pour nous tous de penser l’Europe avec cette préoccupation essentielle. Pour la première fois, nous sommes dans une situation de mobilisation qui exige que nous travaillions ensemble pour trouver les réponses aux nouvelles menaces.
Cet effort de protection est associé à une capacité importante de projection. C’est la partie offensive des mesures visant à garantir notre sécurité. Elle suppose la capacité d’engager rapidement et de soutenir dans la durée des groupements de forces interarmées, en Europe comme à l’extérieur de l’Europe. Elles ont toute leur place dans la panoplie de réponses aux nouvelles menaces.
Ainsi, pour la première fois, des moyens militaires importants – groupe aéronaval autour du Charles-de-Gaulle dans l’océan Indien, Mirage 2000 au Kirghizistan – ont été engagés dans des opérations visant à neutraliser un réseau terroriste de grande envergure.
Les leçons tirées de cet engagement, ainsi que de la guerre du Golfe et de celle des Balkans, ont plus que jamais confirmé le besoin de disposer d’une capacité autonome de projection initiale, terrestre, aérienne et maritime, permettant de mettre rapidement en place les premiers éléments d’intervention.
Cette politique impose une remise à niveau de nos moyens, conformément aux orientations établies par le chef de l’État. L’effort nécessaire est maintenant clairement traduit dans la nouvelle loi de programmation militaire et dans le projet de loi de finances 2003.
La loi de programmation 2003-2008
Décidée en 1996 par le président de la République, la réforme de notre outil de défense avait pour but de rénover nos moyens militaires en les adaptant au nouvel environnement et aux évolutions anticipées à l’horizon 2015.
La loi de programmation 1997-2002 a constitué la première étape de cette réforme, celle de la professionnalisation des armées ; mais, les crédits nécessaires à la modernisation des équipements ont fait défaut. Les capacités militaires et technologiques de nos forces armées se sont affaiblies, la dégradation de la disponibilité des forces s’est accentuée. La France a pris du retard sur le Royaume-Uni, ce qui nuit à sa capacité à faire entendre sa voix.
C’est pour cela que nous avons bâti le projet de loi de programmation militaire 2003-2008 qui vient d’être déposé au Parlement. Il sera défendu par Mme Michèle Alliot-Marie et a pour objet de consolider la professionnalisation de nos armées et de rattraper le retard accumulé. Il va nous permettre de moderniser nos équipements, de restaurer la disponibilité de nos forces et de donner à la France des capacités militaires en cohérence avec son engagement européen.
Les parlementaires ici présents, auront à cœur de participer à ce débat essentiel pour l’avenir de notre pays.
Cet effort financier profitera à toute la nation. Je tiens à vous dire que le chef du gouvernement de la France est très engagé à faire partager cet effort de défense par tous les Français. On ne peut pas souhaiter que la France fasse entendre sa voix à Johannesburg sur le développement durable, fasse entendre sa voix sur le droit à l’ONU, si la France elle-même n’est pas capable d’assumer son effort de défense. Quelle est la crédibilité d’un pays qui parle pour les autres et ne fait pas les efforts nécessaires pour assurer sa propre sécurité ?
Cet engagement est un engagement pour la France, mais aussi pour l’Union européenne, un effort nécessaire pour la sécurité des Français. Ce n’est pas un effort catégoriel, ce n’est pas un effort technique, c’est un effort politique, au sens le plus noble du mot, pour que la France puisse à la fois protéger ses citoyens et être capable de faire entendre sa voix dans le monde.
Il redonne aussi des perspectives aux industriels français, de la défense, dans les nouvelles technologies, à l’ensemble de nos chercheurs et à tous ceux qui participent à ces entreprises, ces 170 000 personnes, hommes et femmes, qui travaillent dans ce secteur.
Cet effort national doit aussi nous permettre, avec des atouts renforcés, de promouvoir des partenariats industriels nouveaux, européens et internationaux. Cette dynamique-là est une dynamique de projets. Elle concerne l’ensemble des secteurs économiques, industriels et technologiques.
Un effort cohérent avec notre engagement européen
Aux sommets de Nice et de Laeken, l’Union européenne a pris la décision de se doter, dans les meilleurs délais, des capacités militaires, technologiques et industrielles nécessaires à une défense européenne crédible et efficace.
La France a le sentiment de jouer son rôle dans cette perspective. Elle est déterminée à contribuer à cet objectif, comme le démontre cette nouvelle loi de programmation militaire. Notre pays sera ainsi à même, dès 2006, de tenir le rôle de « nation-cadre » dans une opération d’envergure conduite par l’Union européenne.
Les capacités de renseignement, partie intégrante de la capacité de commandement, seront améliorées par les satellites Hélios de deuxième génération, lancés respectivement en 2004 et 2008, et par l’accès aux capacités d’observation par satellites radar de nos partenaires européens.
Dans le domaine du renseignement de théâtre, les capacités seront valorisées avec la mise en service de nouveaux capteurs aériens et de drones offrant des possibilités nouvelles d’observation.
Des moyens de projection renforcés
C’est pourquoi, au-delà de l’amélioration de nos capacités de commandement et de renseignement, les mesures destinées à moderniser les équipements de nos forces seront nombreuses. Elles concerneront en particulier le renouvellement du segment spatial de télécommunications, nos capacités de transport avec le programme A400M, attendu avec impatience, la rénovation profonde de notre parc d’hélicoptères, la commande de notre deuxième porte-avions, la diversification des porteurs de missiles de croisière et le renforcement des capacités d’intervention des forces spéciales.
Par ailleurs, l’Armée de terre disposera d’une amélioration de sa capacité d’action et de projection. Le champ de bataille fera l’objet d’une surveillance moderne, le renouvellement des flottes de surface et sous-marine sera engagé, une composante de défense antimissiles de théâtre pour la protection des forces déployées sera développée.
Enfin et surtout, l’entretien du matériel en service fera l’objet d’une large priorité pour permettre à nos forces de retrouver un niveau satisfaisant de disponibilité.
Un format consolidé
Les effectifs du ministère de la Défense ont été réduits en six ans du fait de la professionnalisation des armées. Mais le véritable défi de cette transformation, c’est de recruter désormais quelque 30 000 jeunes chaque année pour participer à cet effort de défense. Nous l’assumerons.
C’est la raison pour laquelle la loi de programmation militaire 2003-2008 se donne les moyens de recruter, au bon niveau, en valorisant les compétences et les savoir-faire.
Une armée professionnelle, ce sont aussi des réserves, dont l’apport en capacités et en compétences est essentiel aux forces d’active, surtout en cas de crise grave.
Une condition militaire améliorée
Au-delà de ces mesures, il me paraît indispensable de faire en sorte que les contraintes spécifiques de l’état de militaire soient justement compensées, en tenant compte de l’évolution de la société civile.
Les attentes manifestées dans ce domaine au début de l’année 2002 traduisaient une inquiétude grandissante de la part d’hommes et de femmes soucieux de voir reconnues par la nation les servitudes et contraintes particulières de ceux qui sont chargés de la défendre. C’est pourquoi le gouvernement a confirmé les mesures qui avaient été décidées au premier trimestre 2002.
Il s’agissait d’un réajustement nécessaire, mais c’est, de manière plus ambitieuse, la place des militaires au sein de notre société à laquelle il convient de réfléchir. Comme l’a souligné le président de la République, le statut général des militaires, voté par le législateur il y a trente ans, mérite d’être adapté à l’évolution des esprits et de la société.
Je souhaite que cette réflexion s’engage, car les hommes et les femmes de notre défense, comme ceux du monde combattant, méritent le respect de la nation.
L’esprit de défense
L’esprit de défense, qui est la raison d’être de l’IHEDN, est le ferment de ce respect. Le service national en a constitué longtemps le vecteur privilégié.
Il importe aujourd’hui de renouveler la réflexion et de rechercher les voies nouvelles qui permettront d’insuffler au plus grand nombre de nos concitoyens, cet esprit de défense.
Je vous invite à travailler dans ce sens, avec imagination mais aussi avec audace.
Sachez, sans oublier les leçons de l’histoire, contribuer, dans le domaine qui est le vôtre, à orienter notre pays vers l’avenir, vers son avenir.
L’IHEDN voit s’ouvrir aujourd’hui devant lui des chantiers essentiels. Il vous appartient, auditeurs de la 55e session, de relever, une fois encore, ce défi et de répondre à la confiance que notre pays a placée en vous.
Je vous invite à participer à ces retrouvailles de la nation et de ses forces armées, à cette perspective nouvelle, qui rapproche aujourd’hui l’exigence de sécurité intérieure et l’exigence de sécurité extérieure, à faire en sorte que les Français puissent se retrouver dans une compréhension du monde qui permette à la France de rester elle-même, porteuse de son message universel. ♦
(1) Défense Nationale, octobre 2002.
(2) Défense Nationale, juillet 2001.