Revue des revues
• Europaïsche Sicherheit, n° 8/2002 : « Le bilan d’entrée du nouveau Generalinspekteur ». Directeur de la section « politique et arrière-plans » à Deutschlandfunk, R. Clement synthétise le bilan d’entrée du nouveau Generalinspekteur (1) : jamais semblable relève ne s’est déroulée dans des circonstances aussi contrastées. La réforme en cours de la Bundeswehr ne saurait plus être remise en question. Politiquement, l’opposition aussi est d’accord sur les mesures essentielles ; les concepts de stationnement et d’équipement ont été approuvés ; celui des réservistes est en route. Des contingents allemands servent à la Sfor, la Kfor, à l’Isaf (Kaboul), en Macédoine et, souvent oublié, en Géorgie. Sont en opération contre le terrorisme, des forces spéciales en Afghanistan, des marins autour de la Corne de l’Afrique, et une unité-cadre (2) de protection NBC au Koweït ; à portée des zones d’Opex fonctionnent des bases logistiques dans des États voisins. Le brio avec lequel les armées remplissent ces missions leur vaut l’estime et l’amitié des populations, tant nationale que des zones d’intervention.
Par contre, les armées travaillent constamment en limite de leurs possibilités, les dépassent parfois. Le nombre d’appelés « volontaires service long » (utilisables en Opex) reste très au-dessous des prévisions ; il manque des commandants de compagnie et des sous-officiers supérieurs. La rapidité du cycle « préparatifs-Opex-remise en condition » et sa fréquence augmentent les charges des forces restant au pays. Pour les rechanges, la priorité — justifiée — accordée à l’intervention ralentit à l’excès les réparations. Pour armer les bateaux envoyés en Opex, on a dû, l’an dernier, en « cannibaliser » d’autres. Les pilotes ne volent pas autant que le prescrit l’Otan. Ce n’est pas un manque de capacité industrielle qui retarde l’équipement des véhicules opérationnels en dispositifs antimines. Les objectifs intermédiaires ne sont pas atteints dans les délais prévus. Les Européens sont loin d’avoir réalisé le « catalogue des capacités » sur lesquelles ils s’étaient entendus en 1999 dans l’Otan. Au sommet de Prague, il sera « révisé », à la baisse…
Alors, « verre à moitié plein, ou à moitié vide » ? Pour l’Allemagne, le problème est essentiellement celui de moyens financiers suffisants à attribuer à ses forces armées : elles n’ont pas obtenu les rallonges sur lesquelles elles croyaient pouvoir compter. L’achat des A400M a bien été voté, mais pas les crédits hors budget de la Défense destinés à les financer (au ministre de se débrouiller) ; il faudra donc supprimer ou étaler encore d’autres programmes et les insuffisances de capacités persisteront. La privatisation de certains services (gestion de parcs de transport, ravitaillements, confection…) doivent dégager des économies importantes, mais quand ? La Défense pensait revendre, aux prix du marché, domaines et installations maintenant sans emploi (des centaines de millions d’euros attendus), mais les communes se disent maintenant moins intéressées, exigent des rabais ; la Bundeswehr ne veut pas brader son patrimoine et l’argent ne rentre pas…
La restructuration impose un grand nombre de mutations de service : on rogne les frais de déplacement ; voilà dix ans qu’on n’entretenait plus les garnisons à l’Ouest, tous les moyens allant à celles de l’Est ; maintenant, elles tombent en ruine. Ça aussi, c’est mauvais pour le moral. On mégote sur les pensions de veuves de militaires morts en Opex (3). Bref, la motivation « en prend un coup » pouvant aller, à terme, jusqu’à une diminution de la capacité d’action des unités. On reproche au gouvernement de ne pas traiter les problèmes militaires actuels, de faire de beaux discours mais de ne pas donner d’argent.
Toute réforme traverse une phase d’incertitude : le vieux ne vaut plus et toutes les conséquences du neuf n’apparaissent pas encore ; d’aucuns rechignent, alors que pour améliorer un point il faut en supprimer d’autres. Circonstance aggravante, aux questions de délais, de personnels et de moyens, s’ajoute une multiplication des Opex. Cette réforme, « une opération à cœur ouvert », ne peut réussir que dans la franchise et la loyauté. Peindre tout en noir — ou en rose — n’est pas loyal envers les militaires au moment où ils ont besoin d’une sollicitude spéciale.
Pour le général Schneiderhan, le défi est multiple puisqu’il doit à la fois : faire comprendre aux militaires que tout n’est pas possible actuellement ; exercer sur les politiques une pression en leur exposant la nécessité d’un supplément de moyens ; souligner que la Bundeswehr est, depuis quelques années, devenue un outil important de la politique étrangère allemande ; les moyens accordés donnent la mesure de l’intérêt que le gouvernement porte à sa propre liberté d’action au plan international.
Il ne doit pas farder la vérité à l’égard du ministre de la Défense, qui doit reconnaître que les comptes rendus du directeur de l’instruction et du Wehrbeauftragte (4), reflètent bien l’état actuel des armées et pas seulement les déficiences constatées. Ces signaux d’alarme, longtemps négligés, sont à traiter sérieusement. Il doit aussi le convaincre du caractère temporaire de ces difficultés et qu’en pallier une partie améliorerait durablement l’ambiance dans les unités et les états-majors. Le climat est toujours détérioré par la querelle, non vidée mais patente, entre R. Scharping et le général Kujat. Tous deux portent une part de la responsabilité ; ils doivent l’admettre ; autrement, les rapports resteraient de glace entre le ministre et le haut commandement. À la suite de la réunion de commandement, et de l’attitude de R. Scharping à cette occasion, des généraux avaient pu dire que « la limite de la loyauté était atteinte ». Cela ne saurait servir de base à un travail en commun fructueux.
• « 2001, une mauvaise année pour le contrôle des armements ! ». W. Fechner à la lecture du rapport annuel du Bonner international Conversion Center (BICC) déplore les dépenses mondiales annuelles d’armement qui ont remonté en 2001 au niveau de 1992. On s’attend à ce que, vers 2010, elles dépassent celles du temps de la guerre froide. Toujours très en tête, les États-Unis leur consacrent près de huit fois plus que le Japon, plus de neuf fois que la Chine, l’Angleterre ou la France, douze fois autant que l’Allemagne ! Entamé avant la fin de l’ère Clinton, le mouvement s’est accéléré avec W. Bush, tout spécialement depuis les attentats du 11 septembre. Par ailleurs, la philosophie américaine en matière de prolifération d’armes de destruction massive a changé. Les divers accords non encore ratifiés ne le seront pas. Washington bloque aussi les tentatives d’amélioration de l’accord sur les armes biologiques et toxiques, en refusant toute inspection de ses installations, de peur de voir compromis des secrets technologiques. De même, les États-Unis viennent d’abroger le traité ABM (5) de 1972, première pierre de la pyramide de traités sur la maîtrise des armements.
À côté de la prolifération des armes de destruction massive, on se préoccupe insuffisamment de celles des armes légères et de petit calibre, très largement répandues, notamment dans le Tiers Monde ; elles ont causé des centaines de milliers de morts dans les récents conflits africains. La paix revenue, les anciens guérilleros utilisent leur seul capital, la Kalachnikov, pour se procurer voitures, vivres, troupeaux, épouses… Il faut absolument pouvoir les réinsérer dans la vie civile, de préférence en milieu rural, mais cela coûte cher. Le BICC s’y emploie ; avec le ministère de la Coopération-Développement, il soutient le projet Saligad qui s’en occupe pour la Corne de l’Afrique ; de premiers résultats apparaissent seulement en Somaliland, cet État non encore reconnu par la communauté internationale. Son gouvernement a confié aux communes la charge du désarmement. Il y a bien encore force Kalach’ dans la nature, mais elles sont désormais beaucoup moins utilisées. Directeur de Saligad, M. Guébré-Wold reconnaît que ce n’est encore que le début d’un lent processus pour développer ou ranimer au Somaliland des procédures traditionnelles de résolution des conflits sans recours aux armes. Sitôt récupérées, celles-ci sont détruites. ♦
(1) En fonction seulement depuis deux ans, le général Kujat a été remplacé le 27 juin par W. Schneiderhan, précédemment chef de l’EM de planification du ministre. Un officier de mêlée remplace l’aviateur dont les rapports avec R. Scharping devenaient exécrables. Courant juillet, Kujat a été nommé président du Comité militaire de l’Otan (quant au ministre, il a été remplacé peu après par Peter Struck. NdT).
(2) Geräteeinheit : unité au complet en matériel mais d’effectif très réduit. En cas de besoin, elle pourrait être activée très rapidement (peut-être même sans nouvelle autorisation du Bundestag puisque l’effectif voté par lui pour l’Afghanistan est loin d’avoir été envoyé en totalité ! NdT).
(3) Cf. Der Spiegel, n° 25/2002 : en 1999, R. Scharping promet une allocation de 75 000 Marks en pareil cas ; deux mois plus tard, le médecin en chef Eckelmann périt écrasé dans le blindé qui le ramenait d’une mission en Albanie sur son poste d’Ohrid (Macédoine), et qui est tombé d’un pont. Dossier refusé par Scharping ; l’affaire est maintenant devant la Justice.
(4) Le parlementaire élu par le Bundestag pour suivre toutes les questions militaires et plus spécialement l’évolution du moral dans les armées (NdT).
(5) En dépit des objections de Moscou, mais sans détérioration des rapports avec lui. Il est vrai que depuis la disparition du contractant soviétique, ce traité n’imposait plus d’obligations qu’aux seuls États-Unis… (NdT).