Histoire des sous-marins des origines à nos jours
Cette rubrique traite rarement d’ouvrages classés a priori dans la catégorie « beaux livres » ; celui-ci justifie l’exception car il réussit le tour de force, au-delà d’une présentation impeccable et d’une iconographie riche et souvent originale, de faire de la vulgarisation intelligente capable d’éveiller l’intérêt du profane sans ennuyer le professionnel, de présenter beaucoup de données, et d’indiquer des pistes pour une recherche bibliographique approfondie sur tel ou tel point qui aurait particulièrement retenu l’attention.
Le plan général suit à juste titre un découpage chronologique tant les évolutions des techniques et leur application au sous-marin que les stratégies, mais aussi l’emploi opérationnel ont façonné sur plus d’un siècle ces navires fondés sur une idée simple : disposer de l’atout tactique déterminant qu’est la discrétion par immersion. Des sous-marins de défense de rade aux sous-marins nucléaires lanceurs de missiles balistiques, de l’application tactique au champ maritime local à la garantie de la capacité de frappe en second, essentielle à la crédibilité d’une stratégie de dissuasion nucléaire, des trois épisodes de guerre totale à l’économie des puissances maritimes – deux allemands perdus en Atlantique et un américain gagné dans le Pacifique – à la lutte sous-marine secrète qui constitua un domaine privilégié d’affrontement de la guerre froide, les chapitres s’enchaînent.
Le plus souvent, c’est une invention appliquée au sous-marin, qui marque les grandes évolutions ; ceci est particulièrement établi pour la propulsion, où les étapes essentielles du cheminement vers l’absolu de la propulsion nucléaire sont parfaitement décrites, ainsi que les modes généralement anciens dans leur principe comme la turbine Walter, ou de conception plus récente mais dont la technique balbutie encore, qui visent à étendre de manière significative les capacités de manœuvre en immersion de sous-marins auxquels il ne manque que le nucléaire…
Les évolutions ont aussi participé d’une analyse du besoin opérationnel et à ce titre, n’ont été possibles que par la fusion de techniques existantes ou nouvelles au prix d’une intégration poussée, d’un accroissement du déplacement et d’une véritable révolution architecturale. L’Elektroboot de 1944 est exemplaire de cette démarche ; le SSBN George Washington l’est aussi dans son genre ; accessoirement, ces véritables ruptures dans l’évolution du sous-marin sont les fruits de pressions opérationnelles irrésistibles : la chute notable de l’efficacité des sous-marins allemands dans l’Atlantique par l’effet conjugué de la mise en œuvre par les Alliés des convois, du radar aéroporté et de l’interception-décryptage des messages radio ennemis pour l’un, l’avantage stratégique démontré par le lancement du Spoutnik par l’Union soviétique pour l’autre.
De là l’articulation en cinq grands chapitres couvrant des périodes de durées inégales, mais distinctes dont le caractère propre glisse progressivement du rôle secondaire du submersible défenseur de rade à celui de capital ship, et, après la guerre froide, de plate-forme privilégiée de la guerre littorale, soit de l’action discrète ou de la frappe contre la terre.
Deux autres chapitres complètent l’ouvrage, l’un sur les opérations spéciales et les sous-marins de poche, l’autre sur les « sous-marins jaunes » de sauvetage, d’exploration et plus généralement d’intervention sous la mer. Outre que les techniques mises en œuvre se rattachent à un tronc commun, les opérations conduites à l’aide de ces « véhicules » sont le plus souvent complémentaires et ce n’est pas un hasard si les États maîtrisant les moyens habités ou les robots les plus performants sont aussi ceux qui détiennent des forces sous-marines modernes.
À défaut de réelle critique relative à ce beau livre, je voudrais néanmoins faire part d’une observation et d’un regret. La première a trait à l’absence complète d’indication sur la conduite des opérations de sous-marins. On comprend bien les principes qui ont soutenu telle ou telle phase de la guerre sous-marine ; en revanche rien ou peu ne sont indiqués concernant l’utilisation indépendante ou non des forces sous-marines, l’organisation du commandement et du contrôle des opérations, les transmissions, le poids du renseignement, l’importance du secret, etc. L’un des auteurs étant sous-marinier ne peut ignorer qu’au-delà du matériel, cela constitue l’anima même des sous-marins dans la guerre navale ; on attribuera donc son silence sur ce point au respect du secret qu’il a pratiqué tout au long de sa carrière. Le regret concerne le manque d’une page sur les sous-mariniers eux-mêmes, sur les caractères communs indépendamment des époques et des nationalités qui font qu’il existe une communauté de comportement extraordinairement forte. Ceci conduit à une facilité de relations étonnante entre sous-mariniers ; ceci conduit aussi à une peine profonde lorsque survient un accident comme la perte du Koursk. ♦