Le tragique attentat de Bali a mis sur le devant de la scène du Sud-Est asiatique les affres du terrorisme islamiste. Cette nébuleuse s'appuie sur des plates-formes locales de contestation dont se nourrissent les mouvements extrémistes. Elle tente également d'infiltrer ou d'influencer certaines couches sensibles des communautés musulmanes implantées dans la région. À ce titre, le brûlot indonésien et le Sud des Philippines sont les havres de manipulation les plus propices pour les organisations terroristes, mais la Thaïlande, dont la partie méridionale est peuplée d'une minorité musulmane au passé agité, représente aussi un pôle d'inquiétude. Dans cette lutte contre le terrorisme, les réactions ont mis en lumière un accroissement significatif du rôle régional de l'Asean (Association des nations du Sud-Est asiatique) et de l'Australie. Elles ont aussi permis aux États-Unis de redéfinir leurs positions stratégiques dans cette partie du monde.
L'Asie du Sud-Est et le terrorisme
L’odieux attentat dans l’île de Bali (Indonésie) qui a fait près de 200 morts en octobre 2002 a surtout visé des ressortissants occidentaux et australiens. L’horrible carnage voulu par les commanditaires dans l’un des hauts lieux du tourisme asiatique s’inscrit dans une stratégie précise d’installation de peur généralisée et de désorganisation de l’économie d’un État. L’action revêt un caractère d’autant plus inquiétant qu’elle affecte le premier pays musulman du monde et se situe dans une zone déjà fortement secouée par les convulsions de mouvements islamistes.
Le brûlot indonésien
Avec ses 180 millions de musulmans (soit 85 % de sa population) (1), l’Indonésie constitue un terreau important pour les groupuscules islamistes. Toutefois, les deux grands mouvements musulmans du pays, le Nahdatul Ulama (Renaissance des oulémas) et la Muhammadiyah, qui comptent chacun plusieurs dizaines de millions de fidèles, rejettent tout fondamentalisme. La menace vient plutôt des organisations radicales comme la Jemaah Islamiyah, un réseau extrémiste qui, selon les services de renseignement américains et indonésiens, entretient des liens étroits avec Al-Qaïda (2). Son chef, Abou Bakar Baashir, a d’ailleurs été arrêté après l’action terroriste perpétrée à Bali. Ce prédicateur islamiste, d’origine yéménite, a déjà fait quatre ans de prison au milieu des années 80, pour avoir mené une campagne virulente en faveur de la création d’un vaste État islamique comportant la Malaisie péninsulaire et le Sud musulman des Philippines. Après un exil en Malaisie, il a profité de la chute de Suharto en 1998 pour rentrer en Indonésie et fonder à Yogyakarta le MMI (Conseil indonésien des moudjahidines), une composante obscure du fondamentalisme qui reprend les thèmes mobilisateurs sur la création d’un foyer islamiste en Asie du Sud-Est et qui vise à imposer la charia.
L’activisme islamiste a revêtu des formes violentes à la fin des années 40 avec l’insurrection du Dar-Ul-Islam, qui luttait pour l’instauration d’une Indonésie entièrement musulmane, puis dans les années 70-80 avec les actions terroristes menées par des groupuscules extrémistes tels que le Jihad Commando, l’Indonesian Islamic Revolutionary Council, l’Usroh (la famille) et le Kommando Mujahedin Fisabillah (le Commando des guerriers dans la voie de Dieu, très actif dans la région de Lampang à Sumatra). Toutes ces factions révolutionnaires ont été anéanties par l’armée indonésienne à l’occasion de campagnes de répression particulièrement dures, mais les rancœurs sont demeurées. Les braises ont été ravivées après la chute de la dictature Suharto. L’appel à la guerre sainte a de nouveau été lancé par un mouvement sécessionniste (3) dans la province d’Aceh au nord-ouest de Sumatra, et par les Frères musulmans dans le Sud de l’archipel des Moluques, où réside une importante communauté chrétienne qui constitue notamment la moitié de la population de l’île d’Amboine. Le Djihad lancé dans l’archipel aux épices contre le soi-disant « complot chrétien » a fait, depuis quatre ans, plus de 4 000 morts et près de 500 000 déplacés. La situation s’est aggravée dans cette zone sensible avec l’arrivée de commandos islamistes du Lashkar-e-Jhangvi. Cette redoutable organisation fondamentaliste basée au Pakistan est composée de militants en provenance de différents pays arabes et qui ont été entraînés dans les camps yéménites et afghans avant la chute des taliban. La faction intégriste a pris le nom de Lashkar Djihad en Indonésie. Elle orchestre aussi une croisade violente contre les chrétiens des Célèbes. Il est vrai que l’extraordinaire dispersion insulaire de l’Indonésie (plus de 13 000 îles composent les 1 904 500 kilomètres carrés du plus grand pays musulman du monde) rend particulièrement difficile le contrôle des frontières maritimes. Le pays est donc largement ouvert aux infiltrations terroristes de toutes sortes.
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