État-major des armées - Opérations amphibies : de nouvelles perspectives
Les opérations amphibies consistent, par la mise en œuvre de moyens inter-armées, à projeter des forces depuis la mer vers une côte pouvant être hostile. Il s’agit d’utiliser la mer, espace de liberté, pour agir vers la terre, lieu d’expansion et de règlement des crises. La projection de puissance à partir de la mer implique aéronefs, missiles de croisière et unités spéciales pour des missions de destruction ou de neutralisation ; les opérations amphibies, quant à elles, consistent à débarquer des forces terrestres pour atteindre des objectifs dont la nature peut varier fortement d’une mission à l’autre.
Difficile à construire, délicate à mettre en œuvre, cette capacité n’est détenue que par un petit nombre d’États, dont la France, qui a désormais une ambition accrue en la matière et s’en est donné les moyens ; mais cette montée en puissance développe aussi une dimension multinationale et, singulièrement, européenne.
Depuis le début des années 90, l’action des forces navales s’est tournée vers la terre. Scène des affrontements navals discrets de la guerre froide, la mer est devenue un espace de manœuvre pour prévenir, contenir ou réduire les crises dans de nombreux pays. À la sortie du conflit Est-Ouest, la projection de forces depuis la mer se limitait au transport opérationnel, c’est-à-dire au débarquement de troupes et de matériel par des moyens maritimes militaires, sans opposition.
Le développement d’une stratégie d’action et la nécessité de pouvoir élargir l’éventail des possibilités tactiques de mise à terre de forces ont conduit à redéfinir l’ambition nationale en matière d’amphibie. L’édition par l’état-major des armées, en 1997, du premier concept national des opérations amphibies a concrétisé ce renouveau. La commission interarmées des études amphibies (CIEA), co-présidée par Alfan (1) et le CDES (2), est le moteur de la réflexion, de la préparation des concepts et des procédures nécessaires à l’édification de ce savoir-faire. Les premières actions de formation, la réalisation d’exercices, le développement de « l’interopérabilité », les échanges avec les marines alliées ont accompagné et concrétisé la dynamique insufflée. Par ailleurs, l’entrée en service, dans les années 90, de deux bâtiments transports de chalands de débarquement (TCD), et surtout le lancement d’un nouveau programme au baptême significatif, « bâtiments de projection et de commandement (BPC) », ont renforcé les capacités navales de projection de forces. Ces moyens ouvriront de nouvelles possibilités d’intervention aux forces terrestres, qui pourront être projetées plus vite et plus loin. Enfin, les premières opérations de pré-positionnement de TCD, singulièrement au large de l’Afrique, ont démontré la pertinence des modes d’action intégrant une dimension amphibie, y compris pour la prévention des crises.
Sur la base des enseignements des exercices et des opérations, le corpus documentaire s’est étoffé en 2002 avec la parution du premier document de doctrine interarmées des opérations amphibies, version enrichie et adaptée aux particularités nationales des manuels de l’Otan.
L’année 2003 verra cette édition complétée par un volet consacré au pré-positionnement stratégique d’un groupe amphibie constitué autour d’un seul TCD.
Cette année sera également celle du nouveau concept national des opérations amphibies. Il prendra en compte le caractère modulaire de la force amphibie, uniquement présentée jusqu’alors sous un format à quatre grands bâtiments. Il affichera la capacité de la France à commander une opération amphibie multinationale et sa volonté de ne plus limiter ce type d’opérations aux côtes « faiblement défendues ». En revanche, la nouvelle version maintiendra le volume maximum de la force de réaction embarquée (FRE) à 1 400 hommes, selon une répartition flexible, mais dont un modèle peut être : une compagnie de commandement, trois compagnies d’infanterie motorisée, un escadron de blindés légers, une section de mortiers lourds, un élément de génie, un élément d’artillerie sol-air, une vingtaine d’hélicoptères et un groupement de soutien logistique.
À partir de 2005, la capacité amphibie nationale sera valorisée par les BPC, leur pont continu permettra la mise en œuvre simultanée de six hélicoptères, dont un modèle lourd comme le Super Stallion. C’est bien la dimension aéromobile qui permet de se rapprocher plus vite des objectifs assignés aux forces terrestres et d’exploiter au mieux l’effet de surprise. La batellerie, indispensable pour le débarquement du matériel blindé, sera aussi rendue plus performante. Dans le domaine amphibie, une nouvelle étape s’ouvrira alors, qui permettra de constituer, autour des BPC-TCD, des capacités amphibies modernes et efficaces. Elles pourront être employées pour des opérations nationales mais aussi dans un cadre multinational.
Parmi les nations européennes dotées de forces amphibies, la singularité française est de mettre en œuvre une composante clairement interarmées. L’Armée de terre, la Marine et dans une moindre mesure l’Armée de l’air sont des partenaires à part entière des activités amphibies, qu’il s’agisse de la préparation de la doctrine, de la planification ou de la conduite. Cette démarche est distincte de celle qui consiste à réunir des unités de type « Marines ». Une certaine polyvalence a donc été préférée à la spécialisation, par héritage culturel mais surtout parce que cette solution évite d’immobiliser des forces dans le seul but de garder prête une capacité amphibie.
Conséquence d’une déclaration d’intention formulée en décembre 2000 par l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la France, « l’Initiative amphibie européenne (IAE) » a pour but de renforcer la capacité de l’Union par une meilleure coopération et par l’amélioration de « l’interopérabilité ». Les moyens de « l’initiative », qui regroupent un potentiel de forces projetées pouvant atteindre le volume de trois brigades, sont utilisables pour des opérations de l’Otan, mais surtout dans le cadre de l’Union européenne. En effet, les forces amphibies apparaissent comme particulièrement bien adaptées aux missions dites de Petersberg : missions humanitaires, évacuation de ressortissants, maintien ou rétablissement de la paix. La discrétion des bâtiments, leur capacité à durer, le volume de matériel et de combattants transportés, ainsi que la possibilité de s’affranchir d’un port, constituent des atouts qui rendront souvent ce choix judicieux.
Enfin, cette capacité amphibie multinationale est aussi obtenue, entretenue et évaluée par l’exécution régulière d’exercices. Ainsi, en 2002, Destined Glory et Abélia ont permis de valider l’aptitude française à commander une force amphibie multinationale.
La loi de programmation 2003-2008 prolonge l’effort national de renouvellement des capacités amphibies, entrepris dans les années 90. Elle permettra l’entrée en service rapide des deux BPC et le début du renouvellement de la batellerie. Cet effort traduit le souci de pouvoir projeter des forces depuis la mer, selon un éventail d’options aussi ouvert que les crises sont de nature variée. La liberté de décision s’exprime dans le choix des modes d’action, dans la manœuvre d’ensemble mais aussi dans les modalités d’exécution. Cette capacité nationale sera encore accrue avec les instruments modernes appelés à entrer en service à partir de 2005, de manière cohérente avec l’arrivée des BPC : les hélicoptères Tigre et NH 90 de l’Alat, et les nouveaux moyens blindés des forces terrestres. L’emploi combiné de ces atouts repose sur des savoir-faire à forte valeur ajoutée que les armées travaillent à améliorer encore. Ces efforts mobilisent certes la communauté nationale de l’amphibie, mais ils contribuent aussi à donner corps à la défense européenne que la France appelle de ses vœux. ♦
(1) Amiral commandant la force d’action navale.
(2) Commandement de la doctrine et de l’enseignement supérieur de l’Armée de terre.