Le monde est grand... Ben Laden est son prophète
L’ouvrage de Charles Delamare mêle habilement la campagne normande et le monde arabe. Ce double aspect donne au roman qui nous est proposé un intérêt géopolitique. La campagne normande nous plonge dans la France rurale des intrigues de familles. Le monde arabe est celui des affaires juteuses et des complots. L’auteur a mis à profit d’une part ses origines normandes dans le terroir des haras de pur-sang qui font la fortune de quelques riches propriétaires, d’autre part sa longue expérience d’administrateur de l’État et de banquier international pour pénétrer ces deux mondes, notamment celui de la nébuleuse commerciale du Proche-Orient. Dans le récit de Charles Delamare, ces deux univers se mélangent et créent des situations étranges dans lesquelles prédomine la méfiance réciproque entre les civilisations chrétienne et musulmane.
Par le truchement de ses personnages impliqués dans une enquête policière qui a beaucoup de mal à pénétrer les arcanes de l’islamisme, l’auteur décrit assez bien l’un des volets les plus mystérieux de la politique intérieure de l’Arabie saoudite. Cet aspect touche aux cabales qui sont montées dans les coulisses du pouvoir saoudien. La situation imaginée par l’écrivain aurait pu être de la pure fiction avant les attentats du 11 septembre. Mais après les drames qui ont ensanglanté l’Amérique et bouleversé la planète, la conjoncture décrite par Charles Delamare (et rédigée bien avant les tragédies de New York et Washington) pourrait s’avérer prophétique. Le cadre de l’énigme du roman s’appuie sur une machination : Oussama Ben Laden veut renverser le royaume saoudien et créer une république qu’il dirigera ; il utilisera l’arme du pétrole comme moyen de pression sur l’Occident en vue de détruire Israël et convertir par la force le monde entier à l’islam. El Otami soutenant le pouvoir du roi avec sa puissante tribu est un obstacle majeur à ce dessein. Le dirigeant d’Al-Qaïda décide donc de le faire assassiner. El Otami se trouve alors dans la campagne normande où il entretient des relations dans le milieu huppé des courses de chevaux qui se déroulent à Deauville. Ben Laden y envoie un homme de main pour accomplir son forfait, mais…, le tueur à gage se trompe de cible !
Les intrigues de la politique intérieure saoudienne ont des conséquences internationales lorsqu’elles touchent au milieu des ventes d’armes. Car l’homme assassiné par Al-Qaïda en Normandie était l’homme des Américains qui essayaient de vendre des chasseurs F-16 au royaume wahhabite. De leur côté, les Américains étaient en concurrence avec les Français qui tentaient de convaincre Riyad de leur acheter des Mirage. Dans cet imbroglio où s’ingèrent les notions d’affairisme, d’islamisme, de conspirations et les histoires de familles dans un coin de la France profonde, le roman de Charles Delamare est rempli de rebondissements. Des rebondissements qui sont caractéristiques de ce monde en pleine mutation, marqué par la loi cruelle du profit, les dérives du capitalisme sauvage et les excès d’une mondialisation mal maîtrisée ; mais aussi un monde hanté par l’ombre menaçante d’Al-Qaïda. ♦