Mobilité stratégique et souplesse tactique, pourquoi réinventer ce qui existe ? Certes problématique lorsqu’il est appliqué au vivant, le clonage matériel a fondé la réussite industrielle de nos nations : une bonne solution est reproduite au moindre coût tant qu’aucune révolution d’emploi ou de fabrication ne la frappe de désuétude.
À la lumière des débats sur la loi de programmation militaire, qui laisse plusieurs options ouvertes pour la construction du deuxième porte-avions, l’auteur, riche de son expérience en emploi opérationnel, souligne la régression stratégique d’un retour aux énergies fossiles qui ne serait fondé que sur de simples espoirs de communauté matérielle ou d’économie d’échelle.
Les budgets seront toujours contraints mais, sauf surcoût trop considérable, l’option nucléaire restera longtemps « the best military value for national money ».
Depuis l’écriture de ces lignes, Le MOD/UK s’est prononcé en faveur des contractants nationaux et l’on parle maintenant d’unités de 65 000 tonnes…
« Dur, de remontrer à César ce qu’il doit surtout ne pas faire s’il veut mener à bien son entreprise : qu’il persiste ou vous suive, qu’il échoue ou réussisse, vous serez discrédité ou il prendra ombrage de votre sagacité » (1). Sans toucher un sujet fondamental de société, mon propos abordera tout de même un facteur important du succès des entreprises militaires de la France, dans une stratégie expéditionnaire qui s’est imposée dans les faits depuis plus de vingt ans. Si l’utilité pour la France de mettre en service un second porte-avions n’échappe à presque plus personne, sa forme future semble encore offrir à plusieurs les délices de la supputation ; à l’instar du prudent général romain, mon conseil à ce sujet sera simple : « N’abandonnons surtout pas l’énergie nucléaire ».
Après avoir conduit le groupe aéronaval du Foch pour un déploiement lointain de quatre mois, j’ai eu l’honneur de lancer les avions du Charles-de-Gaulle au-dessus de l’Afghanistan pendant les sept mois de l’opération Héraclès. Connaissant les deux générations de navire, j’ai bien du mal à discerner les avantages que l’on trouverait à choisir encore une formule nouvelle, lorsque nous disposons déjà d’un dessin réussi, adapté à nos avions, nos ports, nos bassins et nos infrastructures, et qui, surtout, tire déjà parti de la dernière vraie révolution en construction navale, j’ai nommé l’énergie nucléaire. Parmi les paramètres du choix, c’est un élément déterminant de la valeur opérationnelle de ce navire capital. Plusieurs aspects, plus secondaires mais dont l’ensemble représente un poids financier considérable, peuvent être évoqués à l’appui de telle ou telle autre solution ; ce n’est pas toujours en défaveur de celle que j’appelle de mes vœux. Une commission particulière, mise en place par le ministre de la Défense, étudie pour le printemps prochain ces différentes options ; les critères de coût de réalisation et de coût de possession ayant une particulière importance. C’est afin de mieux éclairer le public sur les effets de tel ou tel choix sur la pratique des opérations que je me lance dans cette tentative d’exprimer, en termes simples, certains aspects de la complexité de son emploi, intimement liés à celle de sa construction.
La mobilité stratégique
L’indépendance, l’autonomie et la mobilité stratégique sont les principales qualités d’un porte-avions, et de tout navire de guerre. Avec l’énergie nucléaire, ces qualités sont portées à un point inégalé : en le libérant des réguliers rendez-vous de ravitaillement, à la mer ou au port, son indépendance et sa mobilité dépassent celles d’un navire à énergie fossile, et son autonomie rejoint enfin celle, perdue depuis plus d’un siècle, des anciens navires à voile. Souvenons-nous que vaisseaux et frégates croisaient pendant des mois, quelques escales de « rafraîchissement » suffisant à faire de l’eau et à approvisionner un peu de verdure contre le scorbut. Aujourd’hui l’eau est produite à bord et sept semaines de vivres réfrigérés sont en soute. L’avènement de la vapeur apporta la mobilité tactique, mais il imposa la conquête parallèle de très nombreux points d’appui pour les réserves de combustible. Charbonner fut le calvaire de la flotte russe dans son périple de Saint-Pétersbourg à Tsushima et, à l’ère du pétrole, la guerre du Pacifique imposa aux États-Unis un énorme effort d’infrastructure logistique dont les traces persistent sur les îles et atolls qui parsèment ce vaste océan. La projection d’une puissance décuplée n’était plus possible sans un chapelet de relais, tour à tour cause ou bénéfice de l’expansion coloniale. Aujourd’hui ces points d’appui ne sont plus sous notre souveraineté et leur accès peut nous être refusé. C’est différent pour un navire de commerce : consommation modérée et vastes réserves lui permettent de compléter au meilleur prix dans les multiples ports qu’il a vocation à visiter pour ses opérations commerciales. La vocation du navire de guerre est au contraire de « tenir la mer » ; même la force latente de la « fleet in being » s’érode vite si celle-ci ne fait rien ; pour remplir sa mission il lui faut naviguer sans relâche.
La mobilité stratégique
La souplesse tactique
La fiabilité
Un dessin réussi
Une dépense à bon escient