Cet article a été rédigé au lendemain même de la chute de Bagdad. Il porte essentiellement sur les aspects militaires de cette guerre. Il retrace les grandes lignes des opérations telles qu'elles ont pu être alors perçues, et évoque les questions qui se posent sur l'état réel de l'armée irakienne et la nature même de certaines actions conduites par les coalisés. Tout en mettant l'accent sur l'énorme puissance de feu dont ont disposé les forces attaquantes, l'auteur met également en évidence les caractéristiques originales des opérations qui contrastent quelque peu avec celles relevées jusqu'ici chez les Américains : simultanéité, par exemple, de l'engagement des forces aériennes et terrestres, nombre relativement réduit de divisions engagées et style même de leurs actions.
Premières réflexions sur une guerre atypique
Essayer de tirer des enseignements de la guerre au lendemain même de la chute de Bagdad est sans doute une entreprise risquée, par manque de recul sur l’événement. Cependant, le schéma des opérations apparaît désormais clairement. Il permet d’ores et déjà de mettre en évidence les caractéristiques essentielles de cette guerre, ses mystères et les surprises qu’elle nous a réservées.
Schéma des opérations
Les coalisés ont poursuivi simultanément trois objectifs, chacun d’eux ayant été atteint par des opérations d’un style différent.
Bagdad
Ainsi au centre, l’objectif prioritaire de cette guerre, Bagdad, objectif alloué aux seules forces américaines, a été atteint par une succession de raids conduits par des unités mécanisées largement dotées de chars lourds et ce, dans le plus pur style des campagnes-éclair d’antan ! Le terrain s’y prêtait, les moyens mis en œuvre aussi — deux divisions mécanisées en tête, soutenues par deux divisions plus légères de parachutistes. Certes, les déconvenues n’ont pas manqué la première semaine. Tout s’est passé comme si les Américains avaient espéré que le régime de Saddam Hussein s’écroulât tout de suite comme un château de cartes, tandis que leurs troupes fussent accueillies à bras ouverts par la population. Le nom même donné à cette guerre « Liberté en Irak » traduisait la conviction des coalisés d’agir en libérateurs… et entretenait sans doute l’illusion d’être accueillis comme tels. Quant au nom de l’offensive aérienne, « Choc et stupeur », il laissait supposer que la volonté de défense de l’adversaire était suffisamment fragile pour être annihilée d’emblée par quelques frappes spectaculaires comme celles qui ont atteint Bagdad à la fin du premier jour de la guerre. De fait, la population n’a pas réagi comme espéré tandis que les unités irakiennes offraient une résistance tenace, tant au sud, au port d’Oum Qasr notamment, qu’aux points de passage obligés sur l’Euphrate et le Tigre, comme à Nasiriyyah, Nadjaf, Al Hillah, Al Kut.
Il faut reconnaître que le commandement américain ne s’est pas laissé détourner de son objectif. Il n’est pas tombé dans le piège que leur tendaient les Irakiens, à savoir s’engluer dans des opérations de détail pour éliminer les poches de résistance ainsi constituées, lesquelles ont été systématiquement contournées. Seul un rideau de troupes était laissé autour de ces poches pour en assurer l’isolement en attendant de les réduire plus tard. À la fin de la première semaine, les unités de pointe étaient à moins de cent kilomètres de Bagdad après avoir pénétré de plus de cinq cents kilomètres à l’intérieur de l’Irak. Cette performance, peu de commentateurs l’ont soulignée. L’accent a été mis bien davantage sur l’arrêt de la progression qui s’est prolongé presque toute la deuxième semaine de la guerre. Un tel arrêt, baptisé bien à tort « pause », ajouté aux premières déconvenues précédemment rappelées, a été le plus souvent interprété comme une preuve d’enlisement du conflit, d’où inquiétude, voire sinistrose chez les uns tandis que d’autres, hélas, par pacifisme ou anti-américanisme prononcé, cachaient mal leur satisfaction…
De fait, l’arrêt en question s’imposait pour consolider les positions acquises et surtout pour sécuriser les axes de ravitaillement dangereusement étirés et de ce fait vulnérables. À la fin de la deuxième semaine d’ailleurs, l’offensive reprenait. Quarante-huit heures plus tard, l’aérodrome international de Bagdad était aux mains des forces américaines. Le lendemain de cet événement-surprise, des blindés américains pénétraient dans la capitale elle-même. On sait la suite.
Bassora
Au sud, dans la zone de Bassora, objectif des forces britanniques, les opérations devaient être conduites de façon différente, avec beaucoup de souplesse, de doigté, et de ténacité. Elles ont connu, certes, les mêmes déconvenues que les Américains. Elles ne se sont cependant pas précipitées, elles non plus, dans la guérilla qui les attendait au cœur de Bassora. Elles ont pris leur temps pour encercler la ville, pour rassurer peu à peu la population afin de la libérer de l’emprise des éléments combattants installés dans la cité. Simultanément, ces derniers étaient progressivement affaiblis par des raids ciblés — raids de blindés et raids aériens dont l’un d’eux au moins a permis d’éliminer un haut responsable du régime irakien. Ce style des opérations imposait d’évidence des délais. Conjugué avec la « pause » de l’offensive vers Bagdad, il a renforcé, au cours de la deuxième semaine, l’impression d’enlisement que beaucoup, à l’extérieur, redoutaient… La prise de contrôle de Bassora par les Britanniques, au moment même où Bagdad tombait, balayait rumeurs et pronostics les plus sombres. De plus, la chute de la ville était obtenue au prix de pertes très faibles chez les Britanniques… et dans la population civile.
Le Nord
Le troisième objectif — contrôler et à la fois contenir la poussée des Kurdes vers les centres pétroliers de Mossoul et Kirkuk tout en repoussant les forces irakiennes — s’avérait difficile. Le refus de la Turquie d’autoriser le déploiement sur son territoire d’une division américaine destinée à investir par le nord les centres en question avait sérieusement compliqué les choses. L’action militaire, totalement différente de celles adoptées au centre et au sud du théâtre irakien, a étrangement ressemblé à celle conduite en Afghanistan contre les taliban : commandos américains aéroportés et action aérienne en soutien des éléments kurdes, ces derniers jouant en quelque sorte le rôle attribué, en Afghanistan, aux « forces du Nord » pour chasser les taliban. Au lendemain de la chute de Bagdad, les peshmergas s’emparaient sans combat de Kirkuk puis de Mossoul, priés ensuite de se montrer discrets et même d’évacuer ces villes afin de ne pas soulever l’ire de la Turquie. Ils cédaient la place aux forces américaines alors sérieusement renforcées.
Les mystères de la guerre
Avant d’en venir à ses caractéristiques essentielles, il convient d’évoquer les mystères de cette guerre, que le commandement américain s’est bien gardé de lever jusqu’ici.
Les forces irakiennes
Le mystère le plus épais a concerné — et concerne encore — l’état réel des forces irakiennes au début du conflit et les conditions dans lesquelles ces forces se sont littéralement évaporées à la fin, ne laissant aux mains des coalisés qu’un nombre étonnamment réduit de prisonniers. De nombreuses questions, aujourd’hui sans réponses, se posent sur la réalité des quelques huit ou neuf divisions annoncées, dont six de la Garde républicaine, sans même tenir compte de la garde rapprochée de Saddam, présentée comme l’inexpugnable rempart du régime. Certes, la stratégie irakienne est apparue clairement dès la première semaine de la guerre, stratégie basée sur une défense décentralisée, conduite par des forces légères chargées notamment de tenir les villes situées sur les itinéraires obligés des unités américaines le long de l’Euphrate et du Tigre. Il faut néanmoins se demander où sont passées les divisions annoncées, avec leurs 700 chars et leurs pièces d’artillerie, ainsi que les missiles sol-sol à moyenne portée dont l’adversaire était censé disposer encore ; sans même évoquer les armes de destruction massive, décidément introuvables car, selon toute vraisemblance, inexistantes ; ni les énormes bunkers souterrains à plusieurs étages étalés sous la ville de Bagdad, dont la presse a même diffusé les plans… Unités irakiennes, chars, pièces d’artillerie ont sans doute été, en bonne partie, hachés menu d’abord par l’aviation, puis par les blindés et l’artillerie des coalisés ; sans doute également, le reste des unités s’est-il, pour une large part, dissous de lui-même — ou sur ordre — devant l’inanité de toute résistance. Il y a eu manifestement un peu de tout cela… sans oublier les effets d’une désinformation encore plus évidente.
Discrétion américaine
Le mystère est d’autant plus épais que le commandement américain lui-même est resté d’une discrétion étonnante sur ces éléments comme sur les combats engagés par ses propres forces aériennes et terrestres. Ainsi s’est-il montré particulièrement hermétique sur les zones et la nature des objectifs traités par son aviation aux différentes phases de la guerre. Nous ne savons pratiquement rien non plus sur le volume des forces spéciales engagées, pas plus que sur leurs zones d’action ni sur leur rôle notamment lors de l’investissement de Bagdad. Quant à l’intensité des combats livrés contre les môles de résistance irakiens, surtout à Nasiriyya, Nadjaf, Al Kut et Kerbala, elle reste difficile à apprécier aujourd’hui, en l’absence de tout commentaire officiel quelque peu détaillé.
Les médias n’ont guère été en mesure de compenser de telles lacunes, malgré la foule des journalistes envoyés sur place. Ceux installés à Bagdad dans le building que les autorités irakiennes leur avaient spécialement réservé avaient certes une vue panoramique sur la cité — et sur les attaques aériennes dont celle-ci était l’objet. Ils étaient cependant incapables de dire sur qui ou sur quoi frappaient les raids. Ceux qui accompagnaient les unités de pointe des forces terrestres, non seulement n’avaient qu’une vue partielle des combats mais encore les images qui nous étaient transmises étaient-elles soigneusement filtrées et sélectionnées… Les mêmes passaient alors en boucle sur les écrans de télévision, parfois reprises les jours suivants. L’attention se concentrait alors sur les commentaires des « experts » lesquels nous ont apporté, ici et là, des éclaircissements intéressants d’ordre technique et surtout politique, sans pouvoir toutefois compenser les lacunes de l’information officielle relative aux opérations militaires elles-mêmes.
Par-delà ces mystères qu’il faudra bien dissiper un jour et qui lui donnent son caractère atypique, il est cependant possible de dégager les caractéristiques essentielles de cette guerre et de rappeler certaines surprises qu’elle nous a réservées.
Caractéristiques essentielles et surprises de la guerre
Trois objectifs, trois styles d’action différents certes, mais partout une même puissance de feu, une puissance de feu énorme qui a été, de toute évidence, l’élément-clé du succès militaire des forces de la coalition — feux aériens d’abord, feux des blindés et feux de l’artillerie ensuite.
Forces aériennes
Si le commandement américain a été étonnamment avare de détails sur les interventions de ses forces aériennes, il n’en est pas moins évident que ces forces ont été engagées offensivement, sans arrêt du premier au dernier jour de la guerre, sans une pause, de jour comme de nuit, contre Bagdad, autour de Bagdad, au Sud comme au Nord de l’Irak. Ces forces ont profité, dès le début, d’un atout majeur dans tout conflit, à savoir la maîtrise absolue de l’air. L’aviation irakienne, qui ne s’était pas remise de ses pertes de 1991 et des effets de l’embargo sur sa logistique, était inexistante. Cela, nous le savions. Quant à l’artillerie sol-air, elle était déjà très affaiblie par les nombreuses attaques dont elle avait été l’objet bien avant le début du conflit lui-même. Dans ces conditions, les appareils de la coalition — avions de reconnaissance et avions spécialisés dans la détection radar des objectifs au sol — avaient toute latitude pour surveiller en permanence, de jour comme de nuit, ce qui se passait sur le terrain, pour repérer tout ce qui bougeait et livrer les objectifs ainsi décelés aux coups des avions d’attaque ou des missiles de croisière.
À l’inverse, les unités irakiennes n’ayant aucune possibilité d’observation et d’intervention aériennes se sont retrouvées aveugles et privées de toute possibilité de manœuvre significative. Leur situation a été aggravée par les capacités offensives redoutables de l’aviation de combat qui leur était opposée. Nous savons en effet que le taux moyen des sorties aériennes en missions d’attaque a été de l’ordre de 800 par jour, tandis qu’environ 80 % des frappes (1) ont été réalisées avec des munitions guidées, donc très précises ; frappes auxquelles il faut ajouter celles des missiles de croisière (une soixantaine de tirs en moyenne par jour). Bagdad et ses environs auraient été atteints, à eux seuls, par plus de 700 munitions guidées !
Une telle puissance de feu est d’autant plus redoutable que, du fait de la maîtrise de plus en plus affirmée des Américains en matière de recueil et de traitement de l’information, la boucle entre le moment où un objectif est découvert et celui où il est détruit ne cesse de se resserrer. L’attaque, le 7 avril, d’un bâtiment où de hauts dirigeants irakiens venaient d’être signalés en a donné une preuve. Il se serait passé quelques dizaines de minutes seulement entre le moment où le renseignement avait été obtenu et celui où le bâtiment en question était pulvérisé par quatre bombes guidées de 900 kilos larguées par un bombardier B1 ! L’exemple officiellement révélé, dramatique et regrettable, du tir fratricide du 6 avril où un F15 a détruit un convoi des forces spéciales américaines accompagnées de combattants kurdes (trois américains et dix-huit kurdes tués) est significatif des risques encourus… par les unités irakiennes, dès lors que celles-ci amorçaient un déplacement de quelque importance.
Si les forces irakiennes ont perdu en définitive toute possibilité de contrôle de la situation et toute possibilité de manœuvre, si elles en ont été réduites à constituer des îlots de résistance plus ou moins noyés dans la population des villes, si elles n’ont pu disposer ni de chars, ni d’artillerie sol-sol et sol-air, si elles ont dû se résoudre à se battre à la Kalachnikov, au mortier et au lance-roquettes ou même à renoncer à poursuivre la lutte, il apparaît évident, même en l’absence de données officielles sur la nature des objectifs visés, que l’action des forces aériennes en est, pour une large part, la cause ! On retrouve là le rôle essentiel de ces forces dans les conflits d’aujourd’hui, à savoir réaliser la rupture du dispositif de défense de l’adversaire en altérant sa capacité et sa volonté de combattre, situation que les forces terrestres ont alors la charge d’exploiter tout en occupant le terrain, ce qui n’est certes pas le plus facile et demande là encore de solides capacités de combat — et du talent.
Forces terrestres
Les forces terrestres des coalisés et plus particulièrement les unités mécanisées, avec leurs chars et leur artillerie, ont joué elles aussi un rôle important — et spectaculaire. Les conditions de leur engagement initial n’en a pas moins soulevé, ici et là, quelque étonnement.
Le rapport initial des forces terrestres en présence n’était pas, à première vue, favorable aux coalisés, à tel point que, selon certains échos, il aurait même fait l’objet de critiques de la part d’anciens hauts responsables militaires aux États-Unis mêmes. Le nombre total d’hommes engagés dans la coalition n’est pas connu de façon précise. Les chiffres avancés oscillent entre 150 000 et 250 000 hommes selon l’humeur des commentateurs. On était loin en tout cas des quelques 500 000 hommes de la coalition de 1991. Une évaluation plus précise de ce rapport peut être faite néanmoins en considérant le nombre de divisions engagées qui, lui, est mieux connu et est en outre plus significatif de la capacité offensive du dispositif mis en place.
Ainsi, à titre d’exemple, dans l’offensive contre Bagdad, ce furent, on le sait, deux divisions mécanisées seulement, épaulées par deux autres divisions plus légères qui furent engagées alors qu’en face l’adversaire disposait autour de la capitale, tout au moins sur le papier, de quatre divisions de la Garde républicaine et de deux divisions régulières auxquelles était susceptible de s’ajouter, en renfort venant de Tikrit, une cinquième division de la Garde.
Même en tenant compte de la valeur relative des divisions américaines et irakiennes, le volume des forces terrestres engagées par le commandement américain avait été d’évidence calculé au plus juste. L’Histoire en dévoilera sans doute les raisons : conséquence de l’illusion initiale de la disparition rapide de toute résistance armée ; ou évaluation pertinente des capacités de combat de l’armée de Saddam après le choc de 1991 ; ou encore confiance absolue dans la puissance offensive des forces américaines, terrestres et aériennes. En toute hypothèse, un nombre ainsi relativement limité de forces au sol engagées dans un tel cas de figure n’était pas jusqu’ici dans les habitudes américaines. Il sera intéressant de voir s’il s’agit là d’un nouvel aspect de la stratégie des États-Unis.
Synchronisation et complémentarité
La simultanéité du déclenchement des offensives, aériennes d’un côté et terrestres de l’autre, est une autre particularité de ce conflit. Peut-être s’agissait-il de créer, par là même, l’effet de choc souhaité capable de faire renoncer d’emblée l’Irak à toute résistance. De fait, une telle simultanéité, qui a parfois surpris, s’inscrivait dans la logique du déploiement initial des forces. En 1991, les forces de la coalition faisaient face à un puissant corps de bataille déployé directement face à elles. Il était en conséquence nécessaire d’isoler et de désarticuler ce corps en le soumettant à un pilonnage aérien pendant plusieurs semaines avant de lancer contre lui l’offensive aéroterrestre… Cette fois-ci, le dispositif irakien était étalé dans la profondeur du théâtre, autour des grands centres, dont Bagdad, Bassora et, dans une moindre mesure, Mossoul. Il était donc possible — et finalement logique — de lancer dès le premier jour les unités terrestres en direction de ces objectifs qui étaient très éloignés des bases de départ du Koweït et ne pouvaient pas être atteints avant plusieurs jours, délais pendant lesquels les défenses des objectifs en question devaient être soumises aux attaques aériennes et aux tirs des missiles de croisière dans les conditions que l’on sait. On retrouvait là finalement la même complémentarité et le même rôle respectif des actions aériennes et terrestres, même si le schéma de l’entrée en action des unes et des autres était différent de celui de 1991.
L’offensive terrestre
Par-delà les péripéties de son déclenchement, l’offensive des forces terrestres anglo-américaines a été caractérisée, elle aussi, par la puissance de feu des unités engagées, grâce à l’artillerie lourde et aux chars — et plus précisément grâce à l’artillerie lourde et aux chars lourds, ces derniers accompagnés par les hélicoptères de combat chargés de les éclairer et de les appuyer au plus près.
Le style des raids blindés est certes connu. L’histoire du siècle précédent nous en a donné de brillants exemples. Cependant, au moment où ces raids ont abordé leurs objectifs principaux — Bagdad par exemple — rien ne s’est passé comme le prédisaient, non sans arguments, bien des augures lesquels prévoyaient de difficiles combats de rue tandis qu’en toile de fond se dessinait le spectre de Stalingrad… De fait, les unités mécanisées ont opéré comme elles l’avaient fait en rase campagne, c’est-à-dire sous forme de raids, mais des raids ciblés, lancés au cœur même de la cité — et sans rencontrer de résistance sérieuse. Il n’y eut pas de violents combats de rue manifestement parce que les unités régulières chargées de la défense de la capitale s’étaient évanouies à temps dans la nature, ne laissant sur place que des groupes de fedayins dotés d’armes légères, sans moyens anti-chars adaptés. Les forces américaines n’eurent pas à réduire, dans ces conditions à Bagdad, des unités militaires organisées. Leurs opérations se sont alors apparentées à celles qui sont conduites contre des mouvements insurrectionnels, où l’engagement de chars lourds, appuyés par les avions et les hélicoptères, et ouvrant la voie à l’infanterie a déjà montré son efficacité notamment lors des actions menées par les Israéliens dans certaines villes comme Hebron, Ramallah et Naplouse.
S’agissant des hélicoptères de combat, la campagne d’Irak, tout en confirmant sans aucun doute leur intérêt, a cependant rappelé, si besoin était, leur vulnérabilité. Les hélicoptères, comme les avions, n’apprécient guère les effets de la mitraille pas plus que ceux des tirs des missiles sol-air à courte portée. Ils les apprécient d’autant moins qu’ils échappent plus difficilement aux tirs dirigés contre eux du fait de leur faible vitesse. Un tel constat permet de rappeler au passage que le couple char-hélicoptère de combat doit lui aussi compter sur l’action des forces aériennes pour lui faciliter la tâche en affaiblissant l’adversaire, voire en aveuglant ou détruisant ses postes de tir, lorsqu’il s’avère trop coriace.
Des rôles complémentaires
La guerre en Irak a confirmé ainsi le rôle de chaque catégorie de forces dans les conflits d’aujourd’hui : aux forces aériennes d’obtenir la rupture du dispositif de l’adversaire par ses actions offensives ; aux forces blindées de désarticuler les quelques forces ayant survécu au pilonnage de l’aviation et des missiles ; à l’infanterie enfin de nettoyer les dernières poches de résistance. Un tel schéma permet de comprendre pourquoi les forces anglo-américaines ont subi des pertes finalement fort légères si l’on tient compte de la multiplicité et de la diversité des combats dans lesquels elles ont été engagées. Ce ne fut cependant pas la guerre « zéro mort ». On en est revenu simplement au bon principe selon lequel le meilleur chef militaire est celui qui obtient le meilleur résultat au prix du minimum de pertes pour lui.
Conclusion
Les présentes réflexions ne sauraient signifier que tout s’est parfaitement déroulé pour les coalisés. Il y eut les illusions du début et les problèmes logistiques rencontrés la première semaine. Il y eut également, en nombre non négligeable, les tirs fratricides et les erreurs de tir tandis que, une fois les grandes villes tombées, les Américains n’ont su ni prévoir ni contrer la vague de désordres et de pillages qui s’est abattue sur ces cités, y compris dans les hôpitaux et les musées. Ils ont donné ainsi aux populations irakiennes — et au monde — une première image désolante de « l’après Saddam ».
Il y eut sans doute bien d’autres défaillances et d’autres erreurs. Nous sommes très loin de tout savoir sur ce qui s’est passé sur le plan militaire qui seul nous intéresse ici. Les éclaircissements viendront, mais il est dores et déjà certain que nous aurons bien des enseignements à tirer d’une telle campagne où les Américains ont fait, une fois de plus, une démonstration éclatante de leurs capacités militaires. Si la guerre du Golfe a duré en effet deux mois et demi, celle du Kosovo près de trois mois, et si près de deux mois ont été nécessaires pour venir à bout des taliban, le régime de Saddam Hussein et l’armée qui en était le support ont été balayés… en trois semaines. Ce ne fut pas là, pour beaucoup, la moindre des surprises que nous a réservées cette guerre !
(1) Ce pourcentage ne cesse de progresser. Il a été de 9 % (par beau temps seulement) pendant la guerre du Golfe, de 35 % au Kosovo et d’un peu plus de 70 % en Afghanistan (tous temps).