Les États-membres de l’Union européenne (l’UE) ont désormais pour ambition commune de lui garantir son indépendance politique et son autonomie stratégique afin qu’elle puisse agir là et quand elle le juge nécessaire, par les voies et les moyens les mieux appropriés à la réalisation de son dessein politique. Cela exige que soient réunies les conditions qui permettront de franchir les obstacles structurels, financiers, culturels et psychologiques qui brident les efforts des États les plus déterminés à faire émerger une Europe politique forte, ambitieuse et crédible.
Construire et préparer le futur
Les États membres de l’Union européenne (l’UE) ont désormais pour ambition commune de lui garantir son indépendance politique et son autonomie stratégique afin qu’elle puisse agir là et quand elle le juge nécessaire, par les voies et les moyens les mieux appropriés à la réalisation de son dessein politique. Cela exige que soient réunies les conditions qui permettront de franchir les obstacles structurels, financiers, culturels et psychologiques qui brident les efforts des États les plus déterminés à faire émerger une Europe politique forte, ambitieuse et crédible.
Signe fort d’une avancée notable en ce sens, les autorités compétentes de l’Union n’ont cessé de témoigner, tout au long de l’année 2003, de la force de leur volonté politique en la matière en s’engageant dans un projet qui, en appui du processus de refondation politique et institutionnelle de l’Union (1), vise à définir les bases d’un véritable concept stratégique européen ainsi que les lignes directrices d’une stratégie européenne globale en matière de sécurité (2). Expressions d’une vision et d’une ambition collectives, de telles initiatives ne sauraient suffire en elles-mêmes. D’autres restent à prendre, notamment sur le thème de la préparation de l’avenir : les instruments d’une politique d’autonomie stratégique ne peuvent être constitués qu’au prix d’investissements majeurs en matière de recherche et technologie.
Le dossier présenté ci-après a pour ambition de permettre à ses lecteurs d’identifier quelques axes d’effort pour la préparation de l’avenir. Constitué à partir de travaux de réflexion conduits en France sur le thème du redéploiement de la fonction armement en Europe, il rassemble des analyses et formule des propositions qui résultent toutes d’un travail d’approfondissement collectif, très pluridisciplinaire.
P. Cardot et P. Fessler invitent à relancer la recherche stratégique qui ne se limiterait pas au traitement des seuls enjeux de R&D en matière de sécurité et de défense. Dans une première partie, ils identifient ce qui caractérise l’activité de recherche stratégique (sous l’angle double de la R&D exploratoire et spéculative, d’une part, et de la R&D orientée par des programmes d’équipement, d’autre part). Dans une seconde, ils esquissent quelques-unes des pistes qui leur paraissent les mieux à même de favoriser une relance de la recherche stratégique dans le cadre d’une Union remobilisée et restructurée à cet effet.
P. Boone propose une présentation synthétique de ce que pourrait être une politique européenne d’armement. Prolongeant les travaux en cours sur le développement des capacités opérationnelles nécessaires à l’Union en matière de sécurité et de défense, il offre au lecteur une grille de lecture qui doit lui permettre de mieux comprendre les ressorts déterminants des différentes composantes de la fonction armement, à propos desquelles il formule quelques préconisations quant à leur redéploiement à l’échelle de l’UE.
A. Cammilleri-Subrenat et B. Remy s’interrogent sur le cadre le plus approprié, au niveau européen, à la mise en œuvre d’une politique industrielle en faveur de la sécurité et de la défense. Leur analyse les conduit à identifier les voies d’effort à suivre pour consolider durablement la base industrielle et technologique indispensable à l’Europe en ce domaine.
P. Cardot, G. Postel-Vinay, B. Serreault et D.W. Versailles abordent le thème du financement de la recherche stratégique sous un jour nouveau. À partir d’une analyse des limites des schémas de financement de la recherche en matière de sécurité et de défense qui prévalent encore en Europe, les auteurs apportent leur propre éclairage sur les voies qui devraient être empruntées pour assurer aux parties prenantes de la recherche stratégique les ressources financières sans lesquelles ni les États ni l’UE ne seront à même de répondre, individuellement ou collectivement, aux défis de leur croissance économique, de leur stabilité stratégique et de leur sécurité globale.
En conclusion de ce dossier, D. Kéchemair et V. Mérindol proposent une analyse détaillée du rôle des réseaux nationaux de recherche et d’innovation (RRIT) pour dynamiser la recherche et la technologie en France et de l’utilisation qui en est faite par la communauté de défense. Au-delà de cette analyse, ils mettent en évidence les conditions essentielles qui, si elles étaient remplies, permettraient aux Français autant qu’aux Européens de tirer pleinement avantage d’une implication active du ministère français de la Défense dans de tels réseaux.
Loin de constituer un point final à la réflexion sur de tels sujets, ces articles n’en constituent pas moins, pour autant, des éléments significatifs qui appellent des développements plus substantiels. Il appartient à chaque acteur de la communauté de défense d’y apporter sa contribution.
Gérald Boisrayon
Recherche et développement (R&D) : quelques définitions utiles
R&D : selon la classification proposée par le manuel de Frascati (OCDE-1994), la R&D recouvre les trois familles d’activités suivantes : recherche fondamentale, recherche appliquée et développement expérimental.
R&T : en Europe (sauf en France), la recherche et technologie ne recouvre que la recherche fondamentale et la recherche appliquée.
NB - Les auteurs ont pris le parti d’utiliser la notion de R&D et non celle de R&T dans cet article de manière à permettre à la communauté scientifique et technologique la plus large de s’approprier plus facilement des propositions qui ne concernent pas seulement la communauté scientifique de sécurité et de défense.
R&D stratégique : la recherche stratégique cherche à offrir à ses protagonistes les capacités :
- de dominer un secteur technologique ou un domaine technique ;
- d’y disposer d’une autonomie de compétences et de moyens au point de pouvoir accéder à moindre coût financier, socio-économique, et industriel, et à tout moment, aux ressources technologiques indispensables à la réalisation de leurs objectifs stratégiques (supériorité technique, autonomie capacitaire, compétitivité de l’industrie européenne…) ;
- de disposer des données relatives aux voies d’évolution en identifiant au plus tôt des ruptures conceptuelles, doctrinales ou technologiques susceptibles de remettre en cause la conception des systèmes de sécurité et de défense, la compétitivité du tissu technologique et industriel européen, et qui détermineront le cadre des compétitions et des alliances stratégiques futures ;
- d’opérer des choix stratégiques pour concentrer leurs efforts sur des domaines scientifiques et technologiques appréciés comme prioritaires ;
- d’orienter leur politique de coopération afin d’avoir accès, en toute sécurité, aux biens, services et technologies qui leur sont nécessaires mais qu’ils auront choisi de ne pas produire ou de ne pas utiliser seuls (interopérabilité) ;
- et de soutenir leur politique de normalisation par des travaux de R&D prénormative ou conormative (voir ci-après).
R&D prénormative : ensemble des activités de R&D destinées à lever les obstacles
techniques à l’établissement d’une norme. R&D conormative : ensemble des activités de R&D destinées à rendre compatibles deux normes distinctes.
R&D exploratoire : ensemble des activités de R&D destinées à favoriser la production de technologies émergentes ou génériques présentant les caractéristiques de sauts ou de ruptures, tant au plan technologique, conceptuel que doctrinal, par l’exploitation d’un portefeuille de projets de recherche dont le caractère exotique tient à la difficulté à anticiper des débouchés (produits, marchés) ; ce volet important de la recherche stratégique recouvre des activités d’études à caractère scientifique, économique et social ainsi que des études à caractère technique et technologique, y compris des activités de développement exploratoire ainsi que des activités de démonstration de concepts ou de technologies avancés.
R&D orientée : ensemble des activités de R&D destinées à apporter des réponses techniques appropriées à des problèmes soulevés par des programmes d’équipements lancés ou envisagés au profit de secteurs stratégiques ou de grandes politiques de mission (sécurité, défense…) ; ce second volet de la recherche stratégique recouvre des études à caractère scientifique, économique et social, des études à caractère technique et technologique ainsi que des études opérationnelles et technico-opérationnelles qui sont généralement suivies d’expérimentations, notamment dans le cadre des programmes de démonstration opérationnelle qui permettent une mise au point technique des futurs équipements ou systèmes d’armes.
(1) NDLR - Cf. Projet de Traité établissant une Constitution pour l’Europe ; Communauté européenne, 2003, adopté par consensus par la Convention européenne les 13 juin et 10 juillet, et remis au président du Conseil européen à Rome le 18 juillet 2003. Texte disponible sur le site : http://european-convention.eu.int/docs/Treaty/cv00850.fr03.pdf
(2) Conformément aux conclusions des travaux du Conseil européen de Thessalonique en date des 19 et 20 juin 2003, ces éléments seront formellement finalisés et approuvés par le Conseil européen, à Rome, lors de ses travaux de décembre 2003.