La République fédérale d'Allemagne (RFA) et la guerre d'Algérie
Voici qu’on découvre que l’affaire d’Algérie, devenue guerre depuis peu, ne fut pas seulement un problème interne, mais ne put laisser indifférents nos voisins, et tout particulièrement l’Allemagne d’Adenauer.
La position de nos nouveaux amis d’outre-Rhin est alors délicate. En attendant le futur traité de l’Élysée, nous sommes alliés à une République fédérale qui va passer progressivement à la stature de géant économique, mais sort à peine de la condition de nain politique lors de la Toussaint rouge, dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le chancelier, qui sera plus tard un moment circonspect devant le retour de De Gaulle, puis conquis à Colombey, est et restera d’une grande loyauté. Il n’est pas insensible à l’hypothèse d’un lien entre la subversion communiste mondiale et la rébellion algérienne, considérée souvent en ses débuts comme un épisode de la guerre froide ; il va à l’occasion jusqu’à plaider notre cause à Washington. Les responsables politiques allemands éprouvent aussi le souci de ne pas s’aliéner les capitales arabes et de ne pas laisser à leur demokratische rivale l’exclusivité du soutien au FLN, puis GPRA. Les souvenirs du modeste passé colonial africain sont effacés sur les bords du Rhin et on ne peut en outre condamner l’autodétermination en Algérie alors qu’on la réclame en Saxe et en Thuringe. L’impératif officiel de solidarité occidentale combiné à celui de ne compromettre à l’extérieur ni les intérêts économiques, ni les sympathies idéologiques conduisent donc à une position prudente, qui va tourner pudiquement au « grand écart » en maintes occasions, par exemple lors de la crise de Suez. Il semble qu’on ait été assez rapidement convaincu à Bonn, où la fragilité de la IVe République évoquait Weimar, que le temps travaillait pour la rébellion et que la France s’enlisait dans un conflit dépassé tout en allégeant de façon inquiétante son dispositif militaire en Europe.
De leur côté, les opposants socialistes sont embarrassés face à la position de fermeté adoptée par leurs confrères français comme Guy Mollet, Robert Lacoste ou Max Lejeune. La gauche évite de se mouiller en bloc et laisse s’engager — parfois très loin — des individualités comme le député Wischnewski (surnommé « Ben Wisch » par Willy Brandt). Les Kofferträger sont peu nombreux, mais beaucoup de beaux esprits ont tôt fait, alors que les réactions gouvernementales sont molles, d’assimiler Suez à Budapest et Sakhiet à… Oradour.
L’affaire se complique avec des accusations touchant le recrutement de la Légion étrangère, les agissements des services secrets français sur le territoire fédéral, l’arraisonnement de cargos allemands suspects par la Royale… Avec le temps (et pour notre bien somme toute !), on souhaite en RFA que la France sorte le plus vite possible de ce bourbier et se recentre sur les objectifs Otan. Dans ces conditions, on laisse les gens du FLN abuser plus ou moins du droit d’asile et s’installer dans les ambassades de Tunisie, puis du Maroc ; on « pinaille » sur les extraditions et on se réfugie derrière les prérogatives des Länder quand l’ambassadeur Seydoux commence à se fâcher et n’obtient que des « regrets de routine » et des « repentirs de pure forme ».
La lecture d’une lente dégradation laisse une impression floue. Il n’est pas question ici de mettre en doute la rigueur ni l’impartialité des auteurs. Il reste que le tableau d’ensemble dressé, les faits mis en avant, les descriptions et citations pas toujours entre guillemets conduisent à un schéma qu’il est après tout, peut-être, de bon ton d’admettre désormais de part et d’autre du pont de Kehl : un combat passéiste contre des colonisés avides de liberté, la brutalité d’une armée pratiquant la torture à qui mieux mieux, les prétentions de chefs militaires « orgueilleux et bedonnants » sortis du devoir d’obéissance et alliés à des colons animés d’une idéologie d’extrême droite. Fermez le ban avec « le banco d’officiers qui tentèrent de gagner en une ultime bataille les guerres qu’ils avaient perdues ». Alors, que le lecteur désireux de découvrir les détails d’un pan des relations franco-allemandes par la consultation d’un ouvrage dense trouve ici une source solide de documentation et de réflexion ; que celui qui est las de constater comment se brûle au fil de l’histoire ce qui fut adoré et qui ne veut pas assombrir l’éclat de l’« année de l’Algérie » par de vains souvenirs n’ayant plus droit de cité, passe son chemin. ♦