Les soldats libres
Alors que le Parlement vient de vouer aux gémonies les mercenaires en adoptant à l’unanimité la loi du 14 avril 2003, Sidos, fin connaisseur, n’hésite pas à rendre justice à ces « soldats sans frontières ». Son ouvrage à contre-courant s’appuie sur les pratiques du passé et leurs prolongements contemporains. À cet égard, il présente en prime un caractère historique d’un indéniable intérêt.
Si Carthage fit appel systématiquement aux mercenaires, même Sparte y eut recours, Rome et Byzance y vinrent en enrôlant force barbares dûment spécialisés, archers crétois ou frondeurs de Rhodes. La féodalité, la Renaissance italienne, les monarchies européennes convoquèrent souvent ces « intermittents de la guerre », adeptes du « deuxième plus vieux métier du monde ». Ceux-ci furent présents lors des Croisades pour épauler les bandes inorganisées de pèlerins, plus tard aux mains des condottieres « entrepreneurs de guerre », puis acteurs essentiels de la guerre de Trente ans, reitres ou lansquenets repoussés même de l’enfer « car ils feraient peur au Diable en personne ».
La Révolution française entraîna une rupture au profit des grandes armées nationales, mais bien vite la Grande Armée prit « des allures de multinationale », les Zouaves pontificaux enrôlèrent jusqu’à des Canadiens, les corps francs de la Baltique cultivèrent les qualités militaires prussiennes et les Brigades internationales acquirent le droit… à la carte du combattant. De nos jours enfin, les « affreux », peu nombreux mais déterminés, ont combattu sous des cieux divers, du Katanga en Birmanie et du Tchad aux Comores, où régna Denard. Le fameux Bob eut pas mal de confrères, comme Trinquier ou Faulques, après une foule d’illustres devanciers. Sidos annexe sans vergogne, mais non sans motif, aussi bien Xénophon et le Cid que Du Guesclin et Maurice de Saxe, voire Descartes, sans oublier Malraux (« 10 % de génie, 90 % de bluff ») ni le Che, « coqueluche de tout ce que les campus comptaient d’apprentis révolutionnaires ». La liste s’étend aux pittoresques flibustiers de l’île de la Tortue, rémunérés en écus… ou en esclaves.
Que sont finalement ces hommes ? La définition est laborieuse, ainsi que le tracé de la limite entre mercenaires et étrangers engagés dans une armée régulière, d’où les termes alambiqués de la récente loi. Malgré la connotation péjorative du terme, les mercenaires, qui n’appartiennent certes pas à la race des enfants de chœur, se sont montrés en général efficaces (même avec des effectifs incroyablement faibles) et dévoués, à condition que l’employeur tienne ses engagements financiers, ce qu’avait oublié Hamilcar à l’époque de Salammbô. « Pas d’argent, pas de Suisses », mais les défenseurs des Tuileries se firent tuer jusqu’au dernier le 10 août. L’argent n’est d’ailleurs pas le seul motif de l’engagement. Si les caisses sont vides, ils savent à la rigueur se contenter de considération relayée par la soif d’aventure et l’appétit de gloire. Ni plan de carrière, ni souci de sécurité, mais recherche de grands espaces et de rêve. L’auteur dénonce l’hypocrisie des États, prompts à utiliser les mercenaires, en leur accordant un « feu orange », puis à s’en débarrasser avec dédain.
Au cours de ce récit vigoureux et coloré, riche en épisodes savoureux et en formules sarcastiques, Sidos ne cache pas ses inimitiés. Parmi ses bêtes noires figurent l’ONU et ses « gigantesques déploiements de force » inutiles (on n’a pas hésité dans le milieu à se réjouir de l’accident de Dag Hammarskjöld), et l’Anglais « qui se bat jusqu’à la mort de son dernier allié ». Laissons-le à ses prises de position, mais il est plus difficile d’admettre le mépris affiché pour cet intrus propulsé dans la chasse gardée des spécialistes, le conscrit « appelé à se faire tuer sans avoir compris ce qui lui arrivait… soldat prolétaire consommable… au sein d’un troupeau d’épiciers et de comptables en uniforme ». Pour Sidos, « la conscription a créé le carnage ». C’est peut-être vrai, mais un peu de respect pour le poilu ne serait pas de trop.
Courage, les mercenaires ont encore « de beaux jours devant eux » ! Les effets de la mondialisation, l’effacement programmé du concept traditionnel d’État-nation et des activités régaliennes qui lui sont liées offrent un large champ d’activités futures, où l’on enregistre un haut niveau d’offre et de demande sur un marché fournissant « une profusion de compétences ». La France a des dispositions évidentes pour s’y tailler une large place, au lieu de laisser se développer les entreprises anglo-saxonnes qui ont pris une longueur d’avance.
Le lecteur peut approuver ou non. Au moins ne s’ennuie-t-il pas. Pour rester dans la tonalité du livre, tout cela a vraiment plus de « gueule » que les manifs pour des points de retraite. ♦