Éditorial - Amérique impériale et Europe introuvable
Un monde unipolaire en question
L’année 2003 a été riche en événements engageant l’avenir.
Irak
L’invasion de l’Irak par les États-Unis sans mandat international, la chute du régime irakien, les difficultés de la coalition à rétablir paix et sécurité, la montée en puissance sur place d’une résistance nationale et d’un terrorisme international qui a compris la vulnérabilité des États-Unis résultant de la présence de leurs forces armées sur place. La capture de Saddam Hussein constitue une victoire symbolique et psychologique puissante pour l’Administration américaine, mais son arrestation ne met pas fin à la résistance pour autant ; son état physique et ses conditions de survie montrent qu’il n’était pas l’organisateur de cette résistance. Les États-Unis vont avoir à gérer l’impatience chiite et la montée des communautarismes ; un scénario « libanais » n’est pas à exclure.
Israël-Palestine
Le blocage israélo-palestinien perdure, s’aggrave et interdit tout processus d’évolution au Proche et Moyen-Orient ainsi que dans le bassin méditerranéen, y compris le dialogue Nord-Sud. Certains stratèges civils du Pentagone pensaient que le chemin de Jérusalem passait par Bagdad, on peut se demander si le chemin de Bagdad ne passe pas par Jérusalem.
Émergence chinoise
L’année 2003 a également été marquée pas la perception de plus en plus aiguë de l’émergence d’un « monde chinois » en Asie, dont le poids politique s’affirme dans la gestion de la crise États-Unis/Corée du Nord comme dans la déclaration sans ambiguïté concernant les velléités d’indépendance de Taiwan ; et dont le poids économique (croissance, réserves de change et parité du yuan) est de plus en plus patent.
Implosion européenne
Enfin la tragédie la plus grave, pour nous Européens, est l’implosion de l’Europe politique naissante. Depuis 1989 les intérêts stratégiques des États-Unis et ceux de l’Union européenne ne sont plus identiques même si nous partageons un certain nombre de valeurs communes, et si nos échanges commerciaux se montent à un milliard d’euros chaque jour. La crise irakienne n’en a été qu’un révélateur parmi d’autres.
Les États-Unis sont opposés à l’émergence d’une Europe politique et l’année 2003 a comblé leurs vœux dans ce domaine. Ils sont dans leur rôle, même si l’on peut estimer que leur intérêt bien compris dans le long terme serait d’établir avec l’Union européenne un partenariat plutôt qu’une relation de vassalité.
L’échec est d’abord le nôtre ; l’incapacité des 25 à se mettre d’accord sur une Constitution, qui annulait les aberrations du calamiteux Sommet de Nice, hypothèque gravement l’avenir de l’Europe. Le pire n’est jamais certain et la nécessité d’une « Europe puissance » demeure dans un monde conflictuel où le nationalisme se développe en particulier chez nos deux partenaires que sont les États-Unis et la Chine. Cette « Europe puissance » se fera entre les principaux États de l’Union, mais probablement en dehors d’elle, ce qui est dommageable mais non irréversible.
États-Unis, Chine, Union européenne
De nouvelles relations
Dans les années à venir la sécurité, le développement, la prospérité et la paix dans le monde reposeront principalement sur la qualité du dialogue, le respect mutuel et la confiance, établis entre les trois entités que sont les États-Unis, la Chine et l’Union européenne.
Il apparaît important d’institutionnaliser ces échanges permanents au niveau stratégique afin d’éviter toute erreur d’interprétation des intentions de l’autre, et de mettre en place un véritable outil de prévention de crises.
Évolution interne
La qualité de ces relations dépend aussi de l’évolution interne de chacun des acteurs qu’il convient de suivre avec vigilance :
– États-Unis : république ou dérive impériale accentuée ?
– Chine : capacité du régime à intégrer les mutations de la société tout en conservant sa légitimité ?
– Europe : simple zone de libre-échange ou puissance régionale ?
Comme le soulignait déjà Confucius, l’homme de « bien » prend naturellement en compte l’intérêt universel tandis que l’homme de « peu » défend des intérêts égoïstes. La dernière réunion de Bruxelles a montré que l’Europe des États disposait encore de trop peu d’hommes de « bien ». ♦
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Le Comité d’études de défense nationale présente aux lecteurs de la revue Défense Nationale ses meilleurs voeux pour l’année nouvelle qu’il aborde sans illusions mais non sans foi.