Gendarmerie et sécurité intérieure - La délinquance des mineurs : état des lieux
Les statistiques de la délinquance semblent mettre en évidence, ces dernières années, une inflation inquiétante du nombre de mineurs impliqués dans la progression de l’insécurité. La délinquance est-elle de plus en plus jeune, de plus en plus violente ? Avant d’apporter quelques éléments de réponse à cette question lancinante, deux observations préliminaires doivent être formulées. Tout d’abord, d’un point de vue méthodologique : la difficulté de mesurer le phénomène insécuritaire doit inciter à la plus extrême prudence, la mesure de la délinquance étant le plus souvent réduite à la compilation périodique de données policières qui, loin de constituer les comptes d’apothicaire de l’insécurité, représentent surtout le reflet de l’activité des forces de police et de gendarmerie. Ensuite, sur un plan plus général : le mineur délinquant, par-delà l’émotion provoquée par ses actes et les sanctions (d’ordre éducatif) susceptibles d’y répondre, doit être considéré avant tout comme une victime.
Les explications traditionnelles de la délinquance juvénile en ont souligné le caractère initiatique et pathologique, en évoquant la crise d’adolescence et des comportements déviants à la limite de la légalité (caractère ludique du chapardage et de la dégradation), les troubles de personnalité et le sentiment d’abandon, ainsi que la dislocation de la structure familiale (divorce, décrédibilisation du père liée au chômage et à la maltraitance). Depuis le début des années 80 s’est développée une nouvelle tentative d’explication, autour de la notion de « délinquance d’exclusion », avec diverses interprétations, comme l’effondrement des contrôles parentaux et le sentiment d’impunité des mineurs, la défaillance du système éducatif, le conflit entre la précarité économique dans les quartiers de relégation et l’élévation des exigences notamment chez les jeunes issus de l’immigration. Sur le plan de son histoire personnelle et de ses conditions d’existence, le mineur délinquant apparaît donc comme une victime, comme d’ailleurs nombre des victimes des faits de délinquance, qu’ils soient le fait de majeurs ou de mineurs (problèmes de la maltraitance et des sévices sur les enfants et adolescents).
Les délinquants sont-ils de plus en plus jeunes ?
La part des mineurs dans les actes de délinquance n’augmente fortement que depuis peu (1994), de sorte qu’il serait une grave erreur d’appréhender ce phénomène en termes d’inflation continue depuis le début des années 70 ou 80. Entre 1975 et 1993, l’augmentation a été d’environ 25 % ; il ne s’agit pas, de surcroît, d’une progression régulière, mais d’alternance de hausses et de baisses, alors que la population des jeunes s’accroît d’environ 10 %. Entre 1994 et 1998, l’augmentation a été, par contre, d’environ 60 %, dans un contexte général de baisse de la délinquance constatée (- 8 %). En 1999, le nombre des mineurs mis en cause a cependant diminué (- 0,8 % par rapport à 1998). Les années 2000, 2001 et 2002 ont été marquées, quant à elles, par une légère reprise du mouvement inflationniste (+ 2,86 % en 2000, + 1 % en 2001 et + 1,90 % en 2002), la part des mineurs dans les faits de délinquance s’établissant, ces dernières années, à hauteur de 20 %.
Au total, le nombre des mineurs mis en cause est passé d’environ 73 000 en 1975 à plus de 180 000 en 2002, soit une augmentation de près de 150 % en un quart de siècle, de sorte qu’aujourd’hui une personne sur cinq mise en cause pour des faits de délinquance est âgée de moins de dix-huit ans. L’augmentation du nombre de mineurs mis en cause ne signifie pas forcément une augmentation du nombre effectif des mineurs délinquants, compte tenu de la récidive et de la délinquance de groupe : un constat qui ne doit pas pour autant conduire à réduire la délinquance juvénile à quelques « noyaux durs » qu’il suffirait d’éradiquer.
Par ailleurs, cette participation des mineurs varie selon les catégories d’infractions : ils représentent, en moyenne, plus de la moitié des personnes mises en cause pour les vols de deux-roues à moteur, mais seulement un peu moins d’un dixième pour les trafics de stupéfiants et d’un vingtième pour les homicides. Plus généralement, il s’agit d’indiquer les limites de la prise en compte du phénomène par les statistiques, ce que révèle notamment la distinction entre mineurs récidivistes (le taux de récidive des mineurs est évalué par la justice à hauteur de 40 %) et mineurs « réitérants » (connus par les services de police pour de nombreux méfaits, mais n’ayant pas fait l’objet de plus d’une procédure). Sur un autre plan, on ne dispose guère d’indicateurs précis pour évaluer le phénomène de rajeunissement des auteurs d’actes délictueux qui peut être observé sur le terrain de l’activité policière et judiciaire.
Ainsi, par certains côtés, les statistiques ont plutôt tendance à donner une vision surestimée de la délinquance juvénile. Toutefois, et compte tenu du mode de comptage, elles ne prennent pas en compte un volume considérable d’incivilités et de désordres annexes probablement commis par des mineurs, de sorte qu’on peut se demander quelle est la part de la délinquance juvénile dans le « chiffre noir » de la délinquance ? Au-delà de ces interrogations indispensables pour qui entend évaluer la réalité du phénomène, l’ampleur qu’il a acquise, ces dernières années, apparaît malgré tout comme une donnée difficilement contestable qu’il serait hasardeux de considérer comme un phénomène secondaire surmédiatisé aux conséquences limitées comparées à celles de la délinquance routière ou financière.
La délinquance des jeunes est-elle de plus en plus violente ?
L’examen de la délinquance des mineurs par catégories d’infractions montre que les plus fortes hausses concernent le domaine des stupéfiants (usage, usage et revente, trafic) essentiellement de cannabis d’ailleurs, les destructions de biens privés et publics, les outrages à agents de la force publique, ainsi que le port et la détention d’armes prohibés. Il s’agit d’infractions dont la découverte s’effectue le plus souvent en flagrant délit sur la voie publique. Aussi, certains ont pu formuler l’hypothèse selon laquelle cette augmentation pourrait résulter d’une répression accrue de la part des policiers et des magistrats, se traduisant par la transformation, d’une part, d’un certain nombre d’enregistrements de main courante en signalements formels sous forme de procès-verbaux, d’autre part, en signalements pénaux de ce qui était auparavant signalé au titre de l’enfance en danger.
L’augmentation de la délinquance juvénile résulte-t-elle d’un accroissement des actes délinquants effectivement commis par les jeunes ou d’une plus grande attention qui leur est portée par les institutions de régulation sociale ? La réponse à cette question se situe probablement dans la combinaison de ces deux éléments. Pour le reste, l’augmentation des homicides, coups et blessures volontaires et autres viols perpétrés par des mineurs ne présente guère de particularité par rapport à l’ensemble de la population, l’accroissement de la délinquance violente étant un phénomène identifiable à la fois chez les majeurs et les mineurs. Ces différents constats incitent donc à une certaine réserve à l’égard de ce qui est présenté un peu rapidement par les médias et quelques pseudo-experts comme une délinquance des jeunes de plus en plus importante et de plus en plus violente.
À cet égard, il convient de souligner le danger de la dramatisation, c’est-à-dire d’une présentation caricaturale et pessimiste de la situation objective. Sans minorer l’ampleur du phénomène, on peut observer ainsi que le nombre des mineurs mis en cause reste limité par rapport à la population jeune (entre 3 et 4 % de la population globale des treize-dix-huit ans). Cette dramatisation procède d’une tendance à la stigmatisation de la jeunesse, que l’on peut discerner dès la fin des années 50 (avec le phénomène des « blousons noirs ») et qui s’est amplifiée depuis inlassablement : l’image d’une jeunesse désœuvrée en rupture avec la culture et la société des adultes, un « péril jeune » incarné par la figure de l’adolescent menaçant, alors qu’objectivement c’est la classe d’âge des dix-huit à vingt-cinq ans qui demeure la plus criminogène. Sur un plan plus général, on peut s’interroger sur le devenir d’une société qui, plus ou moins consciemment, tend à marginaliser sa jeunesse (en limitant et en retardant son insertion sociale et professionnelle) et qui la perçoit comme une menace potentielle, alors qu’elle demeure, en toute hypothèse, sa force et son espoir. ♦