Trente ans de politique coloniale française (1879-1918)
La politique coloniale, qui est la gloire la plus certaine de la Troisième République, lui confère également aux yeux de l’histoire sa plus grande originalité. Aucun régime en effet ne l’avait, auparavant, ni pratiquée, ni même conçue. L’ancienne monarchie avait bien constitué un empire exotique, mais sans ériger l’expansion française outre-mer en doctrine, sans en faire à proprement parler une politique nationale, — ce qui explique que la France du Bien-Aimé perdit cet empire sans s’en apercevoir ou tout au moins sans y prêter grande attention. Si, plus tard, la Restauration conquit en Algérie une tête de pont que la Monarchie de Juillet, le Second Empire surent étendre et consolider, cette œuvre hautement méritoire, destinée à devenir splendide, fut exclusivement locale, sans préfigurer en quoi que ce soit les futurs destins « impériaux » (1) de la France.
Avec la Troisième République il en ira différemment. La question de régime étant résolue en droit par le vote de la Constitution de 1875 et en fait par l’entrée de Jules Grévy à l’Élysée (1879), la République va mettre l’expansion coloniale à l’ordre du jour, en faire la doctrine, ériger cette doctrine en politique, assortir cette politique d’un programme, traduire ce programme dans les faits et le réaliser intégralement. À la différence de la construction impériale britannique qui, par la grâce de l’empirisme anglo-saxon, fut édifiée sans avoir été pensée et encore moins « doctrinée », la construction impériale française apparaît comme une œuvre toute cartésienne qui, partie d’une idée, se proposant une fin, se traçant une méthode, aboutit à cette fin par l’emploi de cette méthode. Elle est à cet égard bien française, porte la marque de chez nous.
Voulue et systématique, la politique coloniale de la Troisième République présente cette autre particularité (également très française) que la pensée dont elle émane est une pensée individuelle. Elle a été conçue par Jules Ferry qui, en même temps que son « inventeur » et son doctrinaire, fut son premier et principal metteur en œuvre. Quand on dit qu’il est le fondateur de l’Empire français, on ne parle pas par image, on exprime une vérité de fait pure et simple. Exposer la conception ferryste de l’expansion française revient à montrer les origines historiques de la politique coloniale : c’est ce que je vais faire très brièvement ci-dessous.
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