Le Japon, puissance nucléaire ?
La crise coréenne a relancé le débat sur le nucléaire militaire du Japon. L’été dernier, le cabinet Koizumi a ainsi laissé entendre son désir légitime d’accéder à ce type de puissance. C’est dans cet environnement géopolitique que la collection dirigée par Michel Bergès « Pouvoirs comparés » vient de publier un ouvrage remarquable tant par sa rigueur scientifique que par la densité de ses analyses. Il est vrai que les auteurs, spécialistes reconnus des questions de défense, nous ont habitués à des travaux d’envergure.
Jean-Paul Joubert, professeur de science politique à l’Université Jean Moulin de Lyon, membre du Conseil national des universités et directeur du Centre lyonnais d’études sur la sécurité internationale et la défense (Clesid) et David Cumin, maître de conférences à l’Université Jean Moulin et chercheur au Clesid ont combiné leurs talents pour nous donner cet ouvrage de référence. Le travail analyse donc la politique nucléaire du Japon, deuxième puissance économique mondiale, dans le cadre de sa politique de sécurité en Asie-Pacifique depuis la fin de la guerre froide.
Seul pays à avoir subi des bombardements nucléaires, le Japon est à la fois un État favorable à la dénucléarisation, un État allié à la puissance nucléaire dont il était l’ennemi jusqu’en 1945 et un État menant une dissuasion nucléaire virtuelle.
Officiellement, l’archipel continue d’adhérer à sa constitution pacifique et à l’alliance avec Washington. Pourtant, les gouvernements successifs n’ont pas manqué de réinterpréter le « pacifisme constitutionnel ».
Parallèlement, les pressions américaines pour un accroissement de la contribution japonaise à la défense de l’Asie du Nord-Est ont légitimé le réarmement. C’est ainsi que le Japon, État pacifique, possède depuis le début des années 1990 le deuxième budget de défense du monde.
Les auteurs nous rappellent au demeurant que le Japon doit être appréhendé comme une « puissance civile » puisqu’il a soumis son institution militaire à de sensibles restrictions juridiques et parce qu’il ne compte pas sur la force armée pour promouvoir ses intérêts nationaux. Ils soulignent toutefois qu’il est en même temps une « puissance militaire » du fait du volume, de la quantité et du potentiel de ses forces.
Dans l’empire du Soleil Levant, le discours antinucléaire s’accompagne désormais de la reconnaissance de la nécessité de la dissuasion, de la maîtrise des processus industriels et des filières énergétiques susceptibles d’application militaire.
Pour un pays qui ne peut actualiser l’option de défense nucléaire sans s’attirer une hostilité générale, la stratégie de l’« arsenal virtuel » apparaît comme une forme crédible d’armement autonome. Cette stratégie est, de surcroît, adaptée à un complexe militaro-industriel immergé dans l’économie civile.
Cultivant l’ambiguïté, le gouvernement japonais peut ainsi, selon les auteurs, envoyer un message dissuasif parfaitement lisible… forme de communication sur la menace latente constituée par la puissance nucléaire virtuelle d’un État partie prenante au traité de non-prolifération.
Outre l’intérêt intrinsèque de la thèse développée, ce livre, complété par une très riche bibliographie thématique et un appareil scientifique des plus dense, constitue, à n’en pas douter, l’étude la plus approfondie sur la question publiée en français. ♦