Éditorial - Terrorisme, démocratie et mensonge d'État
Le 11 mars 2004, la démocratie espagnole a été une nouvelle fois frappée par le terrorisme. L’ampleur de cette frappe et son origine commune à celle du 11 septembre 2001 ont créé une solidarité internationale dont la traduction verbale est identique : « nous sommes tous des Espagnols » s’est substitué à « nous sommes tous des Américains ».
Cependant, au-delà de l’émotion, l’expression correcte correspondant à la menace véritable aurait été : « nous sommes tous des Européens ».
L’histoire a montré que nos régimes démocratiques ne sont jamais prêts à temps pour faire face aux défis dramatiques auxquels ils sont confrontés : cela a été le cas des conflits classiques avec des États totalitaires. Les démocraties ont fini par triompher au prix d’efforts aux coûts humains et économiques démesurés car trop tardifs. Cela a été également le cas récemment dans la gestion de la crise yougoslave.
Il est malheureusement à craindre que ce soit encore le cas face au terrorisme où la réponse est beaucoup plus complexe que celle correspondant à un conflit conventionnel.
Certaines démocraties, et non des moindres, comme les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Espagne ont voulu forcer le destin en utilisant sciemment et cyniquement le mensonge d’État, afin de manipuler leurs opinions pour les conduire là où elles n’étaient pas convaincues d’aller.
L’effet « boomerang » a été immédiat en Espagne où le gouvernement Aznar, qui économiquement n’avait pas démérité, a été remercié dans la semaine. En Grande-Bretagne et aux États-Unis l’avenir politique du Premier ministre et celui du Président sont en question.
L’opinion publique est parfaitement consciente que dans les domaines des affaires étrangères, de la défense et de la sécurité tout ne peut pas être étalé sur la place publique ; mais il semble que cette opinion fixe une frontière entre omission et mensonge : tout ce qui est dit doit être vérifiable.
Face au défi terroriste l’avenir de l’Europe est sombre. Malgré quelques avancées sémantiques, comme le document présenté par Javier Solana et adopté au Conseil européen du 12 décembre 2003, l’Europe en tant que telle demeure largement non solidaire et non opérationnelle : pas de Constitution, pas de politique étrangère et de défense commune. Au sein de chaque État européen, le constat « défense et sécurité même combat contre le terrorisme », tarde à se traduire dans l’organisation et dans les faits. Les réflexions au sein des ministères de la Défense concernant l’outil, en particulier l’adéquation de troupes uniquement professionnelles à la menace terroriste multiforme, sont soit inexistantes le sujet étant tabou, soit frileuses.
Malgré les efforts conjugués franco-allemands lors de la réunion des ministres de l’Intérieur européens à la suite des attentats de Madrid, les résultats sont bien maigres. Il est malheureusement à craindre que la mobilisation européenne soit largement conditionnée par une pédagogie de terreur renouvelée dans sa forme et son ampleur, les attentats du 11 mars à Madrid en constituant simplement une première étape insuffisante. ♦