La France des GI's
Rédigé dans un style alerte non exempt de tournures typiquement journalistiques, ce livre rappellera bien des souvenirs à ceux qui ont connu l’époque de la Libération. Il présente le mérite de s’écarter des poncifs et du domaine des célébrations grandiloquentes et de bien décrire les choses telles qu’elles apparurent à une population démunie et quelque peu médusée : la stupéfaction admirative ressentie devant l’opulence et la décontraction de ces nouveaux envahisseurs, suivie d’une cohabitation parfois encombrante et agaçante avec des garçons en train d’importer en toute impudeur leur American way of life, pour eux alpha et oméga de la civilisation.
Il est exact que les yeux sortaient de la tête devant cette petite merveille de jeep, ces immenses convois de véhicules marqués de l’étoile blanche, cette organisation quasi industrielle, ces uniformes pratiques et confortables, et aussi, plus prosaïquement, devant les cigarettes blondes, le chocolat, les rations… qui émanaient de ces cohortes magiques d’où semblaient exclues la pauvreté, la maladie et la vieillesse. Et sans doute a-t-il fallu cette fascination pour que les Normands réservent en règle générale un accueil chaleureux à des arrivants dont les avions venaient de causer chez eux – fût-ce pour la bonne cause – certainement beaucoup plus de victimes et de dégâts que la Wehrmacht en quatre ans.
Vient le temps d’une sérieuse baisse d’enthousiasme. Le Français moyen, qui avait assimilé naïvement libération et retour immédiat à la normale, continue de se serrer la ceinture en lorgnant vers l’abondance désinvolte affichée par de grands adolescents d’une ignorance crasse pour tout ce qui n’est pas les States, ne buvant pas que de l’eau et dont la délicatesse n’est pas le fort. Mais a-t-on jamais demandé aux membres d’un corps expéditionnaire d’exceller dans la psychologie, les bonnes manières et l’abstinence, plus la chasteté ? Du fait même de la richesse des uns et de la pénurie persistante chez les autres vont s’instaurer trafics divers, marché noir et prostitution, par exemple au Havre qui devient un Far West concurrent de Marseille et où même les prisonniers allemands entrent dans le jeu ! Et les esprits chagrins de se risquer à penser : « Le Boche se tenait mieux que le Ricain ».
Bien sûr, cherchez la femme ! L’amour s’en mêle « vénal ou romantique, éphémère ou durable ». Effet du sexe de l’auteur ou fidélité au sous-titre de l’ouvrage (« Histoire d’un amour déçu »), une large place est tenue ici par les idylles transatlantiques et les tribulations des 6 000 épouses accueillies avec réserve par Eleonore Roosevelt. D’où une série de récits un peu racoleurs, comme celui – romanesque en diable, il est vrai – des aventures du GI Wayne, moderne soldat Chveik.
Une tranche d’histoire, une lecture facile et l’occasion de constater que, selon toute apparence, le GI d’aujourd’hui reste le même, avec ses vertus et ses travers, d’Okinawa à Tikrit. ♦