L'illusion de la paix
Dans un style fort agréable et sans modestie excessive, l’amiral Denis livre ici à son lecteur les réflexions d’un sage. En dix-sept courts chapitres, sans autre fil conducteur que de passer de la stratégie à la critique d’ensemble de notre société, mais avec une grande cohérence dans la pensée et dans son expression, l’auteur rappelle les menaces (au premier rang desquelles figure actuellement le terrorisme international) qui nous assaillent, au regard de notre indéniable et coupable vulnérabilité.
Avec vigueur et bon sens, il s’élève contre ceux qui compliquent les choses à l’aide d’un « vocabulaire ampoulé, complexe et imprécis… les stratèges en chambre qui foisonnent dans Paris… l’orgueil outrecuidant autorisant à donner conseils et leçons aux uns et aux autres » sur toute l’étendue de la planète et débouchant sur un « anti-américanisme de guinguette au sein même du camp dont nous faisons partie ». Il fustige, à coups d’expressions qui font mouche, nos « Fouquier-Tinville d’opérette », censeurs impénitents maîtres ès « culture de l’inaction… apôtres de la repentance… nourris de complexes », tout comme nos hommes d’église qui s’abstiennent prudemment d’élever la voix. Il réagit contre les poncifs et les modes qui imposent des mots et en interdisent d’autres, et déplore la disparition de la notion d’autorité. Les médias, qui semblent n’exister que pour « médire, charogner, vitupérer » et nous livrent une information « bruyante, volubile, ou pléthorique » en prennent pour leur grade. Quant à la description désopilante du comportement de certains « jeunes », elle est comme on dit un morceau d’anthologie.
Alain Denis n’oublie pas son état de marin, dans ses réactions comme dans ses priorités, et il cite volontiers son confrère et ancien Castex, plus indiqué que l’inusable Sun-Tsu dont nous sommes saturés depuis sa redécouverte. Il a des pages fortes sur l’Indochine et l’Algérie qui passeront bien aux yeux des participants, désormais chenus, à ces conflits d’un autre âge.
L’ouvrage montre qu’un militaire n’est pas forcément conformiste. Pour autant, il ne contient pas de révélations. Aucune de ces Philippiques n’est inédite et Alain Denis n’est pas la première Cassandre ; mais c’est rudement bien dit ; votons l’affichage ! Il reste à savoir qui lira le panneau. Comme dans les réunions électorales, on risque de ne prêcher que des convaincus. ♦