Gendarmerie et sécurité intérieure - Le Préfet, patron de la sécurité locale
Le préfet coordonne…
La loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité (Lops) du 21 janvier 1995 consacre le rôle déjà primordial du préfet en matière de sécurité publique, en l’étendant à l’ensemble des services de l’État (1). Cette montée en puissance du préfet, déjà responsable des opérations de maintien et de rétablissement de l’ordre conduites au plan local, s’inscrit dans un mouvement confirmé par le décret du 1er juillet 1992 portant charte de la déconcentration (2). Pour ce qui est de la gendarmerie, si le travail parlementaire avait permis d’opérer une rédaction définitive susceptible de préserver son identité militaire (ce que confirme la mention « sans préjudice des textes relatifs à la gendarmerie ») (3), cet article reconnaissait malgré tout, en matière de police administrative, l’autorité fonctionnelle du préfet sur la gendarmerie, sans pour autant induire alors — comme c’est le cas s’agissant de la police nationale — une autorité hiérarchique du représentant de l’État sur le commandant de groupement de gendarmerie départementale.
La gendarmerie, force militaire faisant partie intégrante des armées, ne constitue pas, en effet, un service déconcentré d’une administration civile de l’État. L’article 6 du décret du 10 mai 1982 précise que pour l’exercice de ses pouvoirs en matière de sécurité (article 34 de la loi du 2 mars 1982), le préfet dispose d’un pouvoir hiérarchique sur l’ensemble des services déconcentrés (sous réserve notamment des services juridictionnels et de l’Éducation nationale) : « le préfet dirige sous l’autorité de chacun des ministres concernés les services extérieurs des administrations civiles de l’État dans le département ». À ce titre, il exerce une pleine autorité sur les services de police, notamment sur le directeur départemental de la sécurité publique, le décret du 31 août 1993 précisant que ce dernier « chef d’un service déconcentré du ministère de l’Intérieur, (…) est placé sous l’autorité du préfet ». Au-delà de la possibilité pour le préfet de donner des ordres à la gendarmerie (pour obtenir son concours ou la requérir dans le cadre du maintien de l’ordre), ce dernier s’est donc vu reconnaître un pouvoir d’orientation et de coordination, reconnu d’ailleurs dans le texte organisant les conseils départementaux de prévention de la délinquance (décret du 8 juin 1983 modifié par le décret du 1er avril 1992) et dans celui instituant les plans départementaux de sécurité (circulaire du 9 septembre 1993).
…et dirige
La loi pour la sécurité intérieure (LSI) 18 mars 2003 franchit, à cet égard, une étape significative, en étendant encore les pouvoirs du préfet vis-à-vis des services de sécurité de l’État, notamment de la gendarmerie. En effet, d’animateur et de coordonnateur de la politique locale de prévention et de sécurité, le représentant de l’État se voit également reconnaître une mission de direction étendue indistinctement, pour ce qui est de la sécurité publique et du maintien de l’ordre, à des policiers et des gendarmes désormais placés, il est vrai, sous l’autorité directe du ministre de l’Intérieur (décret du 15 mai 2002).
En d’autres termes, la LSI ne fait que constater, qu’officialiser le souci de l’État de demeurer, par l’action sur le terrain de ses responsables départementaux, le seul « patron » en matière de sécurité, même s’il ne rechigne pas à recourir pour ce faire à des procédés partenariaux, contractuels et incitatifs : « Sous réserve des dispositions du code de procédure pénale relatives à l’exercice de la mission de police judiciaire, le représentant de l’État dans le département, et, à Paris, le préfet de police, anime et coordonne la prévention de la délinquance et l’ensemble du dispositif de sécurité intérieure. À cet effet, sans préjudice des missions de la gendarmerie relevant de la défense nationale, il fixe les missions autres que celles qui sont relatives à l’exercice de la police judiciaire et coordonne l’action des différents services et forces dont dispose l’État en matière de sécurité intérieure. Il dirige l’action des services de la police nationale et des unités de la gendarmerie nationale en matière d’ordre public et de police administrative. Les responsables locaux de ces services et unités lui rendent compte de l’exécution et des résultats des missions qui leur ont été fixées. Il s’assure, en tant que de besoin, du concours des services déconcentrés de la douane et des droits indirects, des services fiscaux, des services de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, des directions départementales du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle et des agents de l’État chargés de la police de la chasse et de la pêche maritime et fluviale ainsi que des agents de l’État chargés de la police de l’eau et de ceux qui assurent des responsabilités en matière de sécurité sanitaire, aux missions de sécurité intérieure » (article 2).
Cette fonction de direction s’exerce, plus particulièrement, au sein des organes locaux de coordination de l’action publique. Depuis les années 1997-1998, avec la relance des politiques de sécurité par un appel à la contractualisation, le dispositif des plans départementaux de sécurité étant tombé quasiment en désuétude, la coordination de l’action de services de l’État est exercée par l’autorité préfectorale, à la faveur notamment des réunions inter-services organisées hebdomadairement dans les préfectures et auxquelles participent les responsables des services de police et de gendarmerie. Le décret du 17 juillet 2002, qui réforme les structures locales de prévention de la délinquance, consacre également un titre (IV) à l’institution dans chaque département d’une conférence départementale de sécurité, qui s’inscrit dans le mouvement global de départementalisation de la sécurité.
Placée sous la présidence conjointe du préfet (à Paris, du préfet de police) et du procureur de la République, cette structure, qui se réunit au moins une fois par trimestre et dont le secrétariat est assuré par les services de la préfecture, a pour mission, rappelons-le, de mettre en œuvre dans le département des orientations et décisions du gouvernement en matière de sécurité intérieure ; d’assurer la cohérence de l’action des services de l’État en matière de sécurité des personnes et des biens ; d’animer la lutte contre les trafics, l’économie souterraine et les violences urbaines et proposer les conditions d’engagement des différents services dont le groupe d’intervention régional, dans le respect de leurs compétences propres ; suivre les activités des différents conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance ; tenir les tableaux de bord départementaux de l’activité des services de l’État et d’évaluer les actions entreprises ; d’établir le rapport sur l’état de la délinquance devant être adressé au conseil départemental de prévention. Sur un plan particulier, la conférence départementale de sécurité a également pour objectif d’institutionnaliser le partenariat commencé par les réunions parquet-préfecture organisée depuis la fin des années 90 (4). ♦
(1) Cf. Claude Guéant : « Le préfet et la sécurité : les conséquences de la loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité », Administration, n° 173, octobre-décembre 1996, p. 39-45.
(2) Article 6 : « Sous réserve des dispositions du code de procédure pénale relatives à l’exercice de la mission de police judiciaire, le représentant de l’État dans le département, et, à Paris, le préfet de police, anime et coordonne la prévention de la délinquance et de l’insécurité. Sous les mêmes réserves et sans préjudice des textes relatifs à la gendarmerie nationale, il fixe les missions et veille à la coordination des actions, en matière de sécurité publique, des différents services et forces dont dispose l’État. Les responsables locaux de ces services et forces lui rendent compte de l’exécution des missions qui leur sont ainsi fixées. Il est le garant de la cohérence de ces actions. Il s’assure du concours de la douane à la sécurité générale dans la mesure compatible avec les modalités d’exercice de l’ensemble des missions de cette administration. Le préfet de police coordonne l’action des préfets des départements de la région d’Île-de-France pour prévenir les événements troublant l’ordre public ou y faire face lorsqu’ils intéressent Paris et d’autres départements de la région ».
(3) Cf. Marc Watin-Augouard : « Le préfet et la gendarmerie au regard de la nouvelle loi d’orientation et de programmation sur la sécurité », Droit et Défense, n° 2, 1995, p. 52-57.
(4) Elle comprend les responsables des services déconcentrés de l’État intervenant au niveau départemental dans la lutte contre l’insécurité (trésorier-payeur général, inspecteur d’académie, directeur départemental de la sécurité publique, directeur départemental des renseignements généraux, directeur du service régional de police judiciaire, directeur régional de la police aux frontières, commandant du groupement de gendarmerie départementale, commandant de la section de recherche de la gendarmerie, directeur régional des douanes, directeur des services fiscaux, directeur départemental de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, directeur départemental du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle). Par ailleurs, peuvent être associés à ses travaux, en fonction de son ordre du jour et à la demande de sa présidence, d’autres responsables de services départementaux comme ceux de l’équipement, des affaires sanitaires et sociales et de jeunesse et sports, ainsi que toute personne qualifiée à titre d’expert.