La Première Guerre mondiale
Encore un livre de plus sur ce conflit sanglant qui a bouleversé l’ordre du monde occidental du début du XXe siècle… et pourtant, après les nombreux ouvrages de Pierre Miquel, ou de Max Weber, après les lettres de poilus et autres recueils de dessins, il reste une place particulière pour celui-ci. Il s’agit cette fois beaucoup plus d’une histoire militaire de ce conflit. Précisément, John Keegan, professeur à l’université de Princeton, est un spécialiste et il est servi ici par une très bonne traduction. L’auteur, après avoir analysé les attitudes craintives des États européens, les poussant à des calculs stratégiques dont le plus célèbre exemple est le plan Schlieffen (mais qui avait son pendant en France), nous fait suivre presque au jour le jour l’évolution de la crise diplomatique issue de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, les erreurs de chacun des protagonistes qui ont mené l’Europe au chaos.
Il détaille ensuite les conditions et les contraintes, tant géographiques que matérielles, dans lesquelles le conflit s’engage. On (ré)apprend ainsi le rôle prépondérant du train dans la guerre, comme moyen logistique de transport de troupe, mais aussi les difficultés de son utilisation, réclamant une organisation sans faille. On découvre les armées en voie de modernisation, tâtonnantes sur un plan tactique, tant les évolutions techniques ne permettent pas toutes une utilisation optimale au combat. Ainsi, la radio, facilement embarquée sur un navire, pose des problèmes de transport terrestre dus à son encombrement. Cela explique en grande partie les échecs de la guerre terrestre, faute de coordination rapide et efficace : à défaut de radio, ce sont des estafettes qui transmettront les messages, avec tous les risques que cela comporte. Le tristement célèbre pantalon garance français n’est pas sans pareil : les Autrichiens ont également des uniformes inadaptés au combat moderne. Bien plus que les pantalons, les quarts en aluminium portés sur le haut du sac des Français seront meurtriers, le soleil s’y reflétant : il reste à l’adversaire à tirer un peu à côté pour toucher la tête ! Jusqu’à l’arrivée du char, dont la coordination avec l’infanterie n’est pas évidente.
Enfin, les premiers combats passés, viennent une étude de l’enlisement du conflit, sur les fronts occidental et oriental, puis l’analyse des batailles de 1916, sur terre et sur mer, les conditions de l’entrée en guerre des États-Unis en 1917, les controverses sur la place à donner au contingent américain et la victoire, à l’arraché, tant les armées en présence sont épuisées.
Cet ouvrage, très bien documenté, détaille sur les plans tactique et stratégique les engagements terrestre et maritime de la Première Guerre mondiale. Conflit majeur, elle l’est certes par le nombre de morts et par les bouleversements qui l’accompagnent. Elle l’est tout autant militairement, par l’engagement d’armes nouvelles, les premiers chars, les premiers avions, par une industrialisation du combat sans précédent, le conflit devenant totalitaire. Vision anglo-saxonne du conflit, il minimise la part incombant à l’armée d’Orient, commandée par les généraux Sarrail, Guillaumat puis Franchet d’Esperey, dans l’issue du conflit et mise en évidence par Gérard Passy dans un ouvrage également rapporté dans cette revue. Il n’en demeure pas moins une étude brillante de conflit majeur du XXe siècle. ♦