La biographie du prophète Mahomet
Une aubaine ! Voici, offert en traduction française, un texte fondamental. Chacun sait que le Coran, révélation reçue par Mahomet, et la sunna, recueil de ses dits et de ses actes, sont la base scripturaire de la foi et de la pratique en islam. Une troisième pierre complète l’édifice : la sîra, biographie du Prophète (1). Il en existe plusieurs, mais la sîra de référence est celle d’Ibn Ishâq (mort en 767), reprise et condensée par Ibn Hichâm (mort en 834), lequel est notre homme. La sîra, au demeurant, est, pour l’essentiel, faite d’un choix de hadîth, ces anecdotes constitutives de la sunna, ordonnées selon une chronologie précise. En résulte un texte sans apprêt, léger et pittoresque.
La fiabilité des faits rapportés est grande, Mahomet étant plus proche de notre époque que ne le sont les héros incertains de l’Ancien Testament. Le lecteur féru d’histoire trouvera là son compte, soit qu’il y relève nombre de faits établis, soit que la déformation de ceux-ci ou l’invention de quelques autres le renseignent sur le regard que les premiers musulmans portaient sur l’Envoyé de Dieu. Saluons donc l’heureuse initiative de Wahib Atallah, traducteur et présentateur du texte d’Ibn Hichâm, inaccessible jusqu’alors en français. En ces temps où l’islam s’impose à notre attention, lire ce livre est un devoir civique.
Le traducteur annote et présente. En introduction, il dresse l’état des lieux où va apparaître le redoutable prophète : La Mecque, cité commerçante et sacrée, bédouins, désert et oasis. Il rappelle opportunément que cohabitaient, dans l’Arabie du VIIe siècle, juifs, chrétiens et tenants attardés d’un polythéisme vague où le culte rendu à des divinités diverses s’accommodait d’une politesse particulière faite à un Dieu suprême, comme l’indique le nom du propre père de Mahomet : ‘Abd Allâh. À Médine, en particulier, deux tribus arabes côtoient trois tribus juives. « Tandis que nous étions dans le paganisme avec nos idoles, dit un converti, eux avaient déjà un Livre. Ils savaient des choses que nous ignorions ». Lorsque le Prophète, après quelques hésitations, se met à prophétiser, il semble seulement désireux de relayer le message biblique auprès de ses compatriotes ; mais le prophète des Arabes sera mal reçu de ceux-ci. C’est qu’il les somme d’abandonner la religion, confuse mais sympathique, de leurs pères, lesquels, dit-il, sont eux-mêmes voués aux tourments éternels pour cause d’idolâtrie. En quelque vingt ans, la révélation finira par gagner le cœur des Arabes ; ce sera moins en raison de la teneur du message que de la perfection de sa forme. Le rude ‘Umar soupire : « Que ces mots sont beaux ! » ; Abû Bakr verse des larmes en les entendant et le Négus très chrétien en son Abyssinie fait de même, « jus qu’à mouiller sa barbe », à la lecture de la sourate de Marie. À la beauté de la langue s’ajoute le merveilleux, dont l’illustration la plus grandiose est « le voyage nocturne » : en une seule nuit Mahomet, guidé par le fidèle Gabriel et monté sur une sorte de mule ailée, rejoint Jérusalem, où l’attendent les grands prédécesseurs, au premier rang desquels Abraham qui, rapporte-t-il, « me ressemble exactement » ; de là il gagne l’autre monde, où on lui fait visiter et l’enfer et les sept cieux ; au petit matin il est de retour à La Mecque, comme si de rien n’était.
Le merveilleux, pourtant, se mêle au plus trivial et ce mélange, qui nous choque, est pour beaucoup dans le succès de la religion naissante. Voici un homme qui, entretenant avec Dieu une relation intime, est soumis aux mêmes contraintes, aux mêmes bassesses, que tout un chacun. La satisfaction des « besoins naturels » est fréquemment mentionnée (elle est à l’origine de l’épisode, fameux et de grande conséquence, qui valut à ‘Aicha, épouse préférée du Prophète, d’être accusée d’inconduite) ; il en va de même de « la chose », sur laquelle Mahomet était très porté (on lui connaît treize femmes, dont quelques-unes choisies parmi les prises de guerre). Nous-mêmes, non-arabes, ne sommes pas insensibles à cette simplicité bon enfant et au charme des mœurs de l’époque. Les méharistes français apprécieront de se retrouver plongés dans le monde chamelier et de découvrir, lors de l’arrivée du Prophète à Médine, que c’est sa propre chamelle qui choisira, en baraquant devant une porte, la demeure où Mahomet va descendre. En plus sérieux, on verra se préciser, au gré des circonstances, les rites auxquels les musulmans devront se plier : appel à la prière (à la voix : ni cloche, trop chrétienne ; ni cor, trop juif), moments de celle-ci, partage des prises, interdictions alimentaires, salutations, toutes prescriptions plus détaillées que celles que la Révélation évoque. On relèvera l’origine mohammédienne de la fraternité musulmane et la vocation de pureté reconnue à « l’Île des Arabes », où juifs et chrétiens ne sauraient désormais s’établir.
C’est en découvrant l’omniprésence de la violence sainte que le lecteur français, habitué aux discours lénifiants, risque de tomber de son haut. Ce n’est pas sans raison que les Arabes donnent couramment aux biographies du Prophète le nom de maghâzi, récits guerriers. Wahib Atallah rappelle que « toute la vie du Prophète a été un long combat ». Dès le début de sa prédication, Mahomet annonce aux Quraychites qui ne veulent pas le reconnaître ce qui les attend : « J’apporte le sabre par lequel vous mourrez égorgés ». C’est contre eux que le Prophète, à partir de Médine, prend l’initiative guerrière. À Badr, en 624, a lieu la première bataille sérieuse, exemplaire à divers titres, dont celui de la cruauté. Deux autres affrontements notoires suivront, à Uhud l’année suivante (« tue, tue ! » est ici le cri de guerre des musulmans), à la bataille dite du Fossé en 627. À l’égard des juifs de Médine, le Prophète, sans doute déçu dans ses espérances premières, sera impitoyable. En mai 627, le sort fait aux Banû Quraydha, l’une de leurs trois tribus, fut horrible. Assiégés, ils se rendirent. Tous les hommes furent exécutés, y compris les jeunes gens « à partir de l’âge où ils avaient les poils de la puberté ». Ils étaient au nombre de 600 à 900 et furent égorgés, si l’on en croit Ibn Hichâm, de la main même de Mahomet, ce qui est bien sûr une besogne excédant les forces d’un seul homme, fût-il prophète. Dernier trait de l’insensibilité de l’Envoyé : quinze volontaires ayant obtenu son accord pour perpétrer l’assassinat du chef des juifs de Khaybar accomplissent de concert leur forfait, en sorte qu’il était impossible de décider à qui revenait l’honneur de cette mise à mort, l’un d’eux se targuant pourtant d’avoir percé le ventre du malheureux ; Mahomet se fit présenter les sabres ; « c’est le sabre d’Abdallah ibn Anîs qui l’a tué. J’y vois encore la trace de ce que l’homme avait mangé ». Sans doute faut-il replacer ces affreux détails dans le cadre de l’époque et du lieu ; mais le propre du prophète n’est-il pas de dépasser son temps ?
Sans doute encore pourra-t-on admirer l’efficacité de la violence islamique et rappeler le mot de cet Arabe à qui son propre frère venait d’affirmer qu’il le tuerait si Mahomet le lui ordonnait : « Ça, c’est une religion ! ». On devra alors en conclure que la religion musulmane est à l’opposé du message chrétien et que c’est bien indûment que Mahomet a tenté de faire de Jésus son allié. Osons le mot : s’il y a dans l’enseignement de Mahomet beaucoup de judaïsme et un peu de christianisme, le prophète de l’islam est un mal converti. ♦
(1) Je respecte ici, autant que faire se peut, la transcription des mots arabes adoptée par Wahib Atallah.