Ramses 2005 - Les faces cachées de la mondialisation
Ramses vient donc de paraître, nous allions dire « apparaître », mais, comme les lecteurs de cette revue le savent puisque nous avons eu le privilège de le leur présenter depuis sa naissance, il s’agit du « Rapport annuel mondial sur le système économique et stratégique » de l’Institut français des relations internationales (Ifri).
D’abord, comme de coutume, le Ramses de cette année met à la disposition de tous ceux qui s’intéressent aux relations internationales un ensemble sans équivalent de références. Ces « Repères » de l’année écoulée comportent en effet « le Monde en cartes », « le Monde en chiffres », une « Chronologie » et, enfin, un « Panorama » constitué de courtes relations des principaux événements, classés par pays ou organismes internationaux. Ensuite, le Ramses traite d’un « Thème » qui est, cette année, « les faces cachées de la mondialisation ». Là encore, il est traité par pays ou ensembles géographiques et organiques, dont l’intitulé indique l’approche qu’a privilégiée dans sa contribution chaque membre de l’équipe Ramses 2005. Les voici donc, et d’abord ceux traitant de généralités : « Un Tiers-Monde en réinvention », « L’UMC, victime de la mondialisation », « La diversité biologique à l’épreuve de la mondialisation », « Diversité culturelle et mondialisation ». Suivent ceux concernant des ensembles géographiques ou des pays : « L’Afrique paradoxale », « L’Inde entre mondialisation et question sociale », « La question sociale, condition et contrainte du miracle chinois », « Le Moyen-Orient dans la tourmente », « L’Irak au tournant du 20 juin 2004 ». Quant aux États-Unis, ils n’ont été abordés que sous l’aspect de l’actuelle crise pétrolière, comme le précise l’intitulé les concernant : « Les États-Unis et la sécurité pétrolière mondiale » ; mais nous allons le constater, c’est le directeur général de l’Ifri qui s’est réservé de traiter lui-même de la « superpuissance », face à beaucoup d’autres problèmes majeurs contemporains.
En effet, dans son éditorial intitulé comme chaque année « Perspectives », Thierry de Montbrial a choisi comme thème « La guerre et la paix », puisque « l’année écoulée a été dominée par les séquelles de l’intervention en Irak ». Pour lui, celle-ci pose « deux questions majeures » : « George W. Bush et accessoirement Tony Blair ont-ils menti en justifiant leur marche à la guerre par un danger imminent posé par les armes de destruction massive de Saddam Hussein et par ses connivences avec Al-Qaïda ? » ; « comment expliquer l’incurie de l’Administration américaine en ce qui concerne sa préparation de l’après-guerre ? ». Suit alors l’analyse de la situation « catastrophique » qui sévit en Irak au moment de la rédaction de cet éditorial (juillet 2004), laquelle, comme chacun sait, n’a fait qu’empirer depuis. Ensuite, notre auteur analyse la situation au Proche-Orient, « dominée (alors) par la stagnation », puis les problèmes soulevés par les programmes nucléaires de la Corée du Nord et de l’Iran (sujet que nous avons eu récemment l’occasion d’actualiser dans cette revue), avec pour l’Iran cette constatation (incontestable) : « Aucune stabilité régionale n’est possible sans son concours ».
Mais ce que nous attendions surtout, c’est le tour du monde des relations internationales auquel Thierry de Montbrial nous convie chaque année, d’autant que, cette année, elles se trouvent être face à « la guerre et la paix ». Celui-ci débute évidemment par « les relations transatlantiques », avec une analyse détaillée de ces deux « points précis d’ordre géopolitique » que sont les conséquences de « l’extension géographique de l’Alliance » et de l’éventualité de « l’admission dans l’Union européenne de la Turquie » (laquelle appartient à l’Otan depuis toujours) ; alors que « pour beaucoup d’États européens, en particulier ceux récemment libérés de la férule soviétique, l’intérêt que leur porte l’Amérique est une chance inouïe » (on ne saurait mieux dire). Vient ensuite l’examen du comportement de l’Union européenne « face aux problèmes de l’élargissement et de la Constitution », avec cette constatation : « Le rapport entre la construction en cours et l’Europe des Six est de plus en plus ténu » (constatation dramatique pour le rédacteur de ces lignes, puisqu’il a œuvré pour cette Europe des Six au temps où il était en charge du dossier de la CED au Standing Group de l’Otan, qui siégeait alors au Pentagone, porte à porte avec le Joint Staff américain). Cependant, notre auteur veut rester optimiste, puisqu’il conclut : « L’Union est devenue un laboratoire où s’échafaude un nouveau style d’unité politique ». Suit alors l’analyse des problèmes que soulève « la Constitution » de l’Union européenne, laquelle au moment où nous écrivons ces lignes vient d’être signée par les chefs d’État et de gouvernement de ses 25 membres actuels, mais dont la ratification soulèvera certainement des problèmes que Thierry de Montbrial ne manquera pas d’analyser l’année prochaine avec sa perspicacité habituelle. Cette année, il l’a employée à analyser ceux de la Russie, qui « continue à lutter pour sa survie en tant que puissance significative dans les affaires du monde ». Il l’a fait à partir de deux interrogations : pour la politique intérieure, « l’actuel maître du Kremlin parviendra-t-il à remettre la société russe en marche ? » ; pour la politique extérieure, « la Russie a subi le double élargissement de l’Otan et de l’Union européenne. Vis-à-vis du premier, elle a fait contre mauvaise fortune bon cœur », alors que « l’élargissement de l’Union a affecté ses intérêts économiques ». Et, plus loin, est évoquée cette éventualité (redoutable) : « Il est manifeste que, si la Russie, la Biélorussie et l’Ukraine proposaient leur candidature (à l’Union), il lui serait impossible de s’y opposer, alors que celle de la Turquie est prise en compte ». Ces « perspectives » se terminent par un regard sur la Chine qui, « devenue l’atelier du monde, ouvre de vastes perspectives à toute la planète, non sans lui poser des inquiétudes ».
Dans ses « Perspectives », Thierry de Montbrial n’a pas évoqué les inquiétudes que suscitaient certainement déjà chez lui en juillet dernier le comportement des États-Unis face à « la guerre et la paix dans le monde ». Là encore, il a été perspicace puisque, au moment où nous terminons ces lignes, les données de ce comportement viennent d’être profondément modifiées avec la résurrection par cassette vidéo interposée de Ben Laden, la longue agonie à Paris d’Arafat et surtout avec la réélection triomphale, ce 2 novembre, de George W. Bush à la présidence des États-Unis. Au moment où nous terminons ces lignes, tout a été dit dans les médias sur le pourquoi de ce succès qu’ils n’avaient pas prévu mais qui leur a permis de mieux comprendre les valeurs auxquelles croit cette Amérique profonde, dont la psychologie collective est si différente de celle de notre vieille Europe. Et si, pour cette dernière, la nouvelle n’est probablement pas la meilleure, elle a au moins l’avantage de nous permettre une « prospective » moins aléatoire des relations internationales. Pour nous être autrefois passionné pour cette discipline, nous avons dû constater qu’elle supposait que l’Histoire est linéaire, ce qu’elle n’est jamais. C’est pourquoi il faut lui préférer la méthode des « scénarios », qui a l’avantage de vous obliger à envisager les hypothèses désagréables et par suite à vous y préparer.
L’Ifri va certainement s’y employer, comme il l’a toujours fait, au cours de l’année à venir et c’est pourquoi nous souhaitons longue vie à Ramses, en attendant sa réincarnation en juillet 2005 qui nous préparera aux « perspectives » de l’année 2006. ♦