La Turquie en Europe : un Cheval de Troie islamiste ?
Alors que les dirigeants européens ont envisagé, lors du Sommet de Copenhague de décembre 2003, d’entamer les négociations d’intégration de la Turquie dans l’Union européenne dès décembre 2004, le présent ouvrage vient à point nommé souligner ce qui pour son auteur constitue dans ce processus autant d’interrogations et d’inquiétudes. Au terme d’une analyse historique et géopolitique fouillée, il signale sans détours les risques majeurs que présenterait cette intégration. Sont alors posées de réelles questions : cette « européanité » tant revendiquée par la Turquie n’est-elle pas usurpée ? ; « l’islamisme modéré » affiché par Ankara ne constitue-t-il pas une imposture ? ; les Européens sont-ils prêts à voir émerger une nouvelle configuration, sociale et géopolitique en Europe ? Alexandre Del Valle place ainsi au centre de son analyse la question de la menace islamiste, à travers l’analogie du Cheval de Troie ; il se demande en effet si l’Europe ne fait pas preuve d’une dangereuse naïveté en offrant à l’islamisme, la possibilité d’intégrer l’Union européenne.
Si l’héritage gréco-romain et judéo-chrétien, prôné pour rallier la Turquie à l’identité européenne, correspond à une certaine réalité, ce processus d’homogénéisation culturelle mis en œuvre a été soutenu par le réformisme laïc et moderniste d’Atatürk qui a : aboli le Califat, adopté l’alphabet latin, interdit officiellement les confréries islamiques, banni le voile islamique et donné le droit de vote aux femmes dès 1934. Malgré tout, le visage occidentalisé de la Turquie, selon l’auteur, fait aujourd’hui encore figure d’exception face à la réislamisation croissante, ces dernières années, de la société et du nationalisme turc. Dans ce contexte, le concept « d’islamisme modéré » semble quelque peu naïf et aberrant, tant les objectifs du nouveau pouvoir en place se montrent un peu plus chaque jour éloignés de l’idéal démocratique et libéral occidental et surtout du kémalisme. Alexandre Del Valle montre ainsi comment le pays rompt en douceur avec les valeurs qui lui avaient valu l’appellation d’« exception laïque turque ».
Pour la Turquie, l’entrée dans l’Europe constitue un véritable enjeu économique, et s’impose comme le seul moyen de sortir d’une longue crise structurelle. Pour le gouvernement islamiste, c’est également un enjeu politique, offrant l’occasion d’étendre son influence en Europe, où plusieurs millions de citoyens turcs résident déjà, notamment dans les régions jadis sous domination turco-ottomane, telles que les Balkans. L’extension vers l’Asie des frontières de l’Union, le voisinage de pays islamiques, la déstabilisation de l’économie européenne par l’arrivée d’une main-d'œuvre bon marché, la transformation profonde des équilibres démographiques, la dilution de la culture européenne, sont autant de réalités abordées.
Fort de ce constat, Alexandre Del Valle considère que la « stratégie de Cheval de Troie » déployée par les « islamistes modérés » consiste à intégrer l’Union européenne et à subvertir les valeurs démocratiques occidentales tout en islamisant à terme l’Europe démographiquement et spirituellement. L’entrée de la Turquie dans l’Europe marquerait alors la fin de l’Union européenne telle que nous la connaissons. En acceptant la candidature d’Ankara, fin décembre 2004, Bruxelles ouvrirait non seulement la porte au premier État musulman et islamiste, mais créerait aussi un grave précédent d’ordre éthique, accordant de facto à la Turquie une légitimité démocratique sans même exiger préalablement l’arrêt effectif des actions violant les valeurs fondamentales des sociétés démocratiques occidentales depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : l’atteinte aux droits de l’homme et à la liberté d’expression, l’inégalité des droits pour les minorités ethno-religieuses, l’occupation illégale de pays tiers (Chypre) et enfin, la non-reconnaissance du génocide arménien. L’admission de la Turquie au sein de l’UE définirait un nouveau rapport de force, celle-ci y devenant la première puissance démographique, mais aussi la première puissance militaire terrestre avec près d’un million de soldats, et enfin la plus grande représentation au Parlement de Strasbourg (92 députés, contre 85 pour l’Allemagne et 72 pour la France) et au Conseil européen.
Quand certains voient en l’intégration de la Turquie dans l’Union un moyen de pousser définitivement celle-ci dans le camp occidental, Alexandre Del Valle propose, lui, d’étudier la question sous un angle plus réaliste, considérant que cela revient à rompre avec le projet européen d’origine, à nier sa cohérence géopolitique et civilisationnelle. Ainsi privée de sens, l’Union s’apprêterait à devenir une simple zone de libre-échange. Afin d’éviter les deux écueils de l’intégration et du rejet, l’auteur propose, comme alternative plus raisonnable, un statut d’association privilégié avec la Turquie que l’Europe et l’Occident ont tout intérêt à conserver comme voisin et ami proche.
Afin d’étayer ses propos l’auteur a rassemblé une abondante documentation composée notamment de glossaires et de cartes mis en annexe qui viennent éclairer les thèses développées tout au long de cette analyse. ♦