Conflits d'autorités durant la guerre d'Algérie, nouveaux inédits
Parmi les historiens de la guerre d’Algérie, trop souvent militants engagés, Maurice Faivre s’impose par le sérieux de ses analyses et la mesure de ses jugements. Le livre qu’il publie prolonge Les archives inédites de la politique algérienne, paru en 2000 chez le même éditeur. Comme le précédent, celui-ci est à la fois livre de référence par son introduction et les synthèses claires qui le jalonnent, et ouvrage de références par les sources authentiques qu’il dévoile. L’introduction rappelle, avec une objectivité trop rare, la nature particulière de cet affreux conflit. Alors que les « livres noirs » sont à la mode, celui-ci, dit l’auteur, est un « cahier gris » qui renvoie chacun des deux camps à ses excès et rappelle l’enchaînement, souvent oublié ou occulté, des exactions et de la répression, du terrorisme et de la torture.
Le corps du livre comporte trois parties, faites de témoignages et de documents. La première est consacrée à Michel Debré. Ce que cet homme intègre a vécu là est proprement pathétique. Du pamphlétaire du Courrier de la colère, défenseur passionné de l’Algérie française, au Premier ministre démissionnant le 14 avril 1962, quel chemin parcouru, chemin de croix ! Souffrance endurée dans l’exécution d’une politique élaborée dans le secret par le chef de l’État et allant le plus souvent à l’encontre des vœux de son Premier ministre, mais souffrance acceptée dans la fidélité inconditionnelle de celui-ci à la personne du général de Gaulle. Conflits d’autorités, dit le titre ; mais conflits pour aller où ? Ni l’un ni l’autre ne le savent vraiment et l’affrontement Debré-de Gaulle est un conflit d’indécisions.
La deuxième partie traite de la Commission de sauvegarde du droit et des libertés individuelles. C’est le sujet le plus chaud, et celui où Maurice Faivre a été contraint, par la Direction des archives de France, à une discrétion qu’il juge excessive. La Commission est créée par Guy Mollet en avril 1957, au moment de la bataille d’Alger, sur laquelle elle fait rapport dès septembre. En août 1958, le Général la remettra au travail, et jusqu’en 1962. L’auteur estime qu’elle s’est bien acquittée de sa tâche : en dénonçant les excès de la répression, mais aussi en y portant remède, notamment par la réorganisation d’une justice qu’il fallait bien adapter à une situation exorbitante.
La troisième partie présente des personnalités militaires diverses, elles aussi à l’épreuve : Ely se désespérant de l’impossibilité qu’il y a à « travailler avec de Gaulle » ; Crépin succédant à Massu puis à Challe, lourdes successions ; Gambiez succédant à Crépin au mauvais moment puisqu’il fut emprisonné par les putschistes, ce qui nous vaut sur le putsch et son traitement ce jugement admirable : « Comment réduire un mouvement correspondant dans une grande mesure au sentiment de ceux mêmes qui seraient chargés de le combattre ? ».
L’excellent travail de Maurice Faivre, en raison de son honnêteté, suscite un amer sentiment : la pitié pour les malheureux acteurs engagés, à quelque niveau qu’ils fussent placés, dans une tâche impossible. L’auteur évoque l’occasion perdue, la seule sans doute : le royaume arabe selon Napoléon III… et selon Abd el Kader. Un rêve ? L’histoire étant écrite, on ne peut que rêver. ♦