In memoriam - Paul-Marie de La Gorce
Paul-Marie de La Gorce nous a quittés.
Auteur régulier de Défense Nationale, il avait pris la direction de la revue, ainsi que la présidence du Comité d’études de défense nationale à l’été 1989, c’est-à-dire avant la chute du mur (novembre 1989) et avant l’implosion de l’URSS.
Le numéro d’octobre 1989 de Défense Nationale ouvrait sur un article intitulé « Une nouvelle réflexion stratégique », où Paul-Marie de La Gorce donnait l’orientation, la ligne éditoriale de la revue, toujours en vigueur.Nous en recommandons la lecture aux lecteurs d’aujourd’hui ; quelques extraits en convaincront : « … il n’est plus certain que, demain, notre monde soit encore bipolaire »… « il faut, sans illusions mais sans préjugés, apprécier les changements qui surviennent »… « examiner les nouvelles hypothèses de conflits, soit à l’intérieur, soit à l’extérieur, soit aux franges des camps qui paraissaient naguère homogènes et dont les frontières semblaient définitives » …« discerner les réalités complexes que recouvre le mot superpuissance, ainsi les changements intervenus dans les relations internationales sont-ils, pour la réflexion stratégique, une mise au défi. Loin qu’elle perde son objet dans un climat heureusement plus pacifique, elle a de nouveaux terrains à explorer, de nouvelles hypothèses à traiter. Pour ceux qui s’y consacrent, l’heure n’est pas au relâchement des efforts mais à la recherche et à l’imagination ».
L’article de janvier 1992 est de la même veine : « Sur la scène internationale, la prépondérance des États-Unis est la donnée majeure » … « dans le futur prévisible, leur suprématie ne sera pas remise en cause ».
« L’un des traits caractéristiques du contexte international est aussi l’aggravation dramatique du fossé entre États riches et nations pauvres… Il ne fait aucun doute qu’il en résultera des facteurs de tension, de revendication ou de conflit, et, plus sûrement encore de méfiance et d’incompréhension »…
« Il faudra, de surcroît être attentif aux formes nouvelles de lutte qui pourraient surgir dans un contexte apparemment marqué par la suprématie exclusive des États-Unis et la supériorité militaire des puissances occidentales ».
C’est en 1995 que Paul-Marie de La Gorce a formellement quitté la direction de la revue et la présidence du Comité d’études de défense nationale, pour en devenir président d’honneur.
Défense Nationale poursuit dans la voie de la réflexion stratégique qu’il avait tracée. L’ensemble du personnel garde la mémoire de ce « patron » respecté et aimé.
C’est avec émotion et tristesse que nous saluons le départ de notre camarade et ami et que nous présentons nos sincères condoléances à la famille de Paul-Marie de La Gorce.
Général Christian QUESNOT
Directeur de la revue Défense Nationale
Président du Comité d’études de défense nationale
ÉLOGE FUNÈBRE
Quand tomba la triste nouvelle de la mort de Paul-Marie deLa Gorce, me revint par bribes un superbe poème de Federico Garcia Lorca.
« Non, je ne veux pas le voir, le sang d’Ignacio dans l’arène ».
Non, nous ne pouvions accepter la disparition de cet homme en pleine possession de toute son intelligence, en pleine activité.
« Il n’y eut prince dans Séville qu’on puisse lui comparer, ni épée comme son épée, ni cœur qui fût aussi vrai ».
Oui, il avait tous les talents.
Une fois pour toutes, après s’être engagé à l’âge de seize ans, en dissimulant son âge, dans les combats de la Libération, il avait choisi la Patrie et celui qui l’incarnait.
Il fut le grand historien de De Gaulle, et son superbe ouvrage sur le Libérateur de la Patrie et le Rénovateur de la République venait d’être traduit en chinois.
Il savait tout, tout en politique étrangère, tout de notre politique intérieure et de celle de tant de pays, tout sur les matières de l’économie.
Ses connaissances, ses informations — souvent exceptionnelles — il avait le talent de les exposer avec la plus grande clarté, oralement ou par écrit, sans jamais buter ni sur une idée ni sur une tournure, ni sur un mot. Sa capacité de travail était infinie : il avait tout lu ; il aura écrit sur tout, et toujours avec un égal bonheur.
Non seulement il savait les choses, mais sur tous les problèmes, sur les pays arabes dans « l’Orient compliqué » — je le sais d’expérience — ou sur la baisse des impôts en France, il avançait des idées claires, opportunes et intéressantes.
Et il en discutait toujours avec une courtoisie exquise.
Danielle, vous perdez un compagnon exceptionnel et vos enfants un père attentionné. Moi, je perds un ami sur qui, depuis bientôt quarante ans, j’ai toujours pu compter.
La Fondation Charles de Gaulle qui lui doit le plus clair de son redressement sait qu’elle ne pourra le remplacer. Et les grands éditorialistes de la presse ne doutent sûrement pas qu’ils ont perdu le meilleur d’entre eux.
Nous sommes nombreux, très nombreux à partager votre deuil et à porter une part de ce lourd fardeau.
Plût au ciel que cette immense solidarité dans l’épreuve allège un peu le poids de votre peine.
Hélas, « la vie sépare ceux qui s’aiment
Tout doucement sans faire de bruit… » (1)
Adieu Paul-Marie !
8 décembre 2004
Yves GUÉNA
Président du Conseil constitutionnel
Communiqué du président de la République
J’apprends avec tristesse et émotion la disparition de Paul-Marie de La Gorce.
Homme de culture, à la plume alerte et précise, au style élégant et limpide, Paul-Marie de La Gorce portait un regard aiguisé et plein d’intelligence sur les évolutions du temps et du monde. Par la finesse de ses analyses, il savait décrypter les mouvements de l’Histoire.
Ce grand journaliste, spécialiste des relations internationales, écrivain et essayiste de talent, savait prendre le recul et la hauteur nécessaires pour nous aider à mieux comprendre notre époque.
Je connaissais bien Paul-Marie de La Gorce. Je connaissais l’engagement de ce gaulliste fervent et sa passion à défendre une certaine idée de la France.
Il restera comme l’un des plus brillants exemples de la tradition d’excellence du journalisme français. ♦
Jacques CHIRAC
Président de la République
(1) Jacques Prévert : « Les Feuilles mortes ».