Défense dans le monde - Le scribe et le centurion : 70 ans d'interventions militaires françaises
Les opérations militaires françaises en cette seconde moitié du XXe siècle pourraient être analysées à travers l’intensité des conflits majeurs de cette période : pendant la première décennie avec les guerres d’Indochine (1945-1954), de Corée (1950-1953) ou d’Algérie (1954-1962) ; dans la dernière avec celles d’Irak (1990-1991), de Bosnie (1992-1995) ou du Kosovo (1998-1999). Sans atteindre le paroxysme de la guerre totale, ces conflits ont profondément marqué par l’ampleur de l’engagement militaire consenti.
Pendant la période de l’après-guerre à nos jours, les opérations extérieures sont marquées aussi par la très grande diversité des engagements français. Diversité tellement grande que le vent de l’histoire en éteint parfois le souvenir, alors que nombre de témoins et d’acteurs restent encore présents, dans la foule parfois discrète de ces anciens combattants qui ont fait, comme on dit, « leur devoir ». Conserver la trace de nos participations militaires, c’est à leur égard conserver le sens de leurs engagements passés.
C’est aussi pouvoir justifier du besoin de financement d’un outil de défense qui, au-delà du socle de la force de dissuasion, a si souvent été mis à contribution pour appuyer l’action diplomatique de la France. Si en matière de défense nationale les débats parlementaires sont souvent mesurés, la préparation des arbitrages budgétaires préalables reste toujours délicate entre ces deux grands ministères régaliens que sont les Finances et la Défense ; avec des questions souvent sous-jacentes : faut-il vraiment ? Maintenant ? Ne peut-on réduire ? Mais si les discussions se prolongent quant aux capacités militaires souhaitées, les débats sont vite clos lorsqu’ils concernent des forces effectivement déployées. La mémoire précise de nos actions est alors une nécessité pour justifier du bien-fondé des efforts financiers de la nation.
Disposer d’un panorama des engagements militaires extérieurs, c’est enfin préserver les leçons du passé et l’expérience des plus anciens. Après l’analyse, les retours d’expérience sont alors effort de mémoire et de conservation. Pour éclairer les décisions du présent en les resituant dans un temps long, il faut d’abord sauvegarder le passé.
C’est une évidence : la plume du scribe doit accompagner l’épée du centurion.
Retrouver les opérations militaires extérieures françaises depuis la Seconde Guerre mondiale ne relève pas d’une simple compilation car un tel inventaire, exhaustif, semble n’avoir jamais été réellement constitué. Les ouvrages sur l’histoire militaire contemporaine ne manquent pas, mais ils s’orientent le plus souvent sur des éclairages particuliers à des unités, à des zones géographiques, à des natures de mission. Synthétiques, ils restent généraux. Détaillés, ils se focalisent sur des actions particulières. Les publications ne sont pas toujours référencées et consistent souvent en des articles de circonstance ; de nombreux épisodes sont de plus occultés ou restent confidentiels. L’histoire militaire contemporaine ne retrace alors que les épisodes les plus saillants.
276 Opex depuis 1945
Ce sont pourtant quelque 276 opérations extérieures dénommées depuis 1945 qui ont pu être retrouvées et décrites dans des travaux conduits sous l’égide du Collège interarmées de défense (CID) et mis en ligne sur son site Internet (1). Référencées par plus de 450 sources documentaires, les opérations sont synthétiquement décrites par la période, le contexte, la mission, la nature, le cadre, les participations. Un bilan opérationnel et politique achève une présentation synthétique regroupée sur une fiche selon un canevas-type.
Leur inventaire apporte alors un panorama saisissant de l’action militaire extérieure française sur la période. Il concerne d’abord l’actualité avec la connaissance de nos 26 opérations en cours (2), information parfois malaisée à retrouver tout particulièrement s’agissant du contexte ou des raisons. La description des interventions passées porte par ailleurs, non seulement sur les opérations dénommées, mais aussi sur des missions extérieures non dénommées qui sont restées marquantes par l’action qu’elles ont permise, le plus souvent à caractère humanitaire, soit 137 répertoriées à ce titre, à ce jour (3).
Critères de recherches
Divers critères permettent de rechercher en ligne sur le site ces interventions :
- Par le nom de l’opération ;
- Par le pays (114 pays identifiés) ; on retrouve ainsi sans surprise près de 23 opérations distinctes menées au Liban, mais aussi 13 en Centrafrique, ou plus près dans le temps et l’espace, les 12 opérations menées dans le cadre du conflit au Kosovo ;
- Une recherche par année permet aussi de constater l’inflation dans le nombre des interventions. Dès la fin de la guerre froide, avec la chute du mur de Berlin en novembre 1989, celles-ci sont passées d’une dizaine par an, à près d’une trentaine d’opérations en cours ;
- Une consultation par le cadre des interventions permet logiquement de retracer sur cette période, la montée de l’interarmisation et de l’internationalisation, dans le contexte actuel de recherche systématique, par la France notamment, d’une approbation par la communauté internationale avec le plus souvent mutualisation entre plusieurs nations. Près de 37 opérations sous commandement du département des opérations de maintien de la paix de l’Organisation des Nations unies (ONU) comprennent ainsi une participation militaire française. On pourra aussi par exemple illustrer le concept Recamp en Afrique (rétablissement de la capacité de maintien de la paix) par les 6 opérations qui l’ont mis en œuvre.
Ce recensement vise à une présentation exhaustive, exception faite des interventions tenues secrètes, non disponibles par des sources ouvertes. Il reste à le compléter par les témoignages qui seront apportés, voire à y insérer des documents audiovisuels pour en illustrer le commentaire.
Au-delà des démarches individuelles, il revient à l’institution militaire de relayer ces initiatives pour une meilleure connaissance de cette période contemporaine, à la richesse inégalée. Les synergies attendues d’un service d’archives maintenant unifié porteront peut-être aussi en cette matière, les fruits espérés. ♦
(1) www.college.interarmees.defense.gouv.fr/.
(2) Amarante, Aramis, Boali, Corymbe, Epervier, Epidote, Eumm, Finul, Fmo, Héraclès, Licorne, Minuee, Minuk, Minul, Minurso, Minustah, Monuc, Monug, Mpue, Onuci, Onust, Pamir, Proxima, Renforts ZMOI, Salamandre 2, Trident.
(3) Il est à noter que faute de source historique identifiée par l’auteur, l’action de l’État en mer n’a pu être qu’insuffisamment retracée notamment au titre des actions de sauvetage en mer.