« Géopolitique des États-Unis (culture intérêts, stratégie) »
Récemment, nous avons présenté à nos lecteurs l’édition 2004 de la Revue française de géopolitique qui avait pour thème « la géopolitique de l’énergie ». C’est aussi un sujet d’une particulière actualité que traite l’édition 2005 de cette revue. Il ne peut être question de tenter de résumer ici les contributions de ses 34 coauteurs lesquelles s’étendent sur 414 pages, aussi allons-nous nous borner à signaler les apports qui nous ont paru les plus novateurs.
Nous commencerons par ceux qui concernent les spécificités de la culture politique américaine, lesquelles viennent de se manifester lors de la réélection triomphale de George W. Bush, et cela à la surprise de la plupart des observateurs européens. C’est d’abord « l’impact du puritanisme anglais » qu’a analysé François Thual avec sa clairvoyance bien connue, et que commente Blandine Ghelini Le Pont sous le titre « Au nom du Christ et de l’Amérique, le fondamentalisme américain », c’est-à-dire la conviction profonde que « ce qui est bon pour l’Amérique, est bon pour le monde entier ». Il convient cependant de noter avec Gaël Le Bouch que « l’évolution interne de la démographie des États-Unis » pourrait à terme modifier ces comportements.
Si nous passons maintenant aux stratégies mises en œuvre par les États-Unis pour développer leur puissance, nous retiendrons particulièrement l’exposé d’Éric Denécé qui concerne la « domination économique », en particulier par leur mainmise sur le pétrole, que nous avons développée ici à propos de « la géopolitique de l’énergie ». Quant aux moyens, ce sont d’abord « la maîtrise de l’information », analysée par Vincent Troin, mais aussi celle de « l’espace », que traite avec son brio habituel Thierry Garcin. Pierre Pascallon, quant à lui, considère que le « Bouclier antimissiles » en projet renforcera le leadership mondial des États-Unis, ce qui nous paraît contestable, mais nous y reviendrons plus loin.
Enfin, la Revue française de géopolitique a traité de l’application actuelle par les États-Unis de « leur volonté de puissance à la recherche de l’Empire du Monde ». Si nous commençons par l’Europe, qui nous intéresse en priorité, les titres suivants des contributions annoncent leurs orientations : « l’Américanisation de l’Europe », « l’Union européenne à vingt-cinq », « l’Otan instrument de la puissance américaine » Ce tour du monde se poursuit, et d’abord en Asie « Face à l’émergence de la Chine » (traité par Aymeric Champrade lui-même), puis en Irak « Iraky Freedom : domination et suprématie militaire », en Iran « Téhéran-Washington : le désamour passionnel », et plus généralement dans le Proche et le Moyen-Orient « Comment Washington regarde l’Islam », ce qui nous amène à poser à notre tour une question immédiate d’actualité : comment l’Islam considère-t-il les États-Unis, après leur intervention par moyens militaires dans le plus grand État musulman du monde, l’Indonésie ravagée par le tsunami, dont Colin Powell vient de souligner à Djakarta « la générosité ». On voit ici apparaître une « géopolitique de l’Humanitaire », qui pourrait constituer un thème intéressant pour la livraison 2006 de la Revue française de géopolitique. En attendant, le tour du monde de la géopolitique américaine se termine par l’évocation des « intérêts des États-Unis » dans le Pacifique et en Amérique du Sud, où ils appliquent avec « constance la doctrine de Monroe ».
Pour finir, nous nous arrêterons un peu sur les conclusions tirées de cette présentation de la « superpuissance américaine » par la Revue française de géopolitique sous la signature de Jacques Sopelsa, président de l’Académie internationale de géopolitique. Curieusement, lui aussi place en premier lieu « la quasi-certitude que le programme National Missile Defense sera l’instrument appliqué ». Il est vrai que parallèlement, il considère comme indéniable la pérennité de la dissuasion du « fou au fort », ce qui tend à justifier, noterons-nous, la nouvelle stratégie américaine de frappes nucléaires « préemptives » contre les États voyous ?
Avant de conclure, relevons qu’Aymeric Chauprade a précisé dans son introduction qu’il n’avait jamais rien lu d’aussi brillant sur la course à « l’Empire du Monde » que le livre de Pierre Biarnès, paru en 2003 et intitulé Pour l’Europe du Monde. Or, il se trouve que celui-ci a, sous le même titre, fourni une contribution à cette livraison de la Revue française de géopolitique. Après y avoir rappelé l’évolution de la politique étrangère des États-Unis depuis le début de la guerre froide, avec en particulier « la pérennisation de l’Otan », l’auteur évoque lui aussi comme un fait majeur la dénonciation par les États-Unis du Traité ABM (Anti Balistic Missile), lequel interdisait l’installation d’un bouclier antimissiles national, tout en autorisant, soit dit en passant, celui d’un bouclier ponctuel, comme la Russie en avait auparavant déjà installé un pour protéger Moscou (bouclier qui existe encore actuellement et est certainement efficace, puisque armé avec des fusées thermonucléaires). Or, ce n’est pas le cas de l’actuel bouclier antimissiles américain en cours d’installation en Alaska, puisque le 15 décembre dernier son essai a été à nouveau marqué par un « raté ». On peut d’ailleurs se demander si la conception même de ce bouclier n’est pas erronée, comme nous avons eu l’occasion de l’exposer dans cette revue, alors que ses capacités programmées sont modestes : interception au maximum de 20 missiles balistiques à trajectoire préprogrammée et à tête unique (en fait, le nombre exact de missiles intercontinentaux que possède la Chine). Quant à la seconde tranche du dispositif envisagé – lequel doit être orienté vers l’Ouest (en principe vers l’Iran, ce qui n’est pas plus crédible que vers la Corée du Nord, comme l’est officiellement le précédent) – on peut mettre en doute sa réalisation. En l’occurrence, le seul bouclier antimissiles du territoire américain qui aurait pu être efficace est celui qu’avait imaginé Ronald Reagan, avec son projet de « la guerre des étoiles », puisque c’était à partir de l’Espace qu’il interceptait les missiles balistiques adverses, et cela, à l’issue de leur lancement, alors qu’ils étaient parfaitement détectables et leurs trajectoires initiales bien connues. Oublions le bouclier antimissiles et notons pour finir que les analyses de Pierre Biarnès sont effectivement très intéressantes pour ce qui concerne les différents domaines d’action de l’hyperpuissance.
Ces dernières ne manqueront donc pas de fournir à la prochaine livraison de la Revue française de géopolitique d’intéressants sujets de réflexion, à moins que la géopolitique de l’Humanitaire n’en soit le thème retenu. ♦