Relire De la guerre de Clausewitz
Quel était le centre de gravité de la coalition conduite par les États-Unis en Irak ? Les technologies de l’information permettront-elles de dissiper le brouillard de la guerre ? Le terrorisme est-il une forme de poursuite de la politique par d’autres moyens ? Alors que l’on souligne à l’envi la caducité des théories de Clausewitz, jamais sans doute son empreinte dans le discours stratégique n’a été aussi forte, sous l’influence notamment de la réflexion américaine qui se l’est réappropriée dès les lendemains de la guerre du Viêt-nam. Pourtant, ce monument de la pensée militaire reste mal connu ; il est vrai que le Traité De la guerre se présente sous une forme parfois hermétique, ses quelque 750 pages rassemblant selon une logique parfois déroutante une pensée dont la richesse n’a d’égal que le caractère inabouti, le général prussien ayant disparu avant d’avoir pu achever son œuvre.
C’est dire que l’ouvrage publié par le lieutenant-colonel Durieux est le bien venu. Le résumé de l’œuvre majeure de Clausewitz qu’il propose en une centaine de pages facilite considérablement l’accès à la pensée clausewitzienne. Si, comme le souligne l’auteur, il ne doit pas conduire à s’affranchir du recours au texte original, il en permet une lecture facile et utile, grâce en particulier au précieux index thématique qui l’accompagne. Il permet de retrouver rapidement les idées de Clausewitz sur un sujet donné, parfois dispersées dans plusieurs parties du Traité De la guerre.
À la lecture du résumé, on ne peut que souscrire à la thèse de l’auteur, qui sou ligne dans une longue et passionnante introduction l’actualité de la pensée clausewitzienne. Il propose à cette fin de renouveler la vision commune, qui ne voit en Clausewitz que l’apôtre de la guerre totale. Clausewitz peut sans doute aussi être compris comme le théoricien de la guerre limitée, dont les finesses de l’analyse permettent de rendre compte de la grande diversité des conflits actuels. Après avoir rappelé brièvement l’histoire de la pensée clausewitzienne fort développée aux États-Unis, Benoît Durieux appelle à une lecture européenne de Clausewitz qui devrait s’affranchir de la perception actuelle de l’auteur prussien, fortement marquée par une culture stratégique américaine qui éprouve des difficultés à penser la limitation dans l’emploi de la force. Cette approche nouvelle doit alors permettre d’indiquer des pistes de réflexion originales pour envisager la construction de l’Europe de la défense comme pour concevoir la lutte contre le terrorisme.
Cette réflexion stimulante pourra susciter la controverse ; c’est à la relance du débat à laquelle invite d’ailleurs l’auteur, et on ne pourra que souscrire à cette dernière proposition, tout en se félicitant du retour de Clausewitz sur le devant de la scène, car, comme l’explique l’introduction, la principale vertu du Traité De la guerre n’est pas de fournir des solutions pour résoudre les problèmes militaires d’aujourd’hui, mais de susciter la réflexion pour les reformuler. ♦