Le Comité d’études de Défense Nationale et la revue Défense Nationale sont dans la peine. Nous avons perdu, à quelques jours d’intervalle, deux de nos fidèles soutiens.
In Memoriam - Olivier Sevaistre, Jean-Noël Turcat
Le contre-amiral Olivier Sevaistre nous a quittés. Sa carrière maritime commencée juste avant la Seconde Guerre mondiale – il était entré en 1939 à l’École navale – le fit participer à trois campagnes de guerre : en Afrique du Nord (1942-1943), à la campagne de France (de juin 1944 à mai 1945) et à celle d’Indochine (de 1949 à 1951). Il a commandé le dragueur Belladone, le bâtiment d’expérimentation Somali, la base navale de Mers-el Kebir, la 5e division d’escorteurs rapides et l’escorteur rapide Le Béarnais.
Quittant le service actif en 1976, l’amiral Sevaistre pose son sabre pour prendre sa plume. Ses écrits remarqués – on retiendra ceux sur la dissuasion – lui valurent sans doute d’être retenu pour armer le poste de rédacteur en chef de notre chère revue, de novembre 1979 à novembre 1984. Pendant près de vingt ans encore, il tiendra avec beaucoup de fidélité la chronique « Revue des revues », ainsi que des articles signés de son nom ou du pseudonyme Georges Outrey.
C’est avec émotion et tristesse que nous saluons le départ de notre camarade et ami !
L’amiral Jean-Noël Turcat vient de terminer son dernier combat. Il avait rejoint le conseil d’administration du Comité d’études de défense nationale en 1996, et pendant six ans ses analyses et ses conseils, à la fois pertinents et atypiques, ont enrichi nos échanges et contribué à la nouvelle orientation donnée à la revue Défense Nationale.
Son érudition et sa culture étaient très grandes, mais nous garderons surtout le souvenir de sa gentillesse, de son sourire et de son oeil parfois malicieux, de son exquise courtoisie. Curieux de tout, toujours à l’écoute, l’amiral Jean-Noël Turcat a marqué tous ceux qui l’ont rencontré, qui le voient partir avec peine et émotion.
Contre-amiral Georges GIRARD
Rédacteur en chef de la revue Défense Nationale
Éloge funèbre de Jean-Noël Turcat
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Jean-Noël Turcat qui vient de nous quitter au terme d’une longue et douloureuse maladie, était d’abord, je devrais dire était fondamentalement, un officier de marine. Entré à l’École navale en 1954, à l’age de dix-neuf ans, il a gravi tous les échelons pour achever une prestigieuse carrière au sommet de la hiérarchie avec le grade d’amiral.
Les transmissions furent sa spécialité et elles demeureront pour lui toute sa vie un domaine technique de prédilection. Mais sa vraie vocation était le service à la mer et le commandement. Il commanda ainsi successivement l’Altaïr aux Antilles, le Béarnais en Méditerranée, l’escorteur d’escadre D’Estrées et enfin le porte-avions Foch avant de prendre comme contre-amiral le commandement de l’Escadre de l’Atlantique. Quel parcours de marin ! Vint ensuite le temps des hautes responsabilités à l’échelon central et c’est alors qu’il préside la Commission permanente des essais avant d’assumer la lourde charge de major général de la Marine puis d’être nommé inspecteur général.
Tout au long de cette brillante carrière de quarante et une années au service de la France, il impressionne par un sens marin exceptionnel, une remarquable compétence opérationnelle et une grande détermination dans l’action. Tous ceux qui l’ont côtoyé en ces temps-là gardent le souvenir d’un officier d’un très grand flegme, sinon d’une certaine forme de nonchalance, tranchant par son élégance morale. En même temps sa capacité d’écoute entraînait l’adhésion de ses subordonnés. Il fut ainsi, et il est encore, un exemple pour ses officiers comme pour ses pairs et d’ailleurs ceux-ci l’avaient choisi, il y a quelques années, pour présider leur association, c’est-à-dire l’AEN.
Mais, si l’amiral Jean-Noël Turcat a mérité de ce fait l’hommage qui lui est rendu aujourd’hui par la Marine nationale, il était en réalité bien davantage. J’ai cherché le qualificatif qui convenait le mieux pour le caractériser et le mot qui s’est immédiatement imposé à moi, j’espère que Jean-François Deniau approuvera ce choix, est celui de paladin. Il était un paladin de la mer, un de ces hommes exceptionnels qui traversent l’existence avec élégance et courage.
La Marine aujourd’hui ne lui est pas seulement redevable d’avoir été un officier exemplaire. Elle doit aussi reconnaître sa contribution au rayonnement de l’Institution car, tout en accomplissant sa tâche militaire, il a mis son intelligence et sa grande curiosité intellectuelle au bénéfice de cette passion des choses de la mer qui l’a habité toute sa vie.
Nul n’ignore ici ce qu’avec Max Guérout il a apporté à l’archéologie sous-marine en créant en 1982 le groupe de recherche en archéologie navale. On se souvient peut-être de la flûte La Baleine, explorée au large de Port-Cros, du vaisseau russe Slava Rossii et de ses merveilleuses icônes, de la Lomellina trouvée au large de Villefranche ou encore de la frégate cuirassée Magenta, sans oublier les travaux sur la traite des noirs au profit de l’Unesco. C’est toute une aventure, à la fois technique et sportive, qui ne pouvait qu’être l’oeuvre d’un homme de grande culture.
Le Musée de la Marine, dont il a présidé le conseil d’administration et dont il était encore président d’honneur, fut aussi durant de longues années l’objet de ses préoccupations car il fallait tout à la fois le préserver alors qu’il était gravement menacé et en soutenir le développement. Nul n’aurait été mieux préparé que lui à assumer cette responsabilité en raison de sa connaissance de l’histoire maritime et de ses liens avec le milieu culturel. Sa passion pour la restitution du passé le prédestinait à cette mission. Membre de l’Académie de Marine, de la fondation Belem, il participait aussi activement aux travaux de la Société des Amis de Versailles que préside son ami Olivier de Rohan.
Plus récemment encore, alors que déjà la maladie le minait, il apportait toute son expérience et toute sa disponibilité à un programme de l’Unesco dédié au patrimoine maritime du pourtour de la Méditerranée.
En faisant tout cela, Jean-Noël Turcat ne satisfaisait pas seulement un goût personnel, il contribuait aussi à étendre le rayonnement de la Marine à des cercles extérieurs qui découvraient au travers de cet homme de culture qu’à l’heure de la dissuasion nucléaire un marin d’aujourd’hui pouvait encore se situer dans le sillage de Pierre Loti ou des grands explorateurs des siècles passés.
Chère Francine, je ne peux achever cette évocation de la vie de ton mari sans t’y associer pleinement. Il est évident pour ceux qui connaissaient votre couple que la solidité de ton caractère, ta propre curiosité intellectuelle et ta grande culture ont été essentielles dans l’accomplissement de la vie de Jean-Noël. Tu n’as pas été simplement la gardienne du foyer dont les marins ont besoin pour affronter sereinement les longues absences, tu as été aussi et surtout un partenaire de l’aventure que vous avez menée ensemble. Tous ici nous partageons aujourd’hui ta peine.
Et vous, ses enfants, au-delà du souvenir du père intime que seuls vous détenez, ce n’est pas seulement le rappel de son courage face à la maladie inexorable qui l’a finalement emporté que vous devrez transmettre à vos propres enfants, c’est peut-être davantage l’image d’un homme rayonnant de foi dans la vie, de gaieté, de curiosité et de culture qu’il vous faudra retenir.
Quant à nous ses amis, si nombreux ce matin, nous savons que nous avons perdu l’être exceptionnel et fidèle en amitié que nous avons tous aimé.
Il était, je le répète, un paladin de la mer et tel il restera dans nos mémoires. ♦
Amiral Jacques LANXADE