François Huet : une vie au service de la France
À peine descendu de l’estrade d’où il dirigea d’une main de maître le tonitruant opéra en trois actes d’une guerre mondiale, François Broche donne dans un genre moins ample sans pour autant être mineur : la mélodie d’un des estimables acteurs de ce conflit. Autrement dit, il passe de la synthèse à l’analyse en s’intéressant au parcours du général Huet, né en 1905. Il reste toutefois historien en se préoccupant du contexte en toute occasion, avec la bénédiction d’un préfacier expert en la matière : Henri Amouroux.
C’est ainsi par exemple que le Maroc d’après Lyautey, l’entreprise vichyste des Chantiers et des Compagnons, ou encore la bataille d’Alger, sont autant de décors plantés avec précision et réalisme pour permettre de mieux apprécier les évolutions du héros, ses gloires et ses peines. Le lecteur a même droit à la biographie du chevalier Bayard qui pourrait passer pour une inutile digression si on ne percevait le désir d’y découvrir en l’illustre prédécesseur la silhouette d’un cavalier chrétien, patriote, aux convictions ancrées et au caractère bien trempé, tout à fait celle d’Huet.
Des traits émaciés, un regard aigu, la photographie de couverture respire l’élégance et la droiture et n’inspire guère amateurisme ou fantaisie. Issu d’un milieu bourgeois (« 27 fenêtres sur rue »), fils de général, « cornichon à Ginette » [classe préparatoire, Corniche Postes au lycée Sainte-Geneviève], cela garantit de bonnes bases de départ, de solides relations pour la suite et de multiples occasions d’exploiter de brillantes qualités de cœur et d’esprit, jusqu’à être propulsé au cabinet du chef d’état-major de l’armée et généralissime désigné. Occasion bienvenue d’un portrait nuancé de Gamelin. Huet fit alors partie de ce cercle de jeunes officiers de rang hiérarchique encore modeste, mais de bonne valeur militaire et intellectuelle, qui, à l’instar de De Gaulle, réfléchissaient pendant l’entre-deux-guerres et, peut-être plus qu’en d’autres temps, parvenaient à se faire entendre, sinon écouter, en haut lieu. Par la suite, Huet retrouvera le milieu politique auprès d’Edmond Michelet, non sans avoir à plusieurs reprises décliné de flatteuses propositions à l’ombre de grands chefs.
Comme la symphonie, la carrière connaît de l’adagio et du presto. Cinq mois et demi à la tête du 11e Cuirs [cuirassiers], même en innovant dans le domaine social, ne permettent pas de marquer profondément un régiment ; l’Algérie est une parenthèse au cours de laquelle Huet participe à l’enthousiasme du 13 mai, mais reste ensuite dans la voie de la discipline tout en « priant pour les harkis » ; un poste de commandant de région permet de voir les choses de haut mais de n’influer que partiellement sur l’organisation et l’entraînement des corps de troupe. Plus exceptionnels paraissent les épisodes d’une conduite aussi courageuse et efficace que possible au cours de la campagne de mai 1940 et, dans un tout autre registre, de la participation au tournant doctrinal d’ensemble des années 1955-1960. Celui-ci comporta, d’une part l’adaptation des unités aux conditions du combat en ambiance nucléaire au sein de la brigade Javelot et de la 7e DMR (Division mécanique rapide), d’autre part l’expression d’une conception globale de la défense dans la ligne de l’ordonnance de janvier 1959.
Toutefois, l’élément majeur reste l’« épreuve » du Vercors. Ce n’est pas par hasard que le sous-titre y insiste, et que plus du quart du livre est consacré à un drame de trois mois sur une durée de plus de quarante années passées sous l’uniforme. On dépasse alors le récit du comportement apparemment sans peur et sans reproche de Huet (Hervieux) pour un exposé complet de l’affaire, à suivre au besoin carte en main à moins d’être un familier des lieux. Il ne peut être question ici de relater le détail des circonstances regrettables dont Huet ne peut en aucun cas être tenu pour responsable : initiatives prématurées et intempestives, afflux encombrant de volontaires ni équipés ni entraînés, différends entre responsables, rivalités idéologiques… La « forteresse devenue piège… dont la notoriété s’est accrue plus vite que l’armement » subit l’assaut d’une Wehrmacht animée encore d’une étonnante combativité si près de l’hallali, même si les Teutons de souche sont en partie remplacés par des Kalmouks. Les Français se trouvent soumis aux effets du bouclage-ratissage auquel, les positions étant inversées, ils se livreront si souvent outre-mer au cours des années suivantes. En conclusion s’impose le soupçon, voire la certitude, de non-assistance (volontaire ou non, programmée ou non ?) à troupe en danger, tandis que les appels au secours en direction d’Alger, pressants puis désespérés, reçoivent une réponse laconique : « comprenons votre tristesse » ! Qui accuser ? Entre deux commémorations patriotiques, il y a en tout cas un cadavre dans le placard… et Hervieux ne sera pas fait compagnon de la Libération.
Il serait malséant de reprocher à Broche de pratiquer l’hagiographie ; mais la lumineuse image du général Huet laisse presque un sentiment d’agacement à force de perfection. Les nombreux extraits de textes de citations ou de bulletins de notes sont évidemment élogieux à l’extrême. À défaut d’en trouver sur son chemin, l’auteur aurait dû par démagogie imaginer quelques faux pas, erreurs de jugement ou petitesses afin de rendre son sujet plus humain et plus proche. ♦