Revue des revues
• Europaïsche Sicherheit, n° 4/2005 : « Des solutions intelligentes aux questions pendantes dans les Balkans sont nécessaires ».
« Des solutions intelligentes aux questions pendantes dans les Balkans sont nécessaires » (et urgentes) affirme R. Clement : un calme apparent y règne, les médias n’en parlent plus que rarement, mais rien n’est encore définitif dans la région. À tout moment (cf. les pogroms anti-serbes de mars 2004 au Kosovo), une explosion subite peut remettre en cause les progrès réalisés. Par suite, les investisseurs locaux ou étrangers restent à l’écart, le marasme économique perdure avec son cortège de chômage et de trafics. Sur un point au moins, la communauté des États s’est montrée ferme : l’UE n’ouvrira de négociations pour l’adhésion de la Croatie que lorsque son gouvernement coopérera franchement et concrètement avec le Tribunal de La Haye en y envoyant les criminels de guerre, mais le chemin pour y parvenir sera long et l’enthousiasme des Croates pour l’UE a d’ailleurs sensiblement diminué.
En Bosnie, la mission Althéa de l’UE exerce l’ensemble des responsabilités ; elle a relevé la Sfor sans problème, à la date prévue. Toutefois, les criminels de guerre, surtout bosno-serbes (Jaradzic, Mladic…), courent toujours depuis dix ans grâce à de nombreuses complicités parmi leurs compatriotes.
En Serbie-Monténégro, le Parlement commun a terminé son mandat et n’est pas remplacé ; chaque État membre prépare un référendum sur le maintien de la Fédération. Le Monténégro optera probablement pour une indépendance, que l’ONU souhaiterait éviter, mais les Serbes ont commis trop de fautes ces dernières années pour espérer établir vite un climat positif dans leurs rapports avec les Monténégrins.
Les Balkans semblent devoir s’orienter vers de petits États (Kleinstaaterei), avant que leurs peuples ne prennent conscience que seules d’autres formes d’organisation leur permettraient de vivre dans un certain bien-être ; mais pour l’instant, la communauté des États n’admet pas encore le divorce entre le Monténégro et la Serbie.
Au Kosovo, les « durs » conservent l’oreille des Albanais : ainsi, ont-ils placé à la tête de la province M. Karadinaj, un des anciens chefs de cette UCK qui a commis de nombreux crimes ; lui-même aurait du sang sur les doigts. L’ONU, qui avait omis de prévenir que sa candidature était intolérable, a accepté ce vote. En mars 2005, la mise en accusation de M. Karadinaj par La Haye l’a contraint à démissionner, mais il avait eu le temps de truffer de ses séides les structures de force, locales. Ce départ obligé a évidemment entraîné des rancœurs chez ses électeurs au moment où va se décider le statut futur de la province, dans un climat alourdi, et qui n’est pas sans risques car :
– d’une part, l’ONU par l’action de la Kfor, comme par son aide pour reconstruire les administrations et autres structures d’État, crée des faits accomplis allant vers une indépendance du Kosovo ;
– d’autre part, Belgrade n’offre rien de plus que « la large autonomie » qui existait autrefois, que M. Milosevic a détruite et dont les Albano-Kosovars ne se contenteront plus. Interfère également la possible sécession du Monténégro.
La situation est d’ailleurs bien plus complexe encore. La forte minorité albanaise de Macédoine est même majoritaire dans les cantons jouxtant le Kosovo. Si celui-ci obtient l’indépendance, ne demandera-t-elle pas à le rejoindre ? Et quid alors de ce qui pourrait arriver en république d’Albanie ?
« Une solution intelligente couvrant toute la région est indispensable ». À ce propos, le fait que la communauté internationale s’accroche « à un maintien servile des frontières actuelles » n’y aide guère. L’essentiel est de convaincre les habitants qu’une solution viable est possible, et susceptible de déboucher sur l’apaisement ; on n’a déjà que trop perdu de temps : jusqu’à présent, l’ONU entretient le statu quo ; par ailleurs elle n’a pas encore fait grand-chose — rien de décisif en tout cas — pour convaincre les populations qu’il y a une solution.
« Pour l’Europe, tel est l’explosif de l’année ». Tout le monde sent bien qu’une reprise des exactions au Kosovo déclencherait de nouveaux flux de réfugiés et une déstabilisation qui ne tarderaient pas à avoir des répercussions ailleurs, y compris à l’intérieur de l’UE. Notre intérêt évident est de trouver rapidement des réponses sérieuses aux questions qui se posent dans les Balkans. D’autant plus que les troupes européennes de l’Otan, et celles des États-Unis, seraient directement touchées par toute reprise de troubles en l’ex-Yougoslavie. Le temps presse car il est inadmissible de laisser les Kosovars continuer à survivre misérablement dans une situation non-éclaircie. Quel intérêt auraient-ils alors à reconstruire leur État, leur société et leur économie dans de telles conditions ?
C’est un cercle vicieux : tant que le statut futur du Kosovo n’aura pas été décidé, la Kfor reste indispensable comme rempart de protection permettant à la population de survivre dans un calme superficiel. De ce fait, nous sommes obligés de payer doublement, en hommes et en moyens.
L’année en cours va contraindre l’UE à ne pas s’occuper seulement des conflits actuels au Proche et au Moyen-Orient qui font la « Une » des journaux, mais aussi de cette région des Balkans en train de végéter misérablement dans l’ombre.
Otan, UE et ONU ne sont dignes des valeurs qu’elles incarnent que si elles les mettent en pratique avec détermination en utilisant toutes leurs possibilités pour les faire progresser. Avoir commencé par admettre que M. Haradinaj devienne un temps président du Kosovo a été une faute qui pèse lourd.
Il semble maintenant qu’un apaisement de la région ne serait possible qu’en accordant au Kosovo et au Monténégro la possibilité de prendre la voie de l’indépendance déjà admise pour la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et la Macédoine ; et que cette voie puisse être suivie dans la sécurité. Alors seulement, ils pourront se diriger à moyen terme vers l’objectif de s’intégrer tous dans la communauté des États libres en vue, grâce à cette intégration, de voir des associations nouvelles se conclure.
Même la Tchéquie et la Slovaquie, qui avaient pourtant divorcé à l’amiable, se sont rendu compte depuis que cette solution était politiquement déraisonnable. Elles ont trouvé une solution en s’adossant à l’Otan et à l’UE. « Celles-ci ont beau être arrivées aux limites de leurs capacités d’absorption, des structures de ce genre devront être trouvées pour les Balkans. Quand donc la PESD, sera-t-elle enfin créative dans ce sens-là ? ». ♦