Enfer au paradis
Enfer au paradis
Son titre annonce clairement que ce livre rend vivante pour le lecteur l’immense somme de contrastes qui illustrent la complexité de la nature humaine rendue visible à l’occasion des opérations de la guerre d’Indochine. Les événements que rapporte l’auteur, en souvenir du temps où il combattait comme jeune officier pilote d’avions embarqués sur porte-avions, se sont déroulés au cours des trois séjours opérationnels qu’il a effectués en Indochine de janvier 1952 au 23 avril 1954, jour où il fut abattu à Diên Biên Phu. Ces événements couvrent une période d’opérations dont l’ampleur et les risques liés aux combats étaient constamment croissants.
À ces risques partagés avec ses camarades de la Marine et des Armées de terre et de l’air s’ajoutaient ceux des conditions particulières de mise en œuvre de l’aviation embarquée. Les opérations étaient, pour le personnel volant des trois armées, entièrement consacrées au soutien des forces terrestres puisque l’adversaire ne disposait pas d’aviation. La vie opérationnelle de l’auteur, à l’époque enseigne de vaisseau de 1re classe puis lieutenant de vaisseau, est un extraordinaire exemple de l’importance, qui peut être vitale, des facteurs extra-humains que l’on appelle couramment chance ou malchance. Enfer au paradis fait connaître de nombreux cas de ce cadre imprévisible de la vie des combattants, cadre que l’auteur a personnellement connu sous ses deux formes et dont il est finalement sorti vainqueur car il fut à même de maîtriser tous les facteurs sur lesquels il était possible d’agir. Sa survie de la bataille de Diên Biên Phu et de sa captivité est une démonstration de l’existence des ressources quasi surhumaines qui peuvent se révéler chez un homme plongé dans la pire des situations et le sauver.
Le signataire de la présente note, ancien officier de l’Armée de l’air, a participé à une partie des opérations décrites par l’amiral Klotz, notamment Diên Biên Phu où il effectua de nombreux parachutages de jour et de nuit, du premier aux derniers jours de la bataille, et où un habile ange gardien sut se montrer vigilant et lui éviter de peu un sort qui eût été instantanément fatal. Ses engagements à Nasan, Xieng Khouang, et Diên Biên Phu, comme pilote des avions C-47 et C-119 mentionnés dans le livre, lui ont donné l’occasion de connaître la valeur des interventions de l’aéronavale. Il confirme, comme Jules Roy l’a fait dans son livre La bataille de Diên Biên Phu, le bien-fondé des passages du livre où est mentionné le jugement élogieux porté par les unités terrestres et les équipages du transport aérien militaire sur l’efficacité de l’appui qui leur était apporté par les pilotes des flottilles de l’aéronavale dans leurs attaques de la DCA du Viet Minh.
Le lecteur découvrira, s’il ne les connaît pas déjà directement ou par la lecture, les attraits et les charmes des pays qui composaient notre ancienne colonie. Ainsi les descriptions auxquelles se livre l’auteur, par exemple celles de Vientiane et du Laos, expliquent son choix du mot « paradis » pour définir l’attachement que l’Indochine lui a inspiré et lui inspire toujours. Le signataire de la présente note a pu connaître Hanoï, qui était sa principale base d’opérations et où il avait un frère professeur à l’Université. Il a eu l’occasion de visiter Saïgon et Hué et a séjourné à Dalat. Il comprend donc parfaitement et partage le sentiment de l’amiral Klotz qui, s’ajoutant à celui de « l’enfer » des épreuves que celui-ci a endurées à Diên Biên Phu à partir du mois de mai 1954 avec de nombreux camarades des trois armées, explique et justifie le titre du livre.
Sa lecture nous rappelle aussi que notre cadre politique intérieur a logiquement été d’une importance majeure pour l’issue de la guerre. Par exemple, entre fin 1951 et début 1953, quatre gouvernements se succédèrent et tous les quatre refusèrent d’envoyer en Indochine les renforts qui leur étaient demandés. Il en fut de même pour les gouvernements suivants. Le cadre international est également abordé en nous rappelant la conférence qui s’ouvrit à Berlin le 25 janvier 1954 et qui décida le 18 février de réunir une conférence à Genève pour traiter de la guerre d’Indochine. La conférence de Genève, où le Viet Minh était représenté, fut inaugurée le 26 avril. Il était dès lors évident que l’évolution des opérations en Indochine aurait une influence capitale sur les négociations ; l’attaque de Diên Biên Phu commença trois semaines plus tard. L’issue de la bataille le 7 mai allait conduire à l’accord, mettant fin à la guerre, signé à Genève le 20 juillet. L’une de ses dispositions organisait la libération de nos prisonniers du Viet Minh et l’auteur du livre fut libéré le 2 septembre. Il allait dès lors reprendre une brillante carrière qui en fit un vice-amiral d’escadre, élevé plus tard à la dignité de Grand-Croix de la Légion d’Honneur.
En conclusion Enfer au paradis est un récit passionnant si admirablement écrit que l’on vit la vie de son auteur. Les deux mots opposés de son titre y sont merveilleusement prouvés. Nous citerons en finale un épisode du temps où l’auteur était encore prisonnier : lorsque nos combattants captifs célébrèrent le 14 juillet en chantant La Marseillaise leurs gardiens chantèrent eux aussi notre hymne national. Comprenons que, si l’Indochine était et reste présente à juste titre dans le cœur de l’auteur, la France resterait présente en Indochine même dans l’esprit de ceux qui l’avaient combattue et avaient gagné son éviction. ♦