Gendarmerie et sécurité intérieure - Réorganisation du commandement territorial de la Gendarmerie
Si la Gendarmerie est généralement perçue dans le paysage administratif français comme un modèle de pérennité, son organisation territoriale n’en constitue pas moins, dans la période contemporaine, une matière mouvante. En effet, en un demi-siècle, cette « organisation à part » a mis en œuvre pas moins de quatre restructurations de ses échelons de commandement, dont trois au cours des quinze dernières années. Sous réserve de la réforme actuelle, effective depuis le 1er juillet 2005 (décret du 24 mars 2005), qui procède d’une initiative institutionnelle, les trois autres évolutions de son tissu territorial sont intervenues, il est vrai, consécutivement aux réformes de l’organisation territoriale de la Défense. Cette instabilité, qui témoigne d’une certaine adaptabilité, n’a pas concerné les échelons de commandement de terrain — à savoir le groupement (département) et la compagnie (arrondissement) de gendarmerie départementale, ainsi que les unités élémentaires — même si ces derniers n’en ont pas moins connu des transformations importantes, dans leur organisation et leur fonctionnement, du fait de la prise en compte des mutations du champ de la sécurité intérieure et des réformes de la gendarmerie.
Trois niveaux d’organisation territoriale
Avec les changements opérés depuis l’été 2005, la Gendarmerie ne comprend plus que trois niveaux d’organisation territoriale : la région de gendarmerie (région) ; le groupement de gendarmerie départementale (département) ; la compagnie de gendarmerie départementale (arrondissement). La gendarmerie mobile est organisée, quant à elle, en groupements et escadrons, ces formations étant placées sous l’autorité du commandant de la région de gendarmerie située au siège de la zone de défense sur le territoire de laquelle elles sont implantées. Cette organisation « ternaire » semble un compromis entre l’exigence d’une continuité territoriale du chaînage hiérarchique (qui suppose de disposer d’un maillage de structures de commandement au niveau des principales circonscriptions administratives) et celle d’une économie de moyens dans les structures d’état-major (qui impose de limiter la consommation des ressources budgétaires non expressément mobilisées pour l’activité missionnelle).
Directement subordonné au Directeur général de la gendarmerie (DGGN), le commandant de région exerce le commandement à la fois organique (respect de la discipline, formation, notation et avancement du personnel, administration et emploi des unités) et opérationnel (préparation et conduite des opérations de maintien de l’ordre public et de défense) des unités de gendarmerie départementale placées sous ses ordres (groupements de gendarmerie départementale et section de recherches). La transformation des anciennes légions de gendarmerie départementale en régions de gendarmerie s’est donc accompagnée de la reconnaissance à ces dernières de l’ensemble des prérogatives de commandement. Le commandant de région situé au siège de la zone de défense dispose d’attributions particulières. Il reçoit les réquisitions des autorités civiles pour les formations de gendarmerie mobile qui sont placées sous son commandement, au même titre que les moyens spécialisés (moyens aériens, groupes d’observation et de surveillance, plongeurs), tout en étant responsable de la coordination de la lutte contre la criminalité organisée et l’immigration irrégulière. La légion de gendarmerie mobile d’Île-de-France a été transformée en une force de gendarmerie mobile et d’intervention (FGMI) placée sous l’autorité du commandant de la région de gendarmerie d’Île-de-France, qui se compose de 4 000 gendarmes répartis en six groupements (deux groupements de gendarmerie mobile, le groupement blindé de gendarmerie mobile, deux groupements dédiés et le groupement de sécurité et d’intervention de la gendarmerie nationale).
Régionalisation et ruptures
Cette réforme est de nature à faciliter la bonne compréhension de l’action de la Gendarmerie à la fois par les autres composantes de l’appareil d’État, les collectivités territoriales, les acteurs privés et associatifs mobilisés dans les dispositifs partenariaux, voire par le grand public : la région de gendarmerie correspond aujourd’hui à la région, circonscription administrative, collectivité territoriale, entité culturelle, bénéficiant d’une consistance dans l’espace politique et économique européen. La suppression d’un échelon territorial permet, d’une part, une simplification de la chaîne de commandement, avec la constitution d’un échelon intermédiaire unique entre la direction générale et les échelons de commandement de terrain intervenant dans les départements. D’autre part, la réforme restitue au commandement régional, jusque-là cantonné dans des tâches de gestion des ressources humaines et des moyens logistiques, la plénitude des attributions de commandement. Elle permet notamment au commandant de région de mettre en œuvre un contrôle hiérarchique direct, effectif et concret, sur les groupements. Aussi cette « régionalisation » entend produire une rupture dans deux principaux domaines :
Avec l’organisation territoriale de la Défense : si la gendarmerie conserve un interlocuteur au niveau de la zone de défense (commandant de la région de gendarmerie implantée au siège de la zone de défense), elle ne s’oblige plus à calquer ses structures de commandement sur les découpages militaires, il est vrai pas toujours en phase avec ses missions de sécurité intérieure (comme ce fut le cas notamment entre 1991 et 2000 avec les circonscriptions de gendarmerie au niveau des circonscriptions militaires de défense).
Avec la tendance contemporaine à un certain évitement de la régionalisation : le niveau régional est pourtant demeuré, de 1817 à 1949, et par-delà les changements dans leur nombre, découpage et dénomination, le seul échelon territorial entre le commandement central et les commandements départementaux (entre 1798 et 1817, la Gendarmerie comptait, avec l’« escadron », un échelon supplémentaire entre les légions et les compagnies, à raison de deux escadrons par département), les tentatives d’introduction d’un niveau supérieur, notamment en 1879 et en 1886, s’étant soldées par des échecs. Cette absence de reconnaissance du caractère régional de la Gendarmerie s’est traduite par l’adoption de « régions » qui ne correspondaient pas aux régions administratives (zones de défense) et de l’appellation peu évocatrice de « légions » pour l’échelon de commandement implanté au niveau régional (tout au moins s’agissant de la légion de gendarmerie départementale). Alors que la loi du 16 février 1791, instituant la Gendarmerie nationale, avait organisé l’institution en « divisions » (28), se substituant aux compagnies de maréchaussée (33), l’arrêté du 12 thermidor an XI (31 juillet 1801) remplaça cette appellation par celle de « légions » qui devait être conservée pendant plus de deux siècles (sous réserve d’une courte période de disgrâce entre 1966 et 1979), alors qu’il s’agissait à l’origine d’un emprunt napoléonien à la Rome impériale, dans un souci, au demeurant peu gendarmique et républicain, de glorification des conquêtes militaires.
Bien qu’il soit encore pour le moins prématuré de dégager des enseignements sur cette réforme encore en phase de « digestion » par les responsables et échelons territoriaux, ce qui a pu produire conjoncturellement des résistances, tensions et adaptations, à la faveur de la montée en puissance de l’état-major régional et de la nouvelle donne induite en matière de commandement, cette modification structurelle pose, sur un plan général, diverses questions liées au choix stratégique de doter la Gendarmerie d’un commandement de plein exercice au niveau régional. En effet, si les progrès récents de la décentralisation ont contribué à la reconnaissance politique des régions, ces dernières ne disposent pas, dans l’état actuel des choses — comme collectivités territoriales et circonscriptions administratives, et à la différence des départements et des zones de défense — d’attributions particulières en matière de sécurité et de défense, tout en constituant des territoires relativement artificiels dans l’appréhension et la réponse aux formes de délinquance et d’insécurité. Par ailleurs, cette promotion de la région semble quelque peu en décalage par rapport au caractère encore fondamentalement départemental de l’action étatique, notamment en matière de maintien de l’ordre et de sécurité publique (1).
De manière plus prospective, cette « régionalisation » de la gendarmerie peut toutefois se voir reconnaître un caractère précurseur, en pouvant servir de catalyseur et de référence pour une dynamique de déconcentration susceptible de gagner les autres composantes de l’appareil administratif, notamment une police nationale encore « balkanisée » en une pluralité de services et d’échelons territoriaux, ou encore une administration de la justice également fragmentée et prisonnière d’une carte judiciaire sans réelle concordance avec le découpage administratif. ♦
(1) Cf. « Le préfet, patron de la sécurité locale », chronique « Gendarmerie et sécurité intérieure », Défense Nationale, mai 2004.