Gendarmerie et sécurité intérieure - Prévention et répression : éviter la récidive
Par-delà la persistance de controverses idéologiques, il semble se dégager aujourd’hui un consensus sur la nécessité d’appréhender la prévention et la répression comme les deux composantes de toute politique de sécurité, mais aussi de concevoir la prévention dans une démarche globale intégrant des actions à la fois en direction des auteurs potentiels de faits de violence et de délinquance (prévention sociale), mais aussi de sécurisation au bénéfice des victimes potentielles de l’insécurité objective et ressentie (prévention situationnelle) (1). La sanction pénale ambitionne également de remplir une fonction de prévention, au moins de la récidive. Intervenant après qu’il y a eu une première inculpation, condamnation et peine, cette prévention de la récidive est plus particulièrement attachée aux individus qu’aux situations. Partie intégrante de toute politique préventive, la sanction pénale remplit une double finalité : répressive, par une action de neutralisation et de dissuasion ; sociale, par une action de réhabilitation et d’éducation.
La finalité répressive de la sanction pénale : neutralisation et dissuasion
La sanction pénale entend procéder à une neutralisation directe du délinquant par le biais de l’incarcération et inhiber à terme son envie de commettre à nouveau un acte illicite par un effet dissuasif de la peine déjà effectuée.
La neutralisation consiste non pas à agir sur le délinquant, mais à ériger une barrière physique entre ce dernier et la société au moyen d’une incarcération. La prévention résulte du fait que le délinquant se voit physiquement empêché de commettre de nouveaux délits. Au-delà de toute volonté d’agir sur l’individu, il s’agit de supprimer directement la possibilité, pour lui, de faire des choix. Les effets préventifs du système ne sont pas toujours parfaits, le détenu pouvant continuer à commettre des délits, soit à l’intérieur de la prison, soit en commanditant des personnes à l’extérieur. Méthode de prévention la plus répressive, la neutralisation est aussi la plus contestée sur le plan matériel et moral : même rigoureusement sélectionnée, il n’est pas concevable de maintenir une large proportion d’individus en prison pendant plusieurs décennies, voire jusqu’à la fin de leur vie (même pour les crimes les plus graves, la perpétuité réelle est ainsi un système qui tend à être abandonné, au profit de longues peines assorties d’un délai de « sûreté » au cours duquel aucune remise de peine ne peut intervenir).
Le principe de la dissuasion est fondé, quant à lui, sur l’idée qu’un délinquant effectue des choix rationnels lorsqu’il commet un acte illicite, c’est-à-dire qu’il tient un raisonnement coût/avantage dans lequel il met en balance les bénéfices directs retirés de cet acte et les inconvénients tels que la difficulté à agir, la probabilité de se faire arrêter ou encore la menace de la sanction pénale. Les ex-détenus devraient, de par leur expérience de la réalité d’une incarcération, par opposition à cet appel à l’imaginaire que représente la dissuasion à portée générale, être ceux, en théorie, qui craindraient le plus la sanction. Cependant, l’efficacité de cette dissuasion à l’encontre des délinquants ayant déjà été punis est aujourd’hui largement remise en question. On observe même une certaine corrélation entre la sévérité et la fréquence de la peine, et la propension à récidiver. On a pu, par exemple, objecter à l’effet préventif de l’incarcération en matière de délinquance juvénile, des principes de type culturaliste, postulant qu’étant donné que celle-ci provient de la formation de bandes ou d’une sous-culture délinquante, la menace pénale ne peut que renforcer la solidarité de groupe ; ou bien encore que le passage en prison permet la rencontre avec d’autres délinquants, ce qui peut renforcer l’imprégnation sous-culturelle et permettre au passage d’apprendre quelques nouvelles techniques délinquantes. De surcroît, l’incarcération renforce d’autant plus la stigmatisation, l’« étiquetage » d’une certaine population, devenant ainsi contre-productif. Des enquêtes empiriques ont pu montrer que l’effet dissuasif de la peine n’était pas complètement à écarter tout de même, quoiqu’il soit étroitement imbriqué avec d’autres facteurs, ce qui rend difficile de déterminer son impact sur le taux de récidive. De fait, ce taux varie aussi en fonction de l’âge du délinquant, de sa « carrière », du type de délits commis… Une enquête empirique a pu montrer, par exemple, qu’en matière de violence conjugale, la réponse qui consiste à arrêter l’auteur de la violence se révélait, au fond, la plus efficace en termes de récidive, par rapport notamment au simple renvoi du suspect hors du domicile pendant quelques heures ou à la médiation. Cependant, lorsque l’enquête ayant été étendue, dans l’espace et le temps, il s’est révélé que d’autres facteurs entraient en ligne de compte, notamment le degré d’intégration de l’individu : plus ce dernier était intégré socialement (travail, famille), plus le taux de récidive était bas, ce qui tend à démontrer que la sanction pénale ne dissuade vraiment que lorsque d’autres types de sanctions (sociales, par exemple), positives ou négatives, sont elles aussi présentes. De même, sans le disqualifier complètement, l’effet dissuasif d’une peine est aussi fortement corrélé à l’impression de légitimité l’accompagnant. Pour qu’il en soit ainsi, il faut que l’autorité qui l’impose soit respectée et acceptée, mais aussi que cette peine intervienne rapidement après la commission de l’acte et qu’elle soit justement proportionnée à ce dernier.
La finalité sociale de la sanction pénale : réhabilitation et éducation
La criminologie clinique considère la sanction pénale comme un procédé permettant au délinquant de « regagner le droit chemin », à partir d’un processus de réhabilitation ou d’éducation selon qu’il s’agisse de mineurs ou de majeurs. Dans son rapport Pour une meilleure prévention de la récidive (1996), Guy-Pierre Cabanel mettait en avant cette dimension socialisante que devait revêtir une peine afin que cette dernière se révèle vraiment utile socialement. Il se positionnait d’emblée contre l’idée que « vivre » une peine suffit à dissuader de commettre à nouveau un délit et défendait le principe selon lequel « l’apprentissage de la liberté ne peut se faire qu’en liberté ».
Pour les majeurs, la prévention de la récidive s’appréhende en termes de réhabilitation. Dans son ouvrage classique La société criminogène (1971), Jean Pinatel définissait la réhabilitation comme une « cure psycho-morale ayant pour but de remodeler leur système de valeurs, dans les conditions exigées par leur dangerosité individuelle et s’efforcer d’améliorer par un travail de rééducation leurs possibilités d’adaptation sociale ». Ainsi la peine peut-elle avoir un effet socialisant, curatif, s’ajoutant à son effet dissuasif.
Pour les mineurs, la prévention de la récidive s’inscrit dans la mission d’éducation dévolue à la justice et à la peine. Les condamnations avec sursis (avec ou sans mise à l’épreuve) et les travaux d’intérêt général (TIG) disparaissent ainsi du casier judiciaire d’un mineur à l’expiration du délai d’épreuve. Les éléments relatifs aux mesures éducatives, les amendes et les peines d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à deux mois sont retirés du casier à la majorité de l’intéressé. Quant aux autres sanctions, le jeune peut s’adresser au tribunal pour enfants pour demander la radiation de l’inscription sur son casier judiciaire après un délai de trois ans sans récidive ; le tribunal se réunit alors pour décider si « la rééducation du mineur apparaît comme acquise » (art. 770, al. 3 du code de procédure pénale). Ce régime illustre bien les conceptions qui sous-tendent le droit pénal des mineurs : le mineur est un être en formation. Il ne saurait être complètement tenu responsable de ses actes, d’autant plus s’il a fait l’objet d’une éducation défaillante. La société se doit alors de pallier ce manque éducatif, tout en le punissant. La justice encadre particulièrement le mineur car elle considère qu’il est vulnérable. Jusqu’au XIXe siècle, si l’enfant possède un statut particulier qui lui confère une responsabilité limitée, le juge garde un pouvoir discrétionnaire quant à la peine à lui appliquer : l’enfant délinquant fait alors peur et les peines qui lui sont appliquées peuvent être sévères (colonies pénitentiaires, bagnes). Ce n’est qu’à partir de l’ordonnance de 1945 qu’est introduite la dimension éducative de la peine chez les mineurs et que se développe parallèlement la thématique de l’enfance à protéger. Ainsi, des organes et un droit spécifiques au traitement des mineurs délinquants se mettent en place, avec le tribunal pour enfants et ce qui deviendra la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Ce sont ces mêmes organes qui seront d’ailleurs chargés de la protection judiciaire de l’enfance en danger. Il s’agit donc d’un double rôle pour les institutions : protéger les jeunes victimes des mauvais traitements de leur entourage, et socialiser l’adolescent, coupable au régime de la loi qu’il a transgressée, par des mesures d’éducation. Dans son Rapport sur la récidive des jeunes (1998), Philippe Lemoine observait pertinemment que « ces deux orientations font écho aux différents statuts accordés au public pris en charge selon la nature des faits (victime ou auteur) et peuvent en effet fonder une politique de travail unifiée au motif qu’il n’est pas rare que les événements traumatiques de la préadolescence conditionnent chez l’enfant l’entrée dans une carrière de déviance. Dans cette optique, agir sur les causes directes, dès les premières manifestations biographiques d’une contravention à la loi, c’est-à-dire dès la prime enfance, laisse présager une rupture dans la plus ordinaire chronologie du parcours délinquant ». ♦
(1) Cf. « La prévention situationnelle », chronique « Gendarmerie et sécurité intérieure », février 2006.