La publication en Europe des caricatures de Mahomet a soulevé une belle tempête. C’est moins la représentation du Prophète qui est en cause que ce que l’image suggère : Mahomet serait un violent. Sujet brûlant. Brûlons-nous !
Du Prophète et de ses caricatures
The Prophet and the cartoons
The publication, in Europe, of cartoons of the Prophet Muhammad has created quite a storm. It is not so much the representation of the Prophet which is at issue, as what is implied by the images: Muhammad was apparently a man of violence. Burning topic. Let us tackle it!
En septembre dernier, le Jyllands-Posten, quotidien danois que nous n’avons aucune raison de connaître, publie douze caricatures du prophète Muhammad, dont l’une le représente coiffé d’un turban d’où sort une mèche allumée. En décembre, donc trois mois plus tard, la communauté islamique danoise envoie au Proche-Orient une délégation pour alerter ses coreligionnaires sur le sacrilège. Le 10 janvier 2006, un journal norvégien reproduit la publication. Chez nous, France-Soir, en mal de clientèle, fait de même, ce qui vaut à son rédacteur en chef d’être démis par son directeur. Charlie Hebdo publie à son tour, le 8 février, l’objet du litige, augmenté de quelques caricatures inédites de son cru, et triple ainsi son tirage habituel. La provocation de Charlie Hebdo se veut une riposte : au début de février, soit cinq mois après l’initiative danoise, la rue musulmane s’est soulevée de colère. Des manifestations violentes ont eu lieu au Liban, en Syrie, Cisjordanie, Iran, Afghanistan, Bosnie, au Nigeria et jusqu’en Indonésie. Les produits danois sont boycottés dans la péninsule Arabique. Le 17 février enfin, Benghazi manifeste devant le consulat d’Italie après que Roberto Caledori, ministre des Réformes, se soit livré à une des pantomimes dont il est coutumier. Entre émeutes et maintien de l’ordre, on dénombre (à ce jour) une quarantaine de morts.
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Cette rage islamique nous oblige à prendre la mesure de l’offense qui l’a soulevée. Ce qu’on nous a d’abord dit était une mauvaise raison : l’islam interdit la représentation du Prophète. On ne saurait trouver trace, dans les Écritures, de cette interdiction. Le Coran n’en touche mot, non plus que des représentations des êtres animés. Tout au plus pourra-t-on arguer qu’en plusieurs versets, le Livre saint parle de Dieu comme du muçawwir, « celui qui façonne », le modeleur unique que les humains ne peuvent concurrencer. Certes, les hadîth sont, là-dessus comme en toutes choses, plus prolixes. Ainsi celui-ci, où un artiste peintre interroge, sur son gagne-pain, un compagnon du Prophète : « Malheur à toi ! répond l’expert, si tu ne veux pas cesser de faire ce métier, il te reste (à peindre) tout ce qui n’a pas d’âme » (1). Bien entendu, la représentation du Dieu tout-puissant se heurte au même interdit que dans la religion juive, interdit qui se renforce de la difficulté que soulèverait une telle ambition : comment, en effet, représenter Celui qu’on ne peut même nommer ? La religion chrétienne ne connaît pas cet embarras, dès lors que le Dieu des chrétiens s’est offert aux hommes par l’Incarnation. Sans doute pourrait-on soutenir qu’à l’instar du Christ, l’homme Mahomet a eu forme humaine et que son image est reproductible. Au demeurant, dans l’histoire de l’art musulman, on ne s’en est pas privé, en Perse surtout, et le Prophète figure sur les enluminures de nombre de manuscrits. Ajoutons que, si l’interdiction peut être imposée aux croyants, elle ne saurait l’être aux infidèles, sauf à leur interdire dans le même mouvement de manger du jambon.
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