Savoir le monde pour le gérer. Voilà l’ambition affichée par ceux qui vantent leurs modèles de management, alors que leur incapacité à répondre aux défis du terrorisme, de la prolifération nucléaire, de la pénurie d’eau ou des pandémies, ou tout simplement à gagner la guerre en Irak, sonne le glas de leurs ambitions. 2005 avait déjà révélé que le postulat déterministe avait atteint ses limites ; 2006 aura montré qu’il n’a rien d’autre à proposer que la fuite en avant.
Le monde selon Rand
The world according to RAND
He who would manage the world must be wise to it. So goes the battle cry of those who seek acceptance of their management models, yet their inability to respond to the challenges posed by terrorism, nuclear proliferation, water shortages or pandemics–or quite simply to win the war in Iraq–has rung the death knell of their ambitions. 2005 showed that the deterministic theory had already reached its limits. 2006 will have shown that it has nothing further to propose than walking away from it all.
Peut-on se contenter de connaître pour maîtriser ? On ne peut certes gérer sans connaître ; mais peut-on substituer la connaissance à l’action ? Vieux débat que beaucoup tentent de clore, au prétexte que la technologie va enfin permettre de valider la proposition de Condorcet, Laplace et Einstein, que tout est contenu dans une même loi universelle et que la connaissance de cette loi permettra d’anticiper l’avenir et de gérer les hommes. Et après tout, c’est ce projet qui a fait le succès de l’Occident tant que ses capacités industrielles et guerrières lui permettaient de dominer un monde qu’il réduisait à son image, pensée qui reste l’unique approche que connaisse la culture américaine dont la Rand Corporation, que l’on ne présente plus, reste l’emblématique porte-drapeau. Cette pensée est aujourd’hui en bout de course, échec dont la défaite en Irak n’est que la manifestation la plus criante, pour autant que, par-delà la faillite du management militaire et le coup sévère porté à la « technolâtrie », elle est révélatrice de la débâcle du parti-pris déterministe sur laquelle elle repose.
Stratégie quantique
Toute tentative de construire des modèles de gestion ou de prise de décisions suppose au préalable l’existence d’une rationalité qui rendrait compréhensible tous les enchaînements d’actions et de réactions, et de lois fondamentales qui détermineraient les individus à agir. Cette approche est exclusive de tout libre arbitre, et rien ne peut être modélisé hors de ce choix premier puisque « en brisant le déterminisme universel, même en un seul point, on bouleverserait toute la conception scientifique du monde » (1). Choix idéologique parfaitement assumé par la psychanalyse, la physique « einsteinienne » ou l’économie et sans lequel elles n’existeraient pas, mais pensée totalisante qui ne peut se concevoir que sur un renfermement et exclut toute pensée critique, tant il est vrai que la liberté y introduirait un principe d’incertitude inacceptable. Or la pensée européenne s’est toujours partagée entre déterminisme et libre arbitre, et ce débat, qui a pris diverses formes aux cours des siècles, a ressurgi au début des années 20 alors même que l’Occident semblait s’être définitivement rallié à l’idée d’un monde scientifiquement connu et philosophiquement déterminé.
Il n’est pas de notre propos de développer la pensée quantique, la multiplication de publications indiquant qu’elle rencontre enfin l’audience qu’elle mérite. Limitons-nous à son principe d’objectivité faible, autrement dit à l’idée que l’accumulation de données n’élève pas la cohérence d’un modèle mais au contraire l’abaisse. Ce n’est pas en multipliant les expérimentations sur des échantillons que l’on a déclarés représentatifs que l’on peut affiner la connaissance de ce qui n’est pas encore survenu, par impossibilité de connaître l’ensemble des variables qui vont déterminer la suite, souvent illogique, des événements. Or les matrices analytiques, avec leurs validations séquentielles, se fondent sur le postulat que l’accumulation de données rapproche de l’objectivité et corrige les approximations initiales. La pensée quantique procède à l’inverse, et à la démarche assertive oppose une démarche interrogative, partant du principe que, par impossibilité à tout savoir, un modèle ne sert qu’à être contredit et n’a de valeur qu’heuristique : c’est sa réfutation et non sa validation que l’on recherche.
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